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Comment devient-on marin d’eau douce… à Schiltigheim

Une école de navigation à plus de 600 km de la mer ? Le lycée Emile Mathis de Schiltigheim propose aux jeunes en mal d’aventure de se préparer à devenir matelot, voire capitaine. Une formation atypique, pour un métier qui l’est tout autant. Embarquement à bord du bateau-école du lycée, le « Prinses Irene ».

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Vendredi, 9h00. Au fond des quais déserts de Croisieurope, un joyeux ballet anime les berges du bassin Vauban. Le bateau-école du lycée Mathis va bientôt appareiller. Les élèves chargent affaires et matériels. Quelques collégiens, accueillis pour une demi-journée de découverte, ont bien du mal à trouver leur place dans ce mouvement. Un couple de parents explore au contraire le bateau avec aise : ce sont des bateliers venus voir dans quelles conditions Fabien, leur fils, prépare son Bac pro « transport fluvial ».

Une filière confidentielle

Le lycée Mathis, à Schiltigheim, est un des seuls établissements en France à proposer cette formation, avec un autre lycée professionnel, situé à Montélimar, et un centre de formation en alternance en région parisienne. Si le transport fluvial fleurit aujourd’hui dans les discours sur le développement et la mobilité durables, le métier reste, lui, très confidentiel et peine à recruter.

Atelier de noeuds marins sur le pont du « Prinses Irene » (Photo Lycée E. Mathis).

Être marinier n’est pourtant plus une vocation héritée. Le secteur a connu une crise très brutale avec le développement du transport routier, et de nombreuses filles et fils de bateliers ont tourné le dos à la profession de leurs parents.

Au lycée Mathis, Fabien fait ainsi figure d’exception. La grande majorité des élèves vient « d’à terre », comme on dit encore dans le milieu. Mais pour ces jeunes tout juste sortis du collège, la section fluviale est rarement un choix de conviction ; il s’agit plus souvent d’une solution par défaut pour des élèves en mal d’orientation et que rebutent des études classiques.

Un bateau pour école

Le “Prinses Irene” est un bateau-école hollandais, acheté par la Région en 2005 et géré par le lycée Mathis. Quatre professeurs, tous d’anciens professionnels, composent l’équipage enseignant. Avec sa salle de classe, ses cabines, sa cuisine et, bien sûr, son poste de commande, le bateau-école peut accueillir une vingtaine d’élèves en simultané. Ils sont, cette année, 19 inscrits en Seconde, 20 en Première et 16 en Terminale, auxquels s’ajoutent quatre adultes bénéficiant d’un accès aménagé. Chaque classe passe un jour et demi par semaine sur le bateau. Les élèves effectuent également, chaque année, un stage en entreprise, dans le secteur du fret ou du passager.

Comment ils ont attrapé le virus de l’eau

C’est le cas de Silvino, aujourd’hui élève en Première :

« À la fin de ma Troisième, je ne voulais pas rester à l’école. J’ai fait une journée d’immersion sur le bateau-école, le « Prinses Irene », qui m’a beaucoup plu. J’aime être sur ce bateau, je voudrait passer encore plus de temps à bord ! ».

Arrivé par hasard dans la formation « transport fluvial », Silvino a attrapé le virus de l’eau (Photo NS / Rue89 Strasbourg)

À la barre du bateau, qu’il est chargé de guider hors du port de Strasbourg, l’élève semble effectivement à l’aise. Il se confie :

« Ce qui me plaît dans cette formation, c’est le sentiment de liberté que l’on a à bord du bateau et le fait de voir du pays. Lors de mon premier stage, sur un bateau de transport de marchandises, j’ai navigué jusqu’en Slovaquie ! Ensuite, il y a l’esprit d’équipe à bord, qui nous encourage à progresser, et le côté touche-à-tout de la formation, qui fait que lorsqu’on sort avec notre Bac « transport fluvial », on est très polyvalents ».

De Schiltigheim, on voit la mer

D’autres élèves du lycée Mathis viennent de plus loin, comme Louis, nantais d’origine, qui voulait au départ travailler sur un navire de mer. Mais la filière est compliquée à intégrer ; des proches lui conseillent finalement de se réorienter vers le fluvial. Avec une difficulté supplémentaire pour cet élève venu de l’autre bout de la France : celle de trouver une solution pour se loger à Schiltigheim le week-end. Les différents internats de l’Eurométropole sont en effet fermés en fin de semaine.

A 17 ans, Louis passe ainsi ses week-ends en colocation. Il témoigne :

« Le fait d’être si loin de ma famille, c’est vrai que c’est fatiguant, mais cela m’a fait grandir. Et la formation en transport fluvial ouvre des portes. Il n’y a pas de routine. On fait plein de choses différentes : de la mécanique, de l’électricité, de la peinture… Des compétences qu’on peut ensuite utiliser partout. La batellerie, c’est vraiment un métier intéressant, cela m’étonne qu’il y ait si peu de personnes qui choisissent cette formation ».

La difficulté tient peut être au fait que le transport fluvial demande une certaine maturité à des jeunes qui doivent accepter d’être absents de chez eux pendant de longues semaines et peuvent vite se retrouver responsables de bateaux transportant des milliers de tonnes de fret ou des centaines de passagers. Mais hors des schémas classiques, le secteur offre à l’inverse de belles opportunités d’évolution professionnelle et des reconversions originales.

Le fluvial, une aventure humaine

À 34 ans, Sébastien est un bon exemple de ce type de profil à la recherche d’un nouveau départ. Papa d’une fillette de 4 ans, il a travaillé pendant plus de dix ans dans le secteur médico-social avant de faire le pari de changer de métier. Il s’explique :

« Les horaires et les conditions de travail ne me plaisaient plus. Le fluvial, à l’inverse, c’est un peu un rêve de gosse. J’ai plusieurs amis dans le secteur. Mon objectif est d’ailleurs de prendre la relève de l’un d’eux, artisan sur son propre bateau, lors de son départ en retraite ».

Pour Sébastien, le fluvial était un rêve de gosse (Photo NS / Rue89 Strasbourg)

Aujourd’hui, Sébastien prépare un CAP en un an, ce qui l’oblige à suivre à la fois les cours de Seconde et de Première, tout en assimilant les matières générales au programme. Le diplôme de niveau IV qu’il possède en sciences médicaux-sociales ne lui donne en effet droit à aucune équivalence.

Mais le trentenaire ne regrette pas son choix :

« Le transport fluvial, c’est avant tout une aventure humaine. C’est un métier où la maturité est importante, du fait des responsabilités qu’on a vite sur les épaules. C’est aussi un métier difficile, qui a ses contraintes et demande de la passion pour pouvoir les assumer. Mais l’évolution du secteur est encourageante et donne envie de se lancer ».

Dans la morosité économique ambiante, la filière fluviale fait en effet figure d’exception. Le Bac pro « transport fluvial », créé en 2014, a affiché pour ses premières promotions des taux de réussite proches de 100 %. Mais surtout, les élèves sortant du CAP comme du Bac n’ont aujourd’hui aucun mal à se caser. Sur le Rhin en particulier, le transport de conteneurs et de marchandises est reparti à la hausse. Le boom des croisières fluviales amène les compagnies à s’arracher timoniers et capitaines. De quoi dynamiser évolution professionnelle… et salaires.


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