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« Dernier Soleil », un film de gangsters tourné à Strasbourg en toute discrétion

Tourné en trois semaines fin 2018, le dernier long-métrage du réalisateur strasbourgeois Étienne Constantinesco met en scène un père marginal dont le fils autiste de dix ans est kidnappé. Le film a fait l’objet d’une campagne de financement participatif. Elle a permis de récolter plus de 15 000 euros pour achever la post-production.

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« Notre film est un braquage. » La petite phrase n’est pas qu’une formule marketing destinée au visiteur de la page du financement participatif du long-métrage Dernier Soleil. Avec une petite équipe et peu de moyens, le réalisateur strasbourgeois Étienne Constantinesco a tourné son film en trois semaines. Sans aucune autorisation, il a investi les quartiers, les rues, les places de Strasbourg et ses environs, entre octobre et novembre 2018.

Un père paumé, un enlèvement

Dernier Soleil raconte l’histoire d’Éric un gars un peu paumé qui vit dans sa voiture et rejette son fils autiste de dix ans. Après une énième négligence du père, le gamin est enlevé par deux voyous qui réclament une rançon… Éric va alors tout tenter pour réunir l’argent et récupérer son fils. Le début d’un périple sur le chemin de la paternité, entre armes à feu et coups fourrés. 

Bande-annonce du film « Dernier soleil », tourné à Strasbourg.

Des acteurs qui jouent leurs propres vies

Étienne Constantinesco le reconnaît : son film aurait aussi pu s’appeler Premier Soleil. C’est finalement Dernier Soleil qui a eu la faveur du metteur en scène. Un titre de film poétique et un peu abstrait qu’il justifie par la lumière naturelle du soleil tout au long du film :

« Il y a aussi le fait que le personnage d’Éric ne s’est jamais rendu compte qu’il avait ce soleil à ses côtés, son fils. Il était incapable de le voir. Quand il va être enfin ébloui, il sera trop tard. C’est ça, le dernier soleil. »

Véritable antihéros, ce père en quête de rédemption est incarné par un homme du même nom, Éric Sobkow. Le Strasbourgeois s’est fait connaître en 2012 sous le nom de l’Alsachien dans des sketchs comiques où il moquait les clichés sur la banlieue et l’Alsace. Ami de longue date d’Étienne Constantinesco il avait déjà joué dans deux de ses précédents films, Coline (2012) et The Trap (2013).

Un premier rôle confié à un acteur amateur, comme le sont d’ailleurs les autres protagonistes, tous bénévoles, et membres du cercle d’amis du metteur en scène. Anciens ouvriers, ex-toxicomanes, anciens taulards, gitans ou rappeurs : tous sont issus de la région et dans Dernier Soleil, ils incarnent leurs propres rôles, leurs vraies vies. Une habitude pour le réalisateur de 37 ans, qui dirige régulièrement des non-acteurs sur ses tournages : 

« Ça me plaît de vivre cette aventure avec eux et les gens sont prêts à tourner avec moi. Compte tenu du micro-budget que j’avais et du peu de temps imparti, je me suis naturellement tourné vers mon réseau d’amis. Et c’était l’occasion de prendre un parti pris plus radical, en prenant exclusivement des non-acteurs.»

Avec peu de moyens et une équipe de six personnes, Étienne Constantinesco (ici avec la casquette) a tout filmé lui-même, armé d’un trépied et d’une caméra épaule. (Document remis)

Pas de travelling, pas de machinerie pour multiplier les effets d’images, le réalisateur a tout filmé lui-même, armé d’un trépied et d’une caméra épaule. La petite équipe de tournage, composée de six personnes (deux assistants réalisateurs, un ingénieur son, un assistant réalisateur et Célia, la soeur du réalisateur, marionnettiste de métier, qui a donné un coup de main à la régie et aux costumes) a dû composer avec un budget serré : 15.000 euros d’apports personnels et 5.000 euros investis par la société de production parisienne Pleine Image. « Dans le monde du cinéma, ces sommes sont dérisoires », relativise Étienne Constantinesco.

