Inlassablement, David Dufresne continue de dénoncer les violences policières. Dès le début du mouvement des Gilets jaunes, en novembre 2018, le journaliste indépendant se met à interpeller le ministère de l’Intérieur sur Twitter avec l’accroche « Allô Place Beauveau ». En octobre 2019, l’auteur publie le romain Dernière sommation. Cette fiction inspirée de l’actualité raconte une « épopée », selon les termes de l’écrivain.
L’ouvrage permet alors de plonger dans une page de « l’Histoire de France », d’après David Dufresne. Après avoir documenté les violences policières, il raconte un mouvement marqué par les mutilations à travers des situations et des personnages empruntés à la réalité, du préfet de police de Paris à la manifestante mutilée, en passant par Etienne Dardel, son alter-ego fictionnel. Ce dernier sera présent à la librairie Kléber samedi 22 février à 15h pour un débat organisé en partenariat avec Rue89 Strasbourg.
Rue89 Strasbourg : Le jeune Lilian, touché par un tir de LBD à Strasbourg alors qu’il ne manifestait pas, a-t-il inspiré l’un des personnages de votre roman ?
David Dufresne : Bien sûr. Quand je parle de cette photo d’un jeune homme qui se tient la mâchoire en sang et qui passe à la télé sur toutes les chaînes d’info, c’est une scène réelle que je décris. Dans le livre, il s’appelle Kévin. Dans la vraie vie, c’est Lilian.
Pour moi, Lilian fait partie des moments de bascule dans l’observation des violences policières. Parce que ce garçon est l’innocence même. Même les justifications les plus odieuses, qui diraient qu’on peut mutiler un casseur, ne s’appliquent pas à Lilian, parce qu’il ne faisait pas partie de la manifestation.
Vous avez rencontré la mère de Lilian. Que vous a inspiré son combat ?
J’ai trouvé une femme absolument magnifique dans son combat, dans sa juste colère. Flaure Diéssé est venue me parler de ce qui c’était passé, de la difficulté pour Lilian à se reconstruire.
« Tout est fait pour que justice ne soit pas rendue à Lilian »
Elle a ceci d’admirable qu’elle reste très combative malgré les courriers froids du parquet, qui lui indiquent le classement sans suite de sa plainte, et le non-travail de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN). C’est absolument terrible, d’autant que la scène est extrêmement claire et il y a beaucoup de caméras de vidéosurveillance. Là on est dans un cas exemplaire d’une victime de violences policières pour laquelle tout est fait pour que justice ne soit pas rendue.
Flaure Diéssé m’a aussi parlé des difficultés pour Lilian à se reconstruire. Le traumatisme psychologique chez les victimes de violences policières est une chose peu évoquée dans les médias. Ces derniers ont mis des mois à parler des blessures. Ils mettront des années à parler des suites des blessures. Il y a tout un pan à explorer autour de ces questions : comment vivre après une mutilation ? Une génération de manifestants est marquée.
Des villes comme Strasbourg étaient jusqu’à maintenant relativement épargnées par les violences policières en manifestation. Comment analysez-vous cette évolution ?
Face au mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement a choisi de prendre appui sur des policiers de la Brigade anticriminalité (Bac) par exemple. Or, le maintien de l’ordre en manifestation n’est pas leur cœur de métier. Ce sont des gens formés aux violences urbaines, aux émeutes. Ils ont donc une gestion de la foule très agressive, comme si la foule était naturellement hostile. Ce n’est pas le postulat du maintien de l’ordre. On a ainsi fini par apprendre que les gendarmes mobiles utilisaient très peu le LBD. C’est la Bac qui a fait exploser son utilisation.
« Que les violences policières restent dans l’actualité »
Au delà des chefs-lieux classiques de la contestation sociale, comme Nantes, Toulouse ou Paris, on a vu des affrontements dans des plus petites villes comme Quimper. On a en France un équipement généralisé des forces de l’ordre en armes de guerre, c’est-à-dire cataloguées comme telles par le code de la sécurité intérieure. Cet arsenal est utilisé pendant des manifestations par des unités qui ne sont pas toutes formées à leur utilisation, surtout dans des plus petites villes…
Les violences policières font maintenant partie des sujets traités par les médias français. Certaines institutions comme l’ONU ou le Conseil de l’Europe les ont dénoncées. C’est quoi la suite du combat ?
Il est évident que depuis la sortie du livre la question des violences policières est devenue plus prégnante. Le ministre de l’Intérieur a été obligé de retirer la grenade GLI-F4, celle qui a mutilé 33 personnes, dont cinq qui ont eu une main arrachée.
Christophe Castaner a ainsi donné raison à ceux, rares, qui expliquaient
que c’était insensé d’utiliser une arme de guerre contre son peuple. On nous riait au nez et maintenant il retire cette arme de l’arsenal des forces de l’ordre… même s’il omet de dire qu’il a remplacé la GLI-F4 par une autre grenade. C’est très rare que le ministre soit obligé de faire ce type d’annonce lui-même.
Mon but, c’est que le débat sur les violences policières reste d’actualité. Je n’ai pas d’autre objectif. Chacun son job. Le mien, c’est de créer les conditions du débat, pour ça il y a les tweets, il y a eu le roman et puis il y aura un film qui sortira au cinéma au printemps.
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