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Dans les pas de Marie-Christine, sage-femme

Cet été, Rue89 Strasbourg s’intéresse au quotidien côté coulisses de ces professionnels de l’accueil, sage-femme ou croque-mort, taxi ou avocat. Pour démarrer cette série de reportages, nous avons suivi, le temps d’une garde de 12 heures, Marie-Christine Gerolt, sage-femme de Hautepierre, affectée au CMCO à Schiltigheim depuis janvier 2012. A 43 ans, cette femme énergique est l’un des témoins privilégiés de la fusion de ces deux services de maternité il y a un an.

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Marie-Christine Gerolt, 43 ans, est sage-femme depuis 21 ans. Elle a passé 20 ans à la maternité de Hautepierre et n'est intégrée aux effectifs du CMCO que depuis janvier 2012 (Photos David Rodrigues)

7h40, le hall du CMCO (Centre médico-chirurgical et obstétrical), rue Louis-Pasteur à Schiltigheim, est désert. Seule la dame de l’accueil grignote un petit pain au chocolat derrière son bureau vitré. Direction le 1er étage, en salle de naissance. Il faut sonner avant d’avoir le droit d’y entrer. Seuls y sont acceptés les couples dont la femme est enceinte de plus de 24 semaines, les professionnels de santé de l’hôpital et quelques rares visiteurs, une future grand-mère, un observateur…

Le service est en forme de U. A l’extérieur de ce U, sept salles d’accouchement ou « boxes » médicalisés, trois salles de « pré-travail » ou salles « nature » (non-médicalisées) et un large comptoir – la branche centrale du U – derrière lequel les sage-femmes remplissent les dossiers des patientes et suivent sur écran la régularité des battements du cœur des bébés.

Au CMCO comme à Hautepierre, plusieurs salles sont accessibles aux femmes qui souhaitent accoucher sans péridurale. Elles sont notamment équipées d'une baignoire (Photo David Rodrigues)

Ce matin, Marie-Christine Gerolt, 21 ans de métier, dont 20 à la maternité de Hautepierre, est l’une des quatre sage-femmes de garde du service. Avec elles, deux internes en gynécologie-obstétrique, un gynécologue, un anesthésiste et pédiatre d’astreinte, deux aide-soignantes et une dame en charge du ménage (une « ASH », agent de service hospitalier). Derrière leur comptoir, les sage-femmes de nuit « font les transmissions » aux sage-femmes de jour. Dans les boxes, deux femmes « sont en travail, sûr ». Une autre « trempe encore dans son bain ». Pour deux autres, « on ne sait pas encore trop ». Elles sont à l’avant du service, à l’accueil d’urgence.

Dans la journée, on attend encore « deux déclenchements », des accouchements qu’on provoque en administrant un produit qui lance les contractions. En cause chez l’une, « de la tension » et chez l’autre, « une poche rompue à 34 semaines ». Au total, entre quatre et huit naissances se profilent aujourd’hui. Une petite journée pour ce service de maternité qui comptabilise 3500 naissances par an. Le CMCO est la plus grosse maternité d’Alsace.

Matériel de réanimation pour bébé (Photo David Rodrigues)

Dans le box 1, une femme est sous péridurale, une anesthésie pour laquelle opte 75% des parturientes du CMCO, qui permet de soulager les douleurs de l’accouchement. Son col est dilaté à sept centimètres – il doit être « à 10 » avant la descente dans le bassin maternel et la naissance. Accompagnée de son mari, elle va mettre au monde son deuxième garçon. Il est 8 heures, et c’est Magali Fabre, élève sage-femme de 4ème année (diplômée fin juin) qui procède au toucher vaginal pour mesurer l’avancée de la dilatation, mais aussi à la préparation du matériel pour les soins au bébé et à sa maman. Marie-Christine, elle, supervise de loin. Pour elle, « il n’y a rien de plus agaçant pour une 4ème année que l’on soit derrière son dos. Et puis dans 15 jours, elle devra prendre ses décisions toute seule… »

« Avec les collègues, on faisait le même travail, mais on ne se connaissait pas… »

Et puis, Marie-Christine ne court plus après les accouchements. Pour elle, c’est la routine. Alors, elle raconte les fusions des services par lesquelles elle est déjà passée, les méthodes qui, selon elle, ne sont pas si différentes d’une maternité à une autre.

