Le saviez-vous ? Le granit de nos pierres tombales vient de Chine et d’Inde. Saviez-vous aussi que rien, dans la loi, n’oblige à tenir une cérémonie religieuse pour la mort d’un proche, voire une cérémonie tout court ? « Il serait tout à fait possible de commémorer dans les bois, un peu comme un mariage », pointe Mélissa, présidente de l’association Maintenant, l’après.
Fondée en 2019 à Strasbourg, l’association veut tout chambouler dans le secteur funéraire, proposer une alternative plus éthique, plus écologique, d’après les mots de Valentine, une des cofondatrices.
La Coopé de la mort
Leur objectif est de créer une coopérative de service funéraire : des pompes funèbres dont la gouvernance serait partagée (un associé = une voix) afin de proposer d’autres choix aux proches d’une personne décédée, comme l’explique Melissa, une autre cofondatrice :
« Aujourd’hui, quand on doit réaliser des obsèques de proches, le choix est très restreint. On fait une célébration, souvent dans un lieu cultuel, et pour le corps, on enterre ou on incinère, voilà. »
La coopérative proposerait des célébrations en-dehors des lieux de cultes, « où on pourrait passer des larmes au rire », avance Valentine, avec de la musique, des propositions écologiques pour les matériaux (cercueils en carton, urne bio-dégradable), et pour les corps des solutions comme le « compost humain » ou la forêt sanctuaire. Valentine détaille :
« Les méthodes habituelles ont un impact écologique, entre les matériaux qui viennent de loin et l’énergie utilisée pour les fabriquer ou pour brûler le corps et le cercueil. Alors pour des personnes qui ont été vertueuses toute leur vie, être enterrées et entourées de plastique et de produits phyto-sanitaires, ce n’est pas forcément très cohérent ».
Il existe déjà cinq coopératives funéraires en France. À Nantes, par exemple, on peut choisir un cercueil en bois parisien Pirée et un capiton en coton naturel. Ajoutés à toute la prestation classique obsèques, la famille doit alors débourser 3 450 euros, soit bien moins que 4 300€, le prix moyen des obsèques selon la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie.
La loi face aux méthodes radicalement écolos
Le projet strasbourgeois a germé dès 2018 dans l’esprit de personnes éloignées du milieu funéraire, réunies dans la « dynamique » Start-up de territoire. Près de 4 ans plus tard, la concrétisation de la mort écolo à Strasbourg est toujours lointaine, notamment à cause de la législation. La loi n’autorise pas les méthodes les plus écolos, comme le fait qu’un corps devienne du humus, le fameux « compost humain », expliqué par Valentine :
« Il n’y a pas de cercueil, juste un linceul. Le corps est posé sur du broyat et recouvert de copeaux, et se décompose à son rythme. Puis, les restes osseux sont réduits en cendres. C’est ce qu’il y a de plus vertueux et ce qui se rapproche le plus du retour à la terre. »
Valentine, co-fondatrice de Maintenant, l’après, à propos de l’humusation.
