Au mois d’avril, le « Projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » sera débattu à l’Assemblée nationale. Mais ce texte du gouvernement est déjà devant la commission des lois et aux affaires sociales après avoir été présenté en février aux associations. L’objectif ? Réduire la durée de la procédure de demande d’asile et favoriser l’intégration. Face à certaines mesures et confusions entre des missions de police et des missions d’accueil, les acteurs de terrain sont affolés. Dans le Bas-Rhin, des associations accompagnant des demandeurs d’asile dénoncent un projet marqué par une logique de « découragement ».
Pour raccourcir la durée de la procédure de demande d’asile, le gouvernement envisage d’instaurer un délai maximum de recours auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) de 15 jours au lieu d’un mois. C’est l’une des mesures les plus critiquées car le demandeur d’asile devrait alors en 15 jours annoncer son intention de recours, faire une demande motivée, rassembler les pièces justificatives voire les témoignages.
Délai de recours réduit, une mesure « insurmontable » ?
À Strasbourg, l’association Casas accompagne ces recours. Pour Pascale Adam, une des salariées de l’association, c’est tout simplement « n’importe quoi » :
« Cette question des délais, c’est crétin. Quinze jours, c’est très court, c’est une mesure quasi insurmontable : quand les gens apprennent leur rejet, il nous faut leur trouver un « scribe », un interprète. Et puis on les aide à comprendre ce qui importe à la Cour, etc. Faire tout cela en un mois, ce qui est le délai actuel, c’est déjà compliqué ».
Pour elle, ces mesures sont à la fois contre-productives et dirigées « contre les personnes concernées » :
« Pour être efficace, il faut du temps. Ce n’est pas en allant plus vite qu’on fait mieux. La loi porte une logique de découragement, pour toujours évincer les personnes étrangères. Le gouvernement pense que nos conditions d’accueil les attire alors que la situation des demandeurs d’asile en France n’est pas franchement accueillante. Les migrants sont d’abord des gens qui font des choix difficiles, pas des touristes ».
Dans le Bas-Rhin, 2 000 demandes et 600 reconnaissances
En 2016, l’association a accompagné environ 600 recours auprès de la CNDA, mais en comptant les enfants accompagnants, cela concerne près de 1 000 personnes. Cette année là, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) a été sollicitée de plus de 2 000 demandes en provenance du Bas-Rhin. Elle en a admis 600, et après recours, 182. Au niveau national, l’OFPRA a traité plus de 85 000 demandes, dont 28% ont abouti. En 2017, les demandes sont montées à plus de 100 000, avec une protection accordée pour 36% des demandes, en comptant les recours réussis auprès de la CNDA.
Pascale Adam explique que dans le Bas-Rhin, les demandes aboutissent plus souvent qu’ailleurs :
« Il y a un assez fort taux de reconnaissance du statut de réfugié, car on fait du bon travail avec les associations. Surtout, il y a beaucoup de gens qui viennent d’Albanie et d’ex-URSS, et ces personnes obtiennent souvent le statut. »
Les associations sont aussi touchées
Le risque avec le projet de loi, c’est que cela devienne plus compliqué pour les demandeurs, mais aussi pour les accompagnants. Casas a vu passer près de 8 000 personnes dans ses permanences en 2016, et a régulièrement des difficultés pour maintenir ses finances. Et pour la Cimade, qui accompagne les réfugiés sur l’ensemble de leur parcours, de la demande de titre de séjour à la rétention, en passant par le recours, cela « va devenir compliqué », d’après Françoise Poujoulet, déléguée Alsace-Lorraine de l’association :
« Nous fonctionnons avec environ 160 bénévoles en Alsace-Lorraine. Si toutes leurs actions leur apparaissent vaines, ils vont se décourager ».
Jusqu’à plus de quatre mois de rétention, « alors qu’ils ne sont coupables de rien »
Plusieurs associations, comme la Cimade, critiquent d’autres volets du projet de loi, la généralisation des « vidéos-audiences », pour les entretiens avec la CNDA quand la personne est en rétention ou en « zone d’attente ». Les agents de la CNDA eux-mêmes ont mené une grève de 28 jours en février contre cette mesure.
Autre volet très critiqué : l’allongement de la durée de rétention, qui passerait de 45 à 90 jours, voire à 135 jours dans certains cas ! Rappelons que la rétention est une mesure administrative de détention, sans jugement, lorsqu’une personne est surprise en France sans titre de séjour.