« Dans les années 1990, quand je suis arrivée à Hautepierre, il y avait deux services de maternité. La Gynéco 1 et la Gynéco 2, qui étaient dirigées par deux professeurs différents. Avec les collègues, on faisait le même travail, mais on ne se connaissait pas. Nos horaires de transmissions étaient différents, donc on ne se croisait même pas… Et puis en 2000, les deux services ont été regroupés ; ça s’est fait beaucoup plus vite que pour la fusion de Hautepierre et du CMCO l’année dernière, vu qu’on était sur un même site. »

Derrière le comptoir des sage-femmes (Photo David Rodrigues)

Ce que ne dit pas Marie-Christine Gerolt, l’un des piliers du service à Hautepierre, c’est que les personnels n’ont pas vu cette fusion d’un bon œil. Du moins au départ. Nombreux sont ceux (sur les 140 sage-femmes du pôle de gynécologie-obstétrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, trois sont des hommes) qui ont dit haut et fort qu’ils n’iraient jamais travailler en face. Et pour cause, les pratiques et l’état d’esprit général étaient différents d’un site à l’autre. Nadine Knezovic, sage-femme cadre et responsable du pôle, explique:

« Ici, au CMCO, les femmes sont souvent plus actives dans leur demande. Elles n’ont pas des grossesses à risques et souhaitent accoucher selon leur désir, avec ou sans péridurale. Tandis qu’à Hautepierre, une maternité de niveau 3, les femmes ne sont pas toujours là par choix. Soit leur bébé est très prématuré ou il peut souffrir d’une pathologie. Cette différence de public a aussi entraîné une différence de prise en charge. Or aujourd’hui, nous essayons d’harmoniser nos pratiques, pour que ce soit plus fluide pour les mamans, notamment quand elles doivent être transférées d’un site à l’autre.

Dans la pratique, avant la fusion, les femmes au CMCO n’avaient pas le droit de boire un jus de pomme une fois le travail bien avancé, alors que c’était permis à Hautepierre. Inversement, les femmes pouvaient prendre un bain avec une poche des eaux rompue au CMCO, alors que c’était interdit à Hautepierre. Aujourd’hui, sur les deux sites, on peut prendre un bain en buvant un jus de pomme dedans ! On aurait pu interdire des deux côtés, mais on a privilégié le bien-être des femmes par rapport au « parapluie » pour les soignants. »

9 heures 30. Une future maman qui était à l’accueil depuis un moment demande une péridurale. Elle est installée dans le box 6, mais… rien de fonctionne. Le lit n’a pas d’étriers, « indispensables s’il faut sortir le bébé avec la ventouse », assure Marie-Christine, la télémétrie est hors service. « Il va falloir la changer de chambre », grogne la sage-femme. « On ne t’a pas dit, lui confie une collègue, on a mis tout ce qui ne marchait pas dans le 6… »

Magali Fabre, élève sage-femme de 4ème année, prend soin des patientes de Marie-Christine, qui supervise "de loin" (Photo DR)

10 heures et des poussières. Magali aide la dame, toujours sans péridurale, à traverser une partie du service. Alors que Marie-Christine est dans le box 1, une petite voix se fait entendre… Magali appelle. Le petit Emerik vient de voir le jour à 10h32. La mère a perdu les eaux debout, avant même d’arriver sur la table. Magali a à peine eu le temps de l’installer que le petit, 2,8 kilos, est né. C’est le troisième garçon de cette dame. L’anesthésiste, qui a pris son temps pour répondre aux sollicitations des sage-femmes du service, est décommandé. Marie-Christine félicite la maman et s’amuse : « C’est ce que j’appelle un accouchement nature et découverte ! »

