C’est ainsi qu’au quart de mot « une fausse famille » se constitue spontanément : un guerrier déchu, une jeune femme et une fillette s’associent dans leur malheur pour demander l’asile politique. Ce démarrage en trombe par la transformation du désespoir en un « forcing » de la réalité, donne le ton de ce septième opus très étonnant de Jacques Audiard.
Même s’il se laisse aller à quelques facilités -les réactions des personnages sont souvent attendues, et leurs regards sont un peu trop appuyés pour que le tragique soit crédible- la maîtrise formelle d’Audiard impressionne quand même. Le premier quart d’heure, avec le bûcher funéraire et l’apparition du titre, restera certainement une scène d’anthologie du cinéma (n’arrivez surtout pas en retard à la séance !).
Avec Dheepan, Audiard nous propulse directement dans ces univers sans pitié qui fleurissent à tous les coins du monde. Il nous immerge dans la cruauté de la vraie vie, dans l’horreur de la guerre et ces enclaves de l’enfer où la force fait le droit. Le scénario avance en s’amplifiant mais il reste fragile, car il vacille sans cesse entre le réalisme des images, et la nature improbable du récit. Mais c’est -entre autres- ce qui fait qu’il a pour principale qualité de surprendre.
Malgré la banalité du propos qui lancine que les conflits fratricides c’est moche, et que l’instinct de survie peut se déployer au dépend de notre humanité, il y a quelque chose de fort et de généreux à dire la détresse de personnages singuliers. Ce qui frappe le plus, c’est leur difficulté à être perméables à la souffrance de leurs compagnons d’infortune.
Un amour impossible en milieu hostile
A la fois associés dans une entreprise de survie et radicalement étrangers les uns aux autres, Dheepan, Yalini et la petite fille embarquée au hasard dans cette aventure, font rapidement les démarches pour obtenir un statut de réfugiés. Le film vire du politique au social, mêlant les problèmes de la banlieue gangrenée par la délinquance, avec ceux de l’intégration des étrangers qui ne sont pas forcément les bienvenus dans cet équilibre déjà douteux.
Et puis il y a le quotidien de cette fausse-famille qui se resserre autour de sa langue, ses traditions culinaires et des rites communs. Seule la souffrance et l’envie de s’extirper du passé restent irréductibles à chacun et demeurent impossibles à s’additionner. Il reste trop peu de place pour l’amour dans cet amoncellement de souvenirs douloureux et l’humiliation d’une vie quotidienne de réfugiés qui retournent à la case « intouchables » en sol français…
Un film d’action où les émotions s’éclipsent
Dans une troisième phase, le scénario transforme soudainement le film en une action déchaînée et violente, cruelle et sans partage. L’histoire du guerrier tamoul qui a tout perdu devient le récit de sa vengeance, et du défoulement des résidus de sa haine de l’ennemi. Sa colère se déverse désormais sur les banlieusards apprentis-criminels qui le menacent.
La bande-annonce
Même si c’est essentiellement ce mélange des genres qui donne toute son intensité à ce récit, c’est aussi ce qui l’éloigne du chef-d’œuvre, car il en devient racolé et racoleur. L’assortiment de la détresse politique, sociale et sentimentale finit par lasser. Il y a bien une dénonciation, mais à force de vouloir trop en dire pour faire mouche, le propos reste diffus, et -la scène finale aidant- de moins en moins convainquant.
On sort de ce film tout à fait étonnant distraits mais relativement déçus. Les visages de ces acteurs venus d’ailleurs nous hanteront bien davantage que le récit un peu cousu de fil blanc auquel ils adhérent pourtant à la perfection.
Actuellement à Strasbourg dans les Cinémas UGC Ciné Cité et Star Saint-Exupéry
Chargement des commentaires…