Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Pourquoi les Départements veulent garder le développement économique

La réforme territoriale prévoit que les Régions prennent la compétence économique au détriment des Départements. Mais ces derniers, surtout en Alsace, ne comptent pas se laisser faire. Une histoire de proximité, d’argent et aussi de carrière politique.

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13 juin 2016, grève à l’usine de soupapes automobiles et marines Federal Mogul (ex-TRW) dans la vallée de la Bruche. Les salariés s’insurgent contre un nouveau plan social, un an après l’arrivée de l’investisseur américain. Alors que l’usine est à l’arrêt depuis une semaine, les clients (principalement Renault) risquent de ne plus être livrés si le mouvement se poursuit.

L’Agence de développement d’Alsace (Adira) est appelée à la rescousse. Le président du conseil départemental du Bas-Rhin et de l’Adira, Frédéric Bierry (LR), fait le déplacement aux côtés du directeur adjoint pour jouer les médiateurs.

Après une rencontre, la direction accepte de verser une prime supra-légale de 30 000 euros aux personnes licenciées et permet à des salariés de pouvoir partir dans le cadre de départs volontaires. Le soir-même, 80% des salariés votent la fin de la grève. L’engagement de Frédéric Bierry est salué par… la CFDT.

Ce que dit la loi

Cette scène aurait pu ne jamais exister en 2016, ou du moins avec d’autres personnages. La réforme territoriale (loi Notre) prévoit que les Régions, avec les Métropoles, deviennent les « chefs de file » de l’action économique. Mais elle n’a pas totalement fermé la porte à une action économique des Départements, selon la manière d’interpréter les textes. Certes, les Départements ne peuvent plus faire d’interventions directes, mais selon un conseiller de l’Association des Départements de France (ADF), des aides indirectes restent possibles :

« Les Départements peuvent toujours intervenir dans l’économie à travers les aménagements de zone, le tourisme, l’immobilier d’entreprises ou la solidarité territoriale envers les intercommunalités. Les Régions, qui n’étaient pas forcément prêtes pour ces nouvelles compétences, s’aperçoivent que les Département animent un secteur rural, notamment avec les TPE et PME, où elles ont peu de connaissances. »

Jusqu’ici les Départements dépensaient 1,53 milliard d’euros dans le développement économique contre 2,03 milliards pour les Régions selon La Gazette des communes.

C’est là que la partie commence. Qui décide(ra) vraiment qui paie, qui garde quoi et surtout dans quel intérêt ? Selon l’ADF : une vingtaine de Départements a complètement cessé ses dépenses pour le développement économique, pour se concentrer sur leur action principale : les solidarités. Mais ce n’est pas le cas en Alsace.

Frédéric Bierry et Eric Straumann, les deux présidents des départements alsaciens n’entendent pas laisser à la Région tout le développement économique (Photo Dep Haut-Rhin)

Les présidents des Départements veulent garder l’Adira

En Alsace, les deux Départements ont fusionné leurs agences économiques en une, l’Adira (comme pour les agences touristiques). Son président, Frédéric Bierry, ne compte pas lâcher l’institution créée dans les années 1950 et dans laquelle l’Eurométropole de Strasbourg est venue investir :

« On est d’accord sur le fait que la Région porte la stratégie, mais on veut y rester associés. Il y a pu avoir des crispations quand les Départements ont annoncé vouloir garder le développement économique, mais maintenant je crois que c’est compris. Si on veut diminuer la dépense sociale, il faut augmenter les moyens pour l’économie. L’Adira coûte 2 millions d’euros par an et a participé à sortir 3 000 bénéficiaires du RSA en leur redonnant une chance avec un emploi, soit 7 millions d’euros d’économie. Faire croire qu’un seul interlocuteur peut s’attribuer l’emploi, c’est se mentir. Il faut réunir les talents. »

Même position pour son homologue Éric Straumann (LR), député et président du conseil départemental du Haut-Rhin :

« On ne peut pas faire du Département un paradis social dans un désert économique. Ces agences ont fait leurs preuves et en créant une agence unique, on a aussi montré qu’on pouvait faire des économies d’échelles. Il faut maintenant trouver la meilleure articulation avec la Région. »

Des domaines cloisonnés jusqu’ici

Philippe Richert (LR), président de la nouvelle région Grand Est, a souvent minimisé ce rôle qualifié « d’animation », entres autres dans un entretien à Rue89 Strasbourg en mai, sans pour autant mettre hors-jeu les Départements :

« La Région étant chef de file, on n’imagine pas que les Départements fassent l’animation et que la Région paie tout. Les conseils départementaux ne paient plus l’innovation et le développement. Mais j’imagine ça en termes partenariat, car il est légitime que sur le terrain, les Départements soient aux côtés de la Région et des agglomérations. »

Un rôle d’animation estimé au contraire primordial par Frédéric Bierry :

« Je me suis par exemple rendu compte qu’on avait la première centrale géothermique du monde à Soultz-sous-Forêts, des chercheurs du CNRS à Strasbourg dans ce domaine et que ces personnes ne se rencontraient jamais. »

Depuis un an, son conseil départemental multiplie les événements à l’intention des entrepreneurs. C’est d’ailleurs Frédéric Bierry en personne qui assure la communication de l’Adira, notamment à travers sa page Facebook, depuis qu’il en a pris les rênes.