Très lumineuses, les salles d'accouchement sont décorées de fresques aux tons pastels (Photo David Rodrigues)

La paperasse a peine complétée après la naissance d’Emerik, ça sonne au box 1. La jeune femme est « à complète » (son col est complètement dilaté et le bébé engagé dans le vagin). Le petit n’est plus très loin. Marie-Christine et Magali se préparent. Et puis c’est la phase d’expulsion démarre. A chaque contraction, la maman doit pousser, encouragée par les deux sage-femmes. « Le bébé est presque là, c’est magnifique ce que vous faites », encourage Marie-Christine. « Prenez plein plein d’air… et on y va ! »

A 11h31, Alexis pointe le bout de son nez. Il pèse 3,670 kilos, tout en joues. Très vite, Fabienne François, une autre sage-femme, se glisse dans la pièce et branche sur le cordon coupé un tuyau et récupère le sang du cordon ombilical qui servira, peut-être, « à récupérer des cellules souches pour des greffes aux malades atteints de leucémie ».

La naissance d'Alexis (Photo DR)

Pendant que les mères et pères d’Emerik et d’Alexis font connaissance avec leur petit, c’est le temps des dossiers. « On y passe beaucoup de temps », confient Marie-Christine et ses collègues. Heureusement, la journée est plutôt calme. Entre deux aller-retours pour manger un morceau, visiter une patiente ou discuter avec une collègue, Marie-Christine appelle le service de maternité, au deuxième étage, qui doit trouver des chambres pour ses deux mamans. « En général, ça prend plus que les deux heures de surveillance de la mère et du bébé en salle d’accouchement », note la professionnelle. A 14 heures, les deux femmes, qui ont accouché à 10h30 et 11h30 sont toujours dans le service.

Au comptoir, Nadia Wolff-Kieffer et Perrine Defrasne, les collègues de Marie-Christine, devisent sur les femmes en travail. L’une suivie par Nadia dans le box 3 « est inquiète ». « Elle a déjà perdu un bébé. Et là, le tracé [ndlr : des battements du cœur] du bébé n’est pas très bon, elle a peur. » Le pédiatre de garde, Mohamed Jernite, est appelé au cas où. Et puis finalement la naissance se passe bien, avec l’aide de Fabienne « qui a repositionné le bébé, qui est du coup descendu plus facilement ». Soulagement.

Nadia, Perrine, Marie-Christine et leurs collègues effectuent ainsi trois gardes de douze heures par semaine, de nuit ou de jour. Un travail parfois « épuisant moralement », quand huit à dix naissances s’enchainent en une garde et que l’accueil n’est pas aussi individualisé que souhaité, confient certaines d’entre elles. Au CMCO, les « gardes calmes », comme celle de ce jeudi du mois de juin, ne sont pas la norme, au contraire.

Avant, pendant et après chaque naissance, le dossier à remplir (Photo DR)

Les dernières heures de cette garde sont marquées par l’arrivée d’une femme, qui vient pour une césarienne. « Ici, on n’est pas tranquille deux heures », remarque Marie-Christine en remplissant un nouveau dossier d’admission. Trois jours plus tard, la sage-femme qui a demandé à venir de Hautepierre, « par curiosité, pour voir autre chose », change à nouveau de service. Affectée aux suites de couches (le séjour en maternité après l’accouchement), elle s’apprête à vivre une nouvelle expérience. Une fois de plus. Elle s’en amuse d’avance : « Je vais encore avoir l’impression de retourner en 2ème année d’école… » Comme elle, d’autres sage-femmes sont ou seront désormais amené(e)s à faire la navette entre les deux sites.


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