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Cyril Bonin : « Les auteurs de BD connus sont tous passés par Paris »

Pour ouvrir cette série d’interviews intitulée « mon voisin, cet artiste », Rue89 Strasbourg a rencontré Cyril Bonin, bédéiste de 42 ans, installé à Strasbourg depuis 20 ans. Il publie cette semaine son nouvel ouvrage, « L’homme qui n’existait pas », qu’il dédicace aujourd’hui de 14h à 18h chez JDBD, quai des Bateliers.

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Cyril Bonin partage son temps de travail entre la Krutenau et Neudorf. (Photos MMo)

Quand avez-vous décidé d’être artiste ?

« Très tôt. Comme tous les enfants, je dessinais beaucoup, tout le temps, et la famille m’encourageait. Je me souviens d’une de mes institutrices disant à mes parents : « il sera peintre » ; ça m’est resté en tête. Enfant, j’adorais les bandes dessinées, j’en faisais pour des amis, notamment des personnages de dessins animés. Vers 12 ans je crois, j’hésitais encore entre prof d’histoire ou de dessin et auteur de bande dessinée… et puis finalement j’ai opté pour la BD qui allie mes deux passions, le dessin et la narration. »

Votre entourage a-t-il eu une influence sur votre choix ?

« Mon père, autodidacte, a toujours été un peu artiste : il a fait de la photo, de la peinture, de l’artisanat (confection de sacs en cuir, de ceintures…). Ses encouragements et ceux de ma famille en général m’ont influencé. Si tout petit, on n’avait pas remarqué ce que je faisais, ça aurait peut-être changé des choses… Mais avec la fascination que j’ai pour le trait, pour l’image, je pense que je me serais sans doute tourné de toute façon vers un métier artistique. »

Astérix et Lucky Luke, puis Moebius ou Schuiten

Où avez-vous appris ce que vous savez (et que vous en reste-t-il) ?

« Je suis bourguignon. J’ai donc fait les Beaux-arts à Mâcon, puis les Arts décos à Strasbourg – j’ai intégré l’atelier d’illustration en 3ème année. Mais depuis l’enfance, j’ai appris à dessiner en recopiant les BD que j’aimais, Astérix, Lucky Luke, les comics américains (Spiderman, Captain America)… Mes goûts ont changé avec la maturité, je me suis tourné vers Moebius, Bilal, Schuiten, les piliers de mes premières influences. Les études m’ont appris la technique, et surtout la narration, le rapport texte-image. »

Quelles rencontres vous ont fait avancer ?

« Il n’y en a pas eu tellement dans le domaine de la BD, mais plutôt aux Beaux arts à Mâcon. C’est une petite structure dans laquelle les profs sont très proches des élèves. Certains m’ont fait avancer et prendre conscience de divers aspects de mon travail. Un prof de sculpture par exemple nous a parlé un jour de l’importance de changer de point de vue, purement formel (cadrage…) ou narratif (raconter du point de vue d’un autre personnage). Un autre m’avait dit que pour se trouver, il faut d’abord se perdre. Cette phrase m’a marqué, même si je pense aujourd’hui qu’on se construit plutôt. »

Comment décririez-vous votre univers ?

« En tant qu’auteur, je suis dans le questionnement – une position un peu différente quand je travaille avec un scénariste (Roger Seiter sur la série Fog par exemple). Dans Chambre obscure, il s’agit en apparence d’une intrigue policière à rebondissements, traité sur un mode assez ludique, mais, sur le fond, j’aborde le rapport entre la réalité et la fiction, à travers deux personnages féminins : la tante, qui croit à l’expérience de la vie, et sa nièce, plongée en permanence dans ses lectures et qui vit un peu par procuration. Dans La belle image, une adaptation d’un livre de Marcel Aymé que j’aurais aimé écrire, la réflexion se situe dans le rapport aux autres, l’image qu’on a de soi-même et que les autres nous renvoie. Et dans le dernier album, L’homme qui n’existait pas (toujours chez Futuropolis : voir planches ci-dessous), j’en reviens à la thématique du rapport fiction/réalité, à travers un personnage de cinéphile solitaire, qui fuit la réalité de la vie et se réfugie dans la fiction des films hollywodiens. Au niveau graphique, je suis dans un registre semi-réaliste, avec lequel j’aime bien jouer. De temps en temps, je vais plus vers le réalisme (L’homme qui n’existait pas), à d’autres moments, plus vers la caricature (Chambre obscure).

Qui ou qu’est-ce qui vous inspire en ce moment ?

