Jeudi 26 août, 110 demandeurs d’asile afghans ont pu être accueillis à l’Hôtel Mercure à Strasbourg suite aux évacuations depuis Kaboul, et la prise du pouvoir par les talibans mi-août. « C’est très bien qu’on leur ait trouvé une solution d’hébergement », se réjouit Nicolas Fuchs, coordinateur régional de Médecins du Monde et membre du Centre communal d’action social (CCAS) de la Ville de Strasbourg. Il regrette en revanche de constater que 122 autres personnes à la rue ont de nouveau été recensées par les associations strasbourgeoises à la date du 2 septembre. « Théoriquement la loi prévoit une mise à l’abri de manière inconditionnelle, quel que soit le statut administratif et quel que soit la vulnérabilité de la personne », rappelle Nicolas Fuchs. Dans les faits, ce n’est de nouveau pas le cas.
Pas d’accès à l’eau courante ou à des toilettes
Des tentes réapparaissent et des campements commencent à se reformer, notamment à côté de l’arrêt de tram Montagne Verte où près de 80 personnes sont installées, majoritairement en cours de demande d’asile. Il s’agit surtout de personnes venues d’Europe de l’Est. C’est le plus gros campement à Strasbourg aujourd’hui. « Dans l’Eurométropole de Strasbourg, 85% de ces personnes à la rue n’ont pas accès à des points d’eau ou des toilettes, ce qui ne permet pas de tenir des conditions de salubrité ou de gestes barrières décents », continue Nicolas Fuchs.
Sur ces 122 personnes vivant dans des tentes, plus de la moitié seraient des enfants, et trois des femmes seraient enceintes. Des situations « très inquiétantes » commencent à se développer pour sept personnes malades, au-delà du manque d’infrastructures d’eau, de toilettes et de douche. Deux autres personnes ont demandé un accompagnement pour des problèmes de santé mentale. Depuis un précédent recensement samedi 28 août, une dizaine de personnes sont arrivées sur le site de la Montagne Verte. Sur les 56 enfants à la rue recensés (une quarantaine à la Montagne Verte), certains sont scolarisés. D’autres ne sont pas scolarisables, faute d’adresse.
Pour Germain Mignot salarié de l’association Caritas, « la plupart des personnes sont en cours de procédure administrative » avec une majorité de demandeurs d’asile et peu de personnes déboutées. Responsable de l’accueil de jour de l’association caritative, il complète :
« Les personnes qui ont reçu des OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont beaucoup moins visibles parce qu’elles ne veulent pas se faire expulser, donc elles ne se retrouvent pas forcément sur ces campements, où il y a un passage de police régulier. »
Retour des camps… et des démantèlements ?
Au delà du site de la Montagne Verte, plusieurs autres endroits sont des points de chute plus petits pour les sans-abris issus de l’immigration. Des familles s’installent régulièrement entre le parc du Heyrtiz et Rivetoile, en tente ou en voiture. Plus au nord, une trentaine de personnes se sont installées entre l’hôtel Athéna de Hautepierre et l’arrêt de tram Ducs d’Alsace, où des camps avaient été démantelés en 2018 et 2019. Un dernier campement, cette fois de personnes roms, est également installé au niveau d’une bretelle d’entrée d’autoroute à Cronenbourg, mais ces personnes d’origine européenne ne sont pas en demande d’asile, contrairement à la majorité des personnes recensées. Les associations recensent également des tentes individuelles au parc du Glacis, ou un campement s’était déjà formé en 2018.