Jusqu’ici, l’ex-Région Alsace avait aussi son agence économique, mais les domaines étaient cloisonnés. La prospection et le rayonnement pour l’Agence d’attractivité d’Alsace (AAA), elle-même née d’une fusion d’agences en 2014, l’implantation et l’accompagnement opérationnel pour l’Adira. La réforme territoriale aurait pu rebattre les cartes, sauf que l’on se dirige vers un statut-quo.

Les carrières politiques en jeu, sur fond d’alsacianisme

Au-delà de la question de l’efficacité réelle des différents services se joue aussi une bataille pour le leadership politique de la droite alsacienne, voire du Grand Est. Pour peut-être viser plus haut après 2017, comme un ministère, si la droite revient au pouvoir.

En Alsace, Frédéric Bierry et Éric Straumann, dans un style différent, essayent aussi de surfer sur « l’alsacianisme » et de se placer pour la succession de Philippe Richert (lui qui avait un temps envisagé une retraite en 2015). Un domaine sur lequel le président du Grand Est ne peut plus être en pointe, puisqu’il doit donner des gages aux Lorrains et Champenois-Ardennais, déjà méfiants vis-à-vis de l’Alsace.

Avoir les entreprises à ses côtés

De son côté, Éric Straumann plaide pour un retour à une collectivité unique alsacienne, en fusionnant les deux départements. Une fusion rejetée par référendum en 2013, mais qui pourrait revenir « par la voie parlementaire », comme en Corse. Cette collectivité serait alors taillée sur-mesure pour le député et président haut-rhinois. A contrario le bas-rhinois Frédéric Bierry, qui ne cumule pas de mandat et risquerait de se retrouver coincé, tempérait ces ardeurs dans le journal L’Alsace en septembre 2015 : « ce n’est pas la priorité de nos concitoyens. »

Et dans cette quête, mieux vaut avoir les entreprises à ses côtés, que les allocataires du RSA ou les personnes handicapées, ce qui est pourtant le cœur de métier du Département. Exemple récent ? La Maison de l’Alsace sur les Champs-Élysées a été louée à des entreprises alsaciennes. Les Départements font coup double : ils arrêtent de dépenser 300 000 euros chacun et ne vendent pas ce joyau, ce qui aurait été un signal impopulaire, notamment dans les milieux de droite, attachés à l’identité alsacienne.

L’offre des entreprises alsaciennes pour 3 ans a été préférée à celle d’un groupe national (Regus) pourtant trois fois plus longue (9 ans) :

« On ne peut pas dire qu’on fait confiance aux entreprises alsaciennes et faire l’inverse quand une opportunité se présente » appuie Frédéric Bierry.

Passe d’armes autour du SRDEII

Les lignes pourraient encore bouger lors de l’élaboration de Schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII). Lors d’une conférence de presse de présentation, Philippe Richert avait souligné « des situations très hétérogènes » entre les dix départements du Grand Est sur le développement économique et aussi que le schéma aurait « une déclinaison opérationnelle ». Deux clins d’œils à la situation alsacienne, qui ferait figure d’exception.

Pour son élaboration, la Région va envoyer un questionnaire à 1 000 entreprises. Les sociétés alsaciennes, qui ont déjà vu passer un questionnaire pour la stratégie Alsace 2030, jamais mise en place avec la fusion des régions, pourraient traîner des pieds. Sans moyens supplémentaires que ceux des trois anciennes régions réunies pour le moment, les élus et les chefs de services doivent de leur côté multiplier les déplacements sur un territoire deux fois plus grand que la Belgique. L’occasion idéale pour le Département de labourer le terrain et prendre la place de l’interlocuteur de référence.

Lors d’une réunion de responsables économiques dans le Haut-Rhin, Sylvain Wasermann, vice-président de la Région a dû s’éclipser après un coup de fil lors du moment d’échanges final. Alors qu’il promettrait de revenir, les participants ne l’ont jamais revu, là où Frédéric Bierry, en tant que président de l’Adira, a pu rester longtemps à l’écoute des chefs d’entreprises. Ces derniers n’ont pas manqué de remarquer que la collectivité dépositaire de la compétence économique est injoignable tandis que celle qui n’a pas la compétence est bien présente…

Une nouvelle taxe qui crée des remous

Sans transfert financier de la part Départements, contrairement aux transports scolaires (non sans tension et petits coups bas), les Régions auront plus de moyens pour assumer leurs nouvelles responsabilités. C’est donc pour cela qu’une nouvelle taxe a été créée. Appuyée par Philippe Richert, président de l’Association des Régions de France (ARF), elle devrait permettre d’engranger 600 millions d’euros.

Selon La Tribune, il s’agirait d’une taxe additionnelle à l’actuelle cotisation foncière des entreprises (CFE) perçue par les communes et intercommunalités, qui serait alors dédiée aux régions. « S’il fallait trouver une ressource nouvelle, elle devrait d’abord s’appliquer aux départements qui sont davantage en difficulté », critique de son côté Éric Straumann.

Là encore on trouve des traces de contestation dans la majorité de Philippe Richert. Valérie Debord, vice-présidente du Grand Est mais aussi porte-parole de « Les Républicains », a critiqué cette idée : « François Hollande avait promis que les impôts n’augmenteraient pas en 2017 et il vient d’annoncer, en catimini, une nouvelle taxe. »

Certaines régions de droite promettent d’appliquer un taux zéro. Les détails seront fixés dans le cadre de la loi de Finances 2017. Entre les primaires et l’épineuse question du développement économique, l’année 2016/2017 s’annonce donc comme une année où les rapports de force vont se bousculer dans la droite alsacienne. Avec des échéances plus lointaines en tête.


#Adira

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