« La vie. Pour L’homme qui n’existait pas, mon postulat de départ est que le personnage perd tout matérialité du jour au lendemain. Une sensation que tout le monde peut expérimenter, ce sentiment de vacuité de la vie, qu’on peut ressentir quand on se fait doubler dans une file d’attente par exemple… J’apprécie aussi le travail très solitaire – comme mon personnage ; il m’arrive de passer des journées sans voir personne, si ce n’est ma compagne et mes enfants le matin et le soir. Et comme le héros, je suis cinéphile… Oui, c’est mon album le plus autobiographique. J’ai même pensé un moment situer l’action à Strasbourg. Mais non, ça faisait trop de points communs. »

Comment et quand travaillez-vous ?

« Pendant longtemps, j’ai été un animal nocturne : je travaillais de midi à 2h du matin. Maintenant, avec les enfants, mes horaires sont plutôt de 10h le matin à 11h le soir, avec une pause déjeuner et une autre entre 16h30 et 18h. Je travaille chez moi, aussi bien que dans l’atelier à Neudorf que je partage avec ma compagne (ndlr : Valérie Graftieaux, dessinatrice et photographe, qui revient d’une résidence à Venise où elle a passé un mois à faire de la gravure. Une partie de son travail sera exposée à la galerie In Extremis, rue Sainte-Madeleine, pendant les Ateliers ouverts). »

« Je n’ai pas d’ambition personnelle »

Pourquoi avez-vous choisi de vous installer / rester à Strasbourg ?

« Je suis arrivé en 1992 pour les Arts déco et puis je suis resté, d’abord parce que Strasbourg est une belle ville et puis parce que j’étais en couple… J’ai habité dans une chambre de bonne à l’Orangerie pendant mes études, puis quai des Bateliers, rue Sainte-Elisabeth (derrière l’hôtel du Dragon), rue Sainte-Madeleine (Krutenau), rue de Molsheim (Musée d’art moderne) et finalement rue Jacques-Peirotes à la Krutenau. J’aime ce quartier vivant et populaire, avec ses petits commerces… Et bien sûr, la proximité du centre-ville. »

Jusqu’où iriez-vous pour connaître la gloire ?

« Pas très loin en fait (rires). Je n’ai pas d’ambition personnelle. Les gens qui sont connus, ne sont pas connus pour rien… Ils sont montés à Paris, ont frappé aux bonnes portes. Le fait de ne jamais avoir habité Paris (mon cas) est un handicap pour « connaître la gloire ». Ce qui est ennuyeux c’est que j’ai l’impression qu’il faut être vraiment célèbre aujourd’hui pour pouvoir monter les projets qui vous tiennent à cœur. Quand on n’est pas connu, les éditeurs vous proposent surtout des collaborations avec des scénaristes ou des sujets/projets qu’il estiment plus commerciaux. Pour moi, réussir à convaincre n’est pas toujours facile. Pour l’instant je me bats sur chaque projet. »

Dans votre domaine, peut-on vivre aujourd’hui de son art ?

« Oui, mais c’est de plus en plus difficile. Il y a toujours plus d’auteurs, et les ventes se réduisent d’autant puisqu’il faut partager le marché. Mes albums en moyenne se vendent autour de 12 000 exemplaires. Le tome 1 de la série Quintett (Delcourt) s’est très bien vendu, à 50 000 exemplaires. Certains tomes de Fog sont montés jusqu’à 25 000 exemplaires… Je fais environ un album par an et ça me suffit pour vivre. Bien sûr, tout dépend des besoins de chacun. »

« Le marché est saturé, avec plus de 10 nouveautés par jour en France. »

Si vous aviez un conseil à donner à un jeune artiste…

« Il ne faut pas être là par hasard. Avec la mode des blogs BD, de plus en plus de dessinateurs sont repérés par des éditeurs, alors que j’ai la sensation que certains font ça par opportunisme, comme ils feraient du rock, juste pour devenir célèbre. Pareil pour ceux qui adaptent un scénario de film, parce qu’ils n’ont pas réussi à séduire les studios, ou ceux qui succombent à la mode du moment, la BD documentaire… Ces albums viennent parasiter le marché de la BD « d’auteur ». Ce que j’aime faire moi, c’est partir d’une question, la développer dans la fiction. Créer des personnages, leurs inventer une vie… En tant qu’auteur de BD, plus on développe son univers, plus on devient hermétique aux autres univers. Donc je lis peu de BD, par peur de tourner en vase clos. Je crois qu’il faut être ouvert et curieux, mais pas sur son propre média. »

Vos lieux favoris ?

« Le Café Stern, place de la Bourse, où on va lire la presse régulièrement avec ma compagne avant de démarrer la journée. Et puis la petite boutique de locations de vidéos Les Petites fugues, où on va souvent. Le restaurant Vert olive, un libanais juste à côté, rue de la Brigade-Alsace-Lorraine, et médiathèque Malraux où je passe du temps, surtout quand je démarre un nouvel album et que je cherche de la documentation… »

Cyril Bonin dédicace son nouvel album L’homme qui n’existait pas cet après-midi, de 14h à 18h chez JDBD, quai des Bateliers.


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