La méthode n’est autorisée qu’aux États-Unis, dans l’État de Washington et de l’Oregon. « Nous demandons des espaces dédiés, dans des cadres naturels, pour cette méthode déjà utilisée il y a des milliers d’années », explique Valentine. Mais elle constate que « la société française n’en est pas encore là », à en juger par les réticences autour des forêts cinéraires. Ces parcelles de forêt, dédiées à l’enfouissement d’urnes biodégradables sous un arbre, existent en Allemagne. Melissa en a visité une récemment à Schlingen, dans le Bade-Wurtemberg en Allemagne et vante ses avantages :
« Les arbres où des cendres ont été déposées ne peuvent être coupés, donc cela favorise la biodiversité. Ces bouts de forêt deviennent de fait sanctuarisés. »
Si l’association s’active auprès d’élus locaux pour rendre ces lieux possibles, elle constate des freins dans la réglementation et la culture des institutions :
« En France, les lieux d’inhumation, les jardins du souvenir etc., doivent être des lieux clos. Il n’existe même pas de concession pour une dispersion de cendres dans la forêt. »
Faire accepter le recyclage des dernières demeures
Pour Valentine et Mélissa, un changement des mentalités est nécessaire pour imaginer les obsèques du futur. Designer, Melissa entame une réflexion pour proposer de nouvelles stèles et s’est engagée dans l’association quand elle a réalisé qu’elle finirait « six pieds sous terre avec un bloc gris ou noir posé là ». Elle plaide pour des stèles personnalisées et recyclées. « Car, actuellement, on est en train de dépasser nos ressources en granit. Alors, pourquoi ne pas créer des pierres de synthèse à partir de déchets ? » « Ou tout simplement introduire le réemploi », ajoute Valentine :
« Les stèles dont la concession est terminée pourraient ne pas être jetées mais réutilisées en changeant juste le nom, tout simplement. Mais même ça, c’est encore assez gênant pour la majorité des gens. »
Si elle pointe que certaines communes françaises proposent un catalogue d’objets funéraires d’occasion, elle n’en connaît pas en Alsace. En fait, pour elle, la difficulté de faire émerger des offres alternatives réside dans le monopole de grands groupes de pompes funèbres et de pratiques totalement standardisées sur toute la filière :
« La réglementation funéraire est une chape de plomb pesant sur la créativité. La loi impose une disparition du corps en 6 jours. Les familles pourraient faire la célébration dans les trois semaines suivantes, sans le corps, mais elles le font en général dans ces 6 jours. Avec la sidération, pas facile de faire preuve de créativité. Alors les familles acceptent les propositions basiques. Aussi parce qu’il y a beaucoup de croyances limitantes, les gens ne savent pas ce qui est possible… »
Un circuit court du funéraire à bâtir de zéro
D’où leur solution « clé en main » de coopérative, qui pourrait proposer tout un réseau de prestataires locaux. Les fondatrices espéraient débuter leur entreprise en 2021 mais l’irruption du covid a mis un coup d’arrêt aux rencontres. En 2022, l’objectif est de « monter un circuit court du funéraire » explique Valentine :
« Au lieu de venir de Chine, les linceuls pourraient être fabriqués dans les Vosges, par une couturière qu’on a identifiée, ou être remplacés par du linge de maison de la famille. Pour les urnes, nous allons travailler avec une artiste de Benfeld. L’objectif est aussi de proposer des fleurs de saison, qui viennent de France et non des Pays-Bas… »
Elles cherchent aussi des partenaires musiciens et des maîtres de cérémonie, afin d’assurer les célébrations, ainsi que des « doulas de fin de vie », sorte d’accompagnatrices des derniers moments, pour partir sereinement.
Enfin, la coopérative veut proposer des prix « justes, équitables et transparents », intégrer les futurs salariés dans la gouvernance et réinvestir les bénéfices dans le développement des alternatives funéraires.
Jeunes fans de stèles recherchent recrues mortelles
À ce jour cependant, « Maintenant, l’après » ne compte qu’une dizaine de bénévoles, dont plusieurs conseillers funéraires diplômés, mais aussi des retraités, des infirmières et des assistantes sociales… Mélissa glisse que le projet a « cruellement besoin de bénévoles supplémentaires ».
Les deux bénévoles pointent que les autres activités de l’association leur demandent beaucoup de temps et d’énergie : c’est que « Maintenant, l’après » souhaite, plus généralement, ouvrir les débats autour du décès et des obsèques et « briser le tabou sur la mort ».
Depuis 2019, elles organisent les « Rendez-vous mortels » avec des conférences, des visites de cimetières et de forêts sanctuaires en Allemagne. Tous les mois, les « Apéros mortels » réunissent toutes les personnes intéressées pour parler d’un sujet dédié, comme les soins palliatifs ou l’humusation…
Adoptant volontairement un ton et des graphismes plutôt joyeux, les deux bénévoles sont d’avis qu’il faut prendre le temps de réfléchir à ses « obsèques de rêve », et d’en parler en famille. En multipliant ces actions, l’association retarde la création de la coopérative, mais estime qu’elle contribue à faire connaître ses idées, une étape nécessaire pour changer la législation. Mélissa n’a que 27 ans et elle est confiante dans le fait que le sujet peut toucher tout le monde :
« Le grand public n’y pense pas forcément tous les jours, mais quand on parle autour de nous des absurdités du marché et des alternatives possibles, les gens se sentent concernés. Je pense qu’ils sont prêts. »
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