L’Elsau, la Krutenau et la vallée de la Bruche

Échaudé par les refus d’autorisation de tournage à Strasbourg il y a cinq ans pour un film qui n’a jamais vu le jour, Étienne Constantinesco a cette fois enclenché le mode pirate. Le réalisateur a posé, sans autorisation, ses caméras du côté de l’Elsau et de la Krutenau, près de Mützig et jusqu’à Maisonsgoutte, dans la vallée de la Bruche. « Un ami a un hangar là-bas et il connaît le maire du village. On y a tourné toutes les scènes où il y avait des coups de feu, les gens ont dû se demander ce qu’il se passait ! », sourit Étienne Constantinesco. Il poursuit : 

« Les décors doivent devenir un personnage à part entière du film. Néanmoins, je ne mets pas Strasbourg en scène sur un mode carte postale en filmant la Petite France ou la cathédrale… Les lieux qui ont servi au tournage sont des lieux esseulés, parfois des ruines. Tu ne sais jamais vraiment où tu es, si tu es à la campagne ou en ville. Un peu comme les personnages qui ne sont jamais totalement à leur place. »

Éric Sobkow (au centre) s’est fait connaître avec le personnage de l’Alsachien et ses sketches. Bad Dogg (à droite) est un rappeur strasbourgeois actif depuis de nombreuses années et Zio Giuliano (à gauche) gravite dans le monde du tatouage. (Document remis)

« J’ai un rapport particulier avec ceux qui n’ont pas leur place »

Avec un personnage de père associable et proche du point de rupture, Étienne Constantinesco interroge la marginalité de ses acteurs non-professionnels. Un thème qui traverse ses précédents films : un jeune magouilleur qui rêve de monter le coup du siècle dans Coline (2010), un couple au bord de la rupture et dont le fils se fait enlever dans The Trap (2013). « J’ai un rapport assez particulier avec les gens qui sont à la marge, ceux qui n’ont pas leur place », confie Étienne Constantinesco.

Avec un personnage de père associable et proche du point de rupture comme celui joué par Éric Sobkow, le réalisateur interroge la marginalité de ses acteurs non-professionnels.
(Document remis)

Le Strasbourgeois qui a grandi dans le quartier de l’Esplanade sait de quoi il parle. Lui-même a quitté l’école à 14 ans et enchaîné les petits boulots : renseignements téléphoniques, distribution d’annuaires, et récoltes pendant l’été. Ironie de l’histoire, le bonhomme est aujourd’hui chargé de cours en cinéma à la faculté de Strasbourg. C’est en filmant les virées de son groupe de graffeurs dans les années 90 que le déclic pour le septième art lui est venu : 

« Mon père avait une caméra HI8. En découvrant l’image, la caméra, je savais que j’allais délaisser le graffiti et tous les problèmes judiciaires que ça comportait. On faisait du vrai graffiti, de manière complètement illégale. Ce n’est pas le streetart d’aujourd’hui. Le graff m’a canalisé parce-que adolescent… j’aurais pu mal tourner. Mais c’est comme ça que j’ai découvert ma passion, le cinéma. »

Financement participatif : un pari réussi

Dans son travail, Étienne Constantinesco a pu se rallier le soutien d’un autre observateur de la marginalité : le photoreporter Yan Morvan. Prix Robert-Capa en 1983 pour son travail sur la guerre au Liban, auteur de l’ouvrage Gangs Story, qui relate l’évolution des bandes de la banlieue parisienne, le photographe a suivi le réalisateur lors de ses repérages en Alsace. Il a en tiré une série de portraits des participants du tournage baptisée Les Déracinés.

En juin, l’équipe du film a lancé une campagne de financement participatif sur le site KissKissBankBanK. La cagnotte s’est terminée le 17 juillet et a permis de récolter 15.000 euros qui serviront à la post-production : montage, mixage, étalonnage, et composition de la musique du film.

Étienne Constantinesco espère ainsi finaliser le film pour l’automne 2019 et se lancer dans la tournée des festivals. Le réalisateur imagine aussi une projection de Dernier Soleil à Strasbourg, avec l’équipe du film et les contributeurs de la cagnotte. « Il faudra louer une salle », anticipe le réalisateur, qui pense déjà au coût de la location. L’occasion d’un nouveau braquage de l’industrie du cinéma ?


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