Sur ce site du Glacis, fin mai 2019, un jeune afghan de 21 ans nommé Habib Soroush s’était donné la mort. Son décès avait entrainé la mise en place de squats par des associations, comme l’Hôtel de la Rue ou le Squat Buggatti, ce qui avait un peu réduit le nombre de personnes sans toit de la capitale alsacienne. Aujourd’hui, ces squats sont fermés ou en cours de démantèlement et Nicolas Fuchs de Médecins du Monde redoute un « retour aux dynamiques d’avant le Covid et d’avant les squats. » Pour lui, c’est ce qui expliquerait l’augmentation du nombre de tentes dans la ville :
« Les squats étaient une réponse au manque structurel de mises à l’abri. Personne ne le dit et personne ne l’assume, mais pourquoi est-ce qu’il n’y a pas eu de campement jusqu’à maintenant ? Parce qu’il y avait les squats. »
Le coordinateur régional redoute que « ces camps se reforment avant d’être à nouveau démantelés ». Pour pallier l’extrême urgence de la situation à Montagne Verte, les associations ont demandé la mise en place d’un point d’eau et de toilettes provisoires à la mairie. Si des discussions sont en cours, l’installation n’est toujours pas effective. « C’est un choix politique de leur faire vivre ces conditions là », critique Nicolas Fuchs, à l’encontre aussi bien des collectivités que de l’État.
La mobilisation exceptionnelle pour le Covid dépassée
Au local de l’association Strasbourg Action Solidarité situé Cité Spach, le travailleur social Guillaume Keller-Ruscher reconnait un effort pendant les confinements :
« Avec le Covid, il y a eu des moyens exceptionnels de trouvés, la preuve que quand il y a une volonté politique, on trouve des moyens. Jusqu’à cette épidémie, les moyens étaient constants depuis 10 ans pour l’hébergement d’urgence. »
Il craint un manque de solutions pour les personnes en sortie des dispositifs actuels. « Aujourd’hui, il y a des fins de prises en charge et des personnes remises à la rue », abonde Germain Mignot de Caritas.
Aujourd’hui, près de 2 800 personnes seraient hébergées dans des hôtels sur l’Eurométropole, rapportent plusieurs responsables associatifs. Un chiffre stable depuis les mesures prises lors du premier confinement. Un total insuffisant au regard de la reformation de camps et qui contredit les discours officiels. Lors de la conférence de presse concernant l’accueil à Strasbourg de demandeurs d’asile afghans secourus par la France, la directrice adjointe de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) du Grand Est assurait qu’il y avait « 12% de places vacantes dans notre parc » pour les demandeurs d’asile. Mais ces chiffres concernaient l’ensemble des 10 000 places réparties dans le Grand Est.
Le travailleur social Guillaume Keller de Strasbourg Action Solidarité relate une saturation accrue des services d’hébergement d’urgence. Dans une newsletter en date du 28 juillet du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) du Bas-Rhin, « le 115 » reconnaissait déjà « des difficultés pour mettre à l’abri des personnes isolées, mais aussi des familles avec enfant ». Sur 84 ménages identifiés (119 adultes et 36 mineurs dans la semaine du 19 au 25 juillet), seuls 2 ont « bénéficié d’une proposition d’hébergement », tandis que 56 ne font « pas ou plus » de demande et 26 ont vu leur demande échouer. Ce qui corrobore le constat de Guillaume Keller : « Beaucoup de personnes n’appellent probablement pas ». Il estime que la situation s’est « aggravée en août ».
En 2021, environ 70% à 80% des appels au 115 ont été décrochés. On note une augmentation du nombre d’appels depuis avril. (doc remis) Dans environ 90% des cas, les appels décrochés ne débouchent pas une orientation des places. (doc remis)
Selon Strasbourg Action Solidarité, des équipes de la police nationale sont passées jeudi 2 septembre à deux reprises (après-midi et soir) pour effectuer un autre recensement avec relevé d’identité au campement de la Montagne Verte. Certaines personnes sans-abris auraient déjà été contactées par l’Office France de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), en vue d’une prise en charge. Différentes réunions, entre les acteurs associatifs et la municipalité, mais aussi du quartier Montagne Verte doivent avoir lieu la semaine prochaine, notamment pour préciser la question de l’accès à l’eau.
Les acteurs associatifs interrogés espèrent aussi que la « réflexion et la coordination » enclenchée avec la municipalité, qui a pour objectif de mettre en place 500 places d’hébergements, permette de ne pas revivre des démantèlement de camps à répétition comme lors du mandat précédent. Et que l’État ne ferme pas un nombre de places équivalent.
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