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À Cronenbourg-Cité, la vie de quartier suspendue au tempo des travaux

En raison d’importants travaux de rénovation, le centre L’Aquarium, à Cronenbourg, sera fermé pendant un an et demi. Puis le centre socio-culturel Victor Schoelcher sera détruit et reconstruit. Dans un quartier dénué de lieux de vie, le temps des travaux sera plus long à vivre pour les habitants.

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« On va pas se mentir, vu de l’extérieur, ça ressemble à une verrue dans le quartier ». Prononcé sans cruauté, le jugement de Mohamed Ketthab tombe juste. Le centre où travaille l’animateur, L’Aquarium, ressemble effectivement à un gros local poubelle. De loin, c’est un cube massif coulé dans le béton, avec des barreaux à certaines fenêtres. À l’intérieur pourtant, rien à voir : plus d’aspect carcéral mais une ambiance chaleureuse et vivante.

Dès le rez-de-chaussée, le visiteur peut entendre trois sons distincts : le rebond du cuir sur le sol, le choc du bois sur le plastique et la voix de Jamel Debbouze. D’un côté le gymnase, partagé entre les basketteurs et les pongistes. De l’autre la cafet’, où une dizaine de personnes rassemblées discutent devant un épisode de la série H. « Ici il y a de la convivialité, on accueille entre 150 et 200 personnes par jour, avec là dedans beaucoup de jeunes de moins de 26 ans », explique Mohamed Ketthab. « Ça va faire un sacré vide dans le quartier, quand ça va fermer… »

De l’extérieur, le délabrement du centre est facilement visible.

À partir du lundi 11 mars, les portes du bâtiment resteront closes. Pendant une semaine, les équipes du centre socio-culturel Victor Schoelcher – dont l’Aquarium est une annexe – viendront déménager les affaires. Puis un long chantier de rénovation démarrera, afin de mettre le lieu aux normes d’accueil du public et améliorer son aspect visuel. Les travaux devraient durer au moins jusqu’à l’été 2025, pour un coût de 2,5 millions d’euros.

Aquarium antique

Visuellement, L’Aquarium fait son âge. Construit en 1969 lorsque les tours du quartier sont érigées, les près de 1 000 mètres carrés du bâtiment servent de local aux premiers membres du CSC Victor Schoelcher. Lorsque ces derniers obtiennent un nouveau bâtiment, au 56 rue du Rieth, L’Aquarium devient une annexe dédiée aux activités sportives.

Quand Mohamed Ketthab s’engage dans le centre, en 1995, il présente un projet tourné vers la pratique sportive, avec l’Association des jeunes de Cronenbourg. « Ici on propose du socio-sport, c’est à dire la découverte des sports avec des intervenants, dans un cadre flexible. On voulait que le lieu soit ouvert aux jeunes, à des heures où ils sont disponibles. C’est à dire après l’école jusqu’à 21h. »

En plus du basket et du tennis de table, L’Aquarium organise également des cours de boxe et de danse, du renforcement musculaire, des initiations à l’informatique ou à la couture… Et propose un accueil libre et ouvert à la cafétéria. On s’installe, on discute, on prend son café. Pour le sport, les activités se pratiquent soit de manière encadrée en petit nombre ou de façon plus libre, mais toujours en présence d’un animateur.

« Pour certains jeunes fragilisés, il ne faut pas qu’il y ait trop de contraintes, sur l’assiduité par exemple, sinon ils ne vont pas venir. Et on essaye d’être discret, on ne fait pas la police. Au final, les jeunes participent à la vie du lieu et aux respects des règles. »

Mohamed Ketthab, animateur à L’Aquarium

Avec cinq enfants, dont quatre fréquentent le centre, Moustafa Aliev est directement concerné par la fermeture du centre. « Pour les parents du quartier, ce centre est parfait. De nos fenêtres, on peut voir s’il y a des animations, on a le numéro des animateurs. C’est aussi un soulagement : on sait que nos enfants ne jouent pas dans la rue et ne courent pas au milieu des voitures. » L’Aquarium est cerné par un grand parking.

Avec sa fermeture, le centre ne mettra pas fin à ses activités. Une grande partie des cours se dérouleront au centre Victor Schoelcher le temps des travaux, mais aussi au gymnase Sophie Germain, ou dehors sur le parvis du parc de la Bergerie. « Il fallait qu’on fasse cette rénovation, qui vaut vraiment le coup, même si c’est dur pour le quartier, admet Mohamed Ketthab. Notre objectif est que tout le monde vienne à Victor Schoelcher ! Même si on ne récupère qu’une partie des jeunes, ça vaut le coup de maintenir les activités. »

Reconstruction au CSC Schoelcher

Il est midi. De l’autre côté de la Cité nucléaire, la salle polyvalente du CSC Victor Schoelcher fait salle comble. Une quarantaine d’habitants du quartier et d’agents de la Ville viennent ici pour déjeuner, au sein du restaurant du centre, un chantier d’insertion. « Aujourd’hui, c’est burger, c’est toujours un succès », commente Romain Beckendorf, depuis son comptoir à l’accueil. Après avoir travaillé pendant sept ans en restauration, l’ancien cuisinier rencontre des problèmes avec son patron, connaît une importante prise de poids et s’éloigne de l’emploi. « J’ai été suivi par la CAF, qui m’a orienté vers ce chantier d’insertion. Ici, je suis agent polyvalent, je travaille principalement en cuisine, mais je peux aussi faire des remplacements, comme aujourd’hui à l’accueil. »

Le centre socio-culturel Victor Schoelcher, à l’entrée du quartier.

