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Crosswind : à la croisée des drames de l’histoire et du plus beau des cinémas

En 1941, après l’invasion de l’Estonie, Staline organise la déportation massive et arbitraire de dizaines de milliers d’estoniens en Sibérie. Embarquée avec sa petite fille, Erna laisse derrière elle son mari et restera des années sans aucune nouvelle à son sujet. Pendant 15 ans, elle ne cessera de lui adresser des lettres alors qu’elle ignore complètement si elles ont la moindre chance de lui parvenir. C’est cette correspondance à sens unique qui sert de trame à Crosswind.

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Tableaux humains sur la déportation trop peu connue de milliers d’estoniens en Sibérie (Photo ARP Distribution)

Quand Erna est déportée d’Estonie en Sibérie par les Soviétiques en 1941, elle perd sa petite fille. Cette perte innommable décuple la douleur et l’isolement de la jeune femme. Pour ne pas laisser tout le vide physique et affectif qui l’entoure l’engloutir dans un présent insurmontable, la jeune femme se nourrit journellement de la douceur des souvenirs très heureux de sa vie passée. Mais elle est également terrifiée à l’idée de ce que cette situation présage sur le destin de son époux, et se ronge de tous les remords qu’elle a d’avoir refusé de quitter l’Estonie alors qu’il en était encore temps.

Les souvenirs, les remords et les regrets en guise de tout dialogue (Photo ARP Distribution)

Un film original et bouleversant

C’est cette histoire réelle qui sert de trame à Crosswind, film du réalisateur estonien Martti Helde. Depuis son adolescence, il est passionné par le cinéma et tourne quelques films amateurs. C’est à l’occasion d’un concours organisé par l’Estonian Fund Film, qu’il commence cette œuvre magistrale sur la déportation des Estoniens vers les camps de Sibérie. À 28 ans, il signe ce premier long métrage dont le parti pris de « l’album photos » le projette très loin de tout ce qui a été déjà vu sur grand écran, que ce soit à propos des thématiques de la guerre ou sur d’autres sujets.

Tantôt porté par la beauté des images en noir et blanc, puis littéralement transporté par la sensibilité des lettres d’Erna qui crie son désespoir  avec une dignité stupéfiante, le spectateur ne se lasse jamais. La profondeur presque palpable de la musique qui accompagne les mouvements de la caméra est le moyen d’une immersion totale au coeur de ces tableaux. C’est par le miracle de l’esthétique de chaque plan que l’on devient capable de supporter l’indicible, et de soutenir chaque respiration de la belle Erna.

Les trains de la mort, de la solitude et de l’oubli pour des années (Photo ARP Distribution)

La déportation dans toute son ampleur

Les scènes de la déportation massive des estoniens en 1941 sont bouleversantes. Gardés par des soldats russes, des camions déversent les prisonniers hébétés. Des fusils tendus, des corps qui s’effondrent, des enfants hagards, tout respire la peur et l’effroi. Les soldats figés dans leurs postures menaçantes sont plus effrayants que jamais.

Puis les images se remplissent du nombre des victimes qui s’entassent pour êtres englouties dans la gueule du loup, ces wagons à bestiaux qui mèneront un très grand nombre directement vers la mort. Pour évoquer l’une des heures les plus noires de l’histoire de son pays, Martti Helde a fait un pari esthétique sans précédent, qui délivre l’horreur de son pathos sans jamais la minimiser, bien au contraire. Le geste est radical : par ces plans immobiles les marques de la souffrance semblent ne plus pouvoir s’effacer pour rester gravées à jamais.

La Bande-annonce

Le véritable tour de force de Martti Helde est d’avoir su exploiter cette source limitée mais privilégiée constituée par la correspondance d’Erna. Cette pudeur du propos, cette sublimation de la douleur, devient un hymne au courage et à la résistance de la jeune femme qui ne ploie ni devant la captivité, ni devant la possibilité de pactiser avec ses geôliers, ni devant l’envie de trahir son pays d’origine. Sa beauté est magnifiée par sa ténacité ; elle reste en suspens toutes ces années interminables, et maintient intégralement son espoir de revoir son mari et son pommier en fleurs.

Un véritable coup de cœur pour une émotion sans pareille

La mise en scène très spécifique et le mode narratif aurait pu donner un ton précieux à ce récit. Mais très vite on est saisis et conquis par tout ce que ce film apporte de singulier. Il transcende toutes les lourdeurs de forme pour se muer en un magistral poème tragique qui rend hommage à tant de victimes méconnues ou depuis longtemps oubliées.

Un témoignage poignant sur toutes les forces de résistance qui émergent  par amour (Photo ARP Distribution)

Témoignage historique, romance tragique et expérience cinématographique inédite, cette Croisée des vents est surtout un océan de sensations et d’émotions dans lequel on accepte volontiers de se noyer. L’esthétique pourtant fabuleuse ne prend jamais le pas sur le fond du propos, car la voix off donne continuellement le premier rôle à la tristesse et à la mélancolie. Nous resterons inconsolables à l’idée de tant de vies effacées du cours de l’histoire, et de tant d’existences gâchées, pulvérisées par la haine et la folie meurtrière des hommes.

À voir à Strasbourg aux cinémas UGC Ciné-Cité et au Star


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