Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Quand la déontologie a pour conséquence d’augmenter l’opacité des affaires publiques

Conseiller municipal de l’opposition à Strasbourg, Éric Senet s’est étonné que l’élu en charge d’un dossier impliquant une société satellite de la collectivité doive sortir au moment où le conseil municipal en débat. Ce ballet fait suite à une recommandation déontologique mais pour Éric Senet, elle n’est que cosmétique et en plus, elle prive le conseil municipal de l’élu le mieux informé d’un dossier.

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Le déontologue de la ville de Strasbourg a récemment adressé à l’ensemble des élus du conseil municipal une note précisant l’attitude à avoir pour les élus membres et surtout présidents d’une société d’économie mixte (SEM) lorsque le conseil est amené à se prononcer sur une délibération portant sur la société au sein de laquelle ils siègent. Le déontologue préconise aux élus concernés de ne pas prendre part au débat ni au vote de la délibération.

Cela peut apparaître logique et même sain mais dans la pratique, cette recommandation est utopique.

D’abord, il me semble utile de préciser que les présidents des SEM sont tous issus de la majorité en place. Ils sont généralement adjoints au maire ou vice-présidents de l’Eurométropole comme cela est le cas pour la SERS, Parcus, la Samins, la CTS, le Port Autonome, Réseaux Gaz de Strasbourg et j’en passe.

Lorsqu’ils ne sont ni l’un ni l’autre, ils font cependant partie du premier cercle du maire comme cela est le cas pour Philippe Bies, président de CUS Habitat et d’Habitation Moderne.
Cela signifie donc que les décisions stratégiques de ces organismes para-publics sont arbitrées bien en amont au sein de la majorité en place.

Maintenir les élus de l’opposition dans le brouillard, est-ce l’objectif de la déontologie ? (Photo Harman Abiwardani / VisualHunt / cc)

« Je n’ai jamais vu une délibération rejetée »

Ensuite, avant qu’une délibération relative à ces sociétés ne soit présentée au conseil municipal, elle suit un long processus. Elle est préparée par l’administration municipale, souvent en lien avec les sociétés concernées. Elle est généralement abordée en réunion des adjoints et surtout lors de la conférence de municipalité qui prépare le passage au conseil municipal. Elle peut aussi être discutée lors de rencontres avec le maire, loin de tout organe officiel.

Dans les faits, lorsque cette délibération arrive devant l’ensemble des élus du conseil, les décisions sont déjà prises. Les arbitrages ont été réalisés. L’issue du vote ne fait plus l’ombre d’un doute. Aucune surprise n’est possible. Depuis que je siège au sein du conseil municipal, pas une seule délibération n’a été rejetée.

Tout au long de ce processus, le président de la SEM aura pourtant pu faire entendre son avis, peser sur les arbitrages, les susciter même sans que le moindre contrôle ne soit possible. La seule occasion qui permettrait de l’interroger sur les choix opérés, sur leurs motivations, sur leurs conséquences, c’est le débat public du conseil municipal où apparaissent enfin les élus de l’opposition.

Sauf qu’à présent, suite aux recommandations du déontologue, il n’est plus possible de questionner l’élu qui pilote le dossier puisqu’il n’assiste plus au débat et ne prend pas part au vote.

Quand l’élu le plus à même de répondre doit sortir…

Nous l’avons vécu lundi dernier lors du débat portant sur la stratégie des distributions de chaleur (revoir ce débat ci-dessus). C’est Olivier Bitz, adjoint en charge des finances mais aussi président de Réseau Gaz de Strasbourg qui a instruit depuis des mois ce dossier. Il en connait tous les tenants et les aboutissants. Il a pu peser sur les orientations stratégiques. Mais il a hélas été impossible de l’interroger. C’était pourtant notre seule est unique occasion de le faire.

« Nous avons perdu en transparence »

Par ses recommandations le déontologue, mais aussi le législateur, ont voulu que les élus gagnent en indépendance mais au lieu de cela nous avons perdu en transparence.

La théorie se heurte à la pratique du processus décisionnel. La théorie juridique ignore dans son approche le fonctionnement politique du fait majoritaire. Les quinze élus de l’opposition strasbourgeoise ne pourront jamais empêcher le vote d’une délibération par les 50 élus de la majorité.

Ces recommandations ont donc pour conséquence de priver les oppositions de la seule et unique possibilité qui lui est offerte d’interroger l’élu compétent et en charge du dossier, lors du conseil municipal.

Enfin, il est à noter que ces recommandations ne valent que pour le conseil municipal, mais pas pour le conseil de l’Eurométropole qui ne dispose pas d’un déontologue. Pourtant, cette collectivité aussi intervient dans de nombreuses sociétés mixtes.

Voilà pourquoi je trouve tout cela utopiste. Cela part d’un bon sentiment mais ne tient malheureusement pas compte des pratiques du pouvoir.

Éric Senet


#Conseil municipal

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