Françoise Poujoulet dénonce une mesure « absurde » :
« En Allemagne, ils vont jusqu’à 18 mois de rétention et ont expulsé 26 000 personnes l’an dernier. En France, avec les 45 jours, 35 000 personnes ont été expulsées. Dans tous les cas, on sait que 90% des expulsions se font les dix premiers jours. C’est une mesure punitive et traumatisante. Les gens ne sortent pas indemnes d’une rétention, alors qu’ils ne sont coupables de rien. »
La France a été condamnée à sept reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour ces « traitements inhumains et dégradants ». Cinq dossiers concernaient la rétention d’enfants.
« Les gens ne vont pas arrêter de venir »
La Cimade alerte également sur un volet technique du projet : la systématisation des Interdictions de Retour sur le Territoire Français (IRTF) à toutes les personnes faisant l’objet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). « Donc à peu près tout le monde », selon Françoise Poujoulet, qui dénonce une mesure inefficace, voire néfaste :
« Les gens ne vont pas arrêter de venir. Sur cette question, personne ne travaille. Ceux faisant l’objet d’un bannissement du territoire français vont se maintenir, et vivront de plus en plus dans la précarité ».
C’est pourquoi la Cimade, après avoir publié un document de décryptage du projet, demande son retrait. Il risque, selon l’association, de « considérablement dégrader la situation d’un très grand nombre de personnes étrangères, par un affaiblissement de garanties et droits fondamentaux, et l’accentuation de la maltraitance institutionnelle ».
Les militants de Casas, eux, ont alerté les députés locaux, avec le Collectif pour une autre politique migratoire, et disent avoir bénéficié d’une « bonne écoute ».
Trouble parmi certains députés de la majorité
Même au sein de la majorité, ce texte préparé par le Ministère de l’Intérieur de Gérard Collomb provoque des remous… Quelques députés « En Marche » veulent voir le texte remanié avant sa première lecture à l’Assemblée. Et parmi eux, la députée du Bas-Rhin Martine Wonner (LREM). Elle ne « votera pas » le texte sans modifications. Elle aussi a de sérieux doutes sur l’intérêt de mesures comme l’extension de la durée de rétention, notamment après avoir visité le Centre de Rétention Administrative (CRA) de Geispolsheim et d’autres en région parisienne :
« On sait que les gens supportent tant bien que mal la rétention les 20 premiers jours, mais ensuite il peut y avoir des passages à l’acte, des angoisses… L’idée serait d’éviter l’allongement systématique à 90 jours et de faire du cas par cas. Surtout, on ne veut plus aucun mineur dans les centres de rétention ».
Les semaines à venir sont cruciales. Avant d’être présenté dans l’hémicycle à partir du 17 avril, le texte peut être amendé par la Commission des lois et par la Commission des affaires sociales, où Martine Wonner a été nommée référente pour ce texte. Des groupes de travail et ateliers législatifs sont en cours pour réfléchir aux modifications à présenter à la Commission, qui acceptera ou pas, ces modifications.
« Limiter les dégâts »
Martine Wonner cherche également à éviter le raccourcissement du délai de recours :
« On pourrait imaginer que le délai de recours raccourci à 15 jours ne concerne que l’intention de faire le recours, et qu’on laisse ensuite un délai plus long permettant de rassembler les pièces, faire une demande d’aide juridictionnelle, etc. J’ai aussi quelques doutes sur les vidéo-audiences systématisées… Si c’est juste pour faciliter la vie de l’administration, cela ne me va pas ».
Martine Wonner espère également améliorer le volet « Intégration » de la loi, avec des amendements qui permettraient par exemple aux demandeurs d’asile régularisés de pouvoir travailler le plus vite possible. La députée espère aussi « professionnaliser » l’accueil et l’intégration en coordonnant mieux les différents organismes concernés comme l’Office Français de l’Intégration et de l’Immigration (OFII), Pôle Emploi ou la Caisse d’Allocations Familiales (CAF).
Mais sur ce texte, le gouvernement semble vouloir comme à son habitude réduire les débats au maximum pour favoriser une adoption rapide. Martine Wonner n’entend pas se taire et prévient :
« Si les changements en commission ne sont pas acceptés, je me garde la possibilité d’amender en hémicycle ».
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