Plus tard dans la journée, les vétérans du quartier pourront venir au réfectoire pour jouer à la belote, prendre un café ou lire, le lieu étant ouvert à tous ceux qui veulent s’y installer. Pour les habitués de L’Aquarium, souvent plus jeunes, le réfectoire restera ouvert plus longtemps et servira de lieu d’accueil.

Construit en 1985 en même temps que la médiathèque qui le jouxte, le CSC Victor Schoelcher est pourtant moins vétuste. Il connaîtra bientôt aussi une rénovation. « Contrairement à L’Aquarium, il s’agira ici d’une démolition-construction. Le nouveau bâtiment sera partagé entre la médiathèque, le CSC et le service des espaces verts », détaille Laurent Cécile, le directeur du CSC.

« Le travail a déjà commencé avec les équipes de la Ville, mais on est encore loin du début des travaux. Il y aura d’abord un concours d’architectes, la sélection des projets puis enfin la réalisation du bâtiment. Pendant toute la phase de construction, il faudra prévoir la manière dont on s’organise pour ne pas pénaliser ceux qui fréquentent le centre. »

Laurent Cécile, directeur du Centre socio-culturel Victor Schoelcher
Laurent Cécile, directeur du centre Victor Schoelcher. Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg

Vide dans le quartier

Mais en l’absence de commerces et de troquets dans le quartier, les deux centres font partir des rares lieux où les habitants peuvent s’installer. Le seul café du coin, le « Salon de thé Cronenbourg », ferme à 17h. Ceux qui veulent se retrouver plus tard devront se rendre dans le Vieux-Cronenbourg, ou plus loin à l’extérieur du quartier.

« Ce sont des lieux culturels qui sont déjà très utilisés, avec des créneaux pleins. Ça anime Cronenbourg et ça concerne tout le monde, de la petite enfance aux personnes âgées », appuie Thierry Caubère, membre de l’association de quartier « L’Acrociation ». Comme d’autres Cronenbourgeois (rencontrés au cours de l’opération « Quartiers connectés », NDLR), il est dans une position ambivalente : satisfait de voir les rénovations commencer mais inquiet de leurs conséquences.

En plus du rôle social direct du centre et de son annexe, les lieux sont également cruciaux pour les collectifs du secteur. « Il manque déjà des salles de réunions », reprend Thierry, « on utilise le centre Schoelcher pour organiser nos assemblées générales, comme beaucoup d’autres associations. Pour nos autres réunions, on se débrouille, on fonctionne au bouche à oreille et on se retrouve dans des cafés du Vieux-Cronenbourg. »

Même refrain pour Mohamed Ketthab, qui liste les revers du quartier : « On a laissé partir la mission locale, les commerces, on manque d’équipement, d’une salle de spectacle, d’une salle des fêtes, de guichets de banque », liste Mohamed Ketthab. « Heureusement, on a quand même deux stations de bus, l’accès à la ligne G et le parc de la Bergerie. »

Kebab municipal

Face aux critiques sur le manque de lieux communs dans le quartier, l’élue référente du quartier, Christelle Wieder, ne semble pas surprise : « C’est un point délicat, nous aussi on constate qu’il n’y a rien d’autre, une fois que L’Aquarium ferme. On ne trouve rien pour acheter une cannette ou une frite. Mais en tant que municipalité, on n’a pas les leviers suffisants pour assurer l’ouverture d’un snack par exemple. On ne peut pas créer de döner kebab municipal. »

Christelle Wieder, adjointe en charge de l’égalité de genre et du territoire « Cronenbourg-Cité nucléaire ».

Dans les prochaines années, l’effort de construction se poursuivra assure l’adjointe. Une somme de 80 000 euros a été allouée pour mettre en place des aménagements extérieurs, aux abords de L’Aquarium. Le terrain vague à côté du stade du FC Cronenbourg sera également aménagé, à proximité d’un espace servant à déménager le marché de la place de Haldenbourg d’ici 2025. « Pour moi, ça revient à un travail de rattrapage », reconnaît l’élue, « c’est une façon de reconnaître que les actions de l’État et de la municipalité n’étaient pas à la hauteur des besoins du quartier. »


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