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Covid long : l’errance de Florent, alité 24h/24 et sans solution de traitement

Florent est atteint d’un Covid long qui provoque chez lui un syndrome de fatigue chronique. Son état s’est progressivement dégradé. Il est, depuis août 2022, contraint de rester en position couchée toute la journée. Le jeune homme de 28 ans n’a toujours pas de solution de traitement curatif pour alléger ses symptômes.

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En octobre 2020, Florent Lacombe contracte une première fois le Covid-19. Il est touché par la maladie une deuxième fois en mars 2022, malgré sa couverture vaccinale (les personnes vaccinées diminuent de 40% le risque de développer un Covid long selon une étude menée sur 250 000 patients).

Le 4 avril 2022, il reçoit un certificat médical attestant qu’il est atteint de Covid long, vu la persistance de symptômes de fatigue, d’une sensation de « brouillard cérébral », d’un épuisement musculaire ou encore de troubles neurologiques. Sur ce même certificat, il est écrit que sa maladie « ne relève d’aucune stratégie thérapeutique validée en France ».

Florent est contraint de passer presque tout son temps alité depuis août 2022. Photo : remise

22 heures par jour sans bruit et dans la pénombre

Un an plus tard, en avril 2023, il n’existe toujours aucun traitement curatif du Covid long, seulement des traitements qui visent à alléger les symptômes. Afin d’atténuer sa souffrance, Florent n’a trouvé que les anxiolytiques pour « soulager les pétages de plombs », de la mélatonine et parfois des somnifères qui l’aident à dormir. En octobre 2022, vu sa dépendance de plus en plus marquée, il quitte sa colocation pour vivre chez ses parents, à Colmar.

Joint par Rue89 Strasbourg, le jeune homme de 28 ans préfère décrire son état par messages écrits plutôt qu’au téléphone. Il n’est pas en capacité de tenir une conversation de plusieurs minutes :

« J’ai des maux de ventre, des troubles du sommeil, des pics d’acouphènes, parfois très forts, des troubles de la vision… Il me faut désormais rester entre 22 et 23 heures par jour sans bruit, dans la pénombre, sans aucune activité. Le temps qui reste est dispatché en petites sessions de 10 / 15 minutes d’activités douces : manger, m’étirer, me laver, écouter un livre audio, écrire des messages… Si je dépasse ce temps-là, je déclenche le jour même ou les jours suivants une dégradation très forte de mon état, avec un épuisement, des douleurs, qui se dissipent, ou pas. »

« C’est dur de voir l’état de mon fils se dégrader »

Florent est suivi par Paolo Licinio, médecin coordinateur de la cellule Covid long des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. Selon ce dernier, comme d’autres patients atteints de symptômes similaires, le virus a vraisemblablement causé l’apparition d’une encéphalomyélite myalgique, communément appelée syndrome de fatigue chronique :

« C’est l’une des formes du Covid long. Tout ce que l’on peut faire, c’est de la rééducation, avec parfois des améliorations. Pour Florent, à ce stade, c’est très limité car il ne peut faire quasiment aucun effort, sinon son état se dégrade. Ce que je vais lui proposer, c’est donc une forme de rééducation très douce, en position couchée, pour qu’il reste actif. »

Paolo Licinio coordonne la cellule Covid long à l’hôpital de Hautepierre à Strasbourg. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Sophie Lacombe, la mère de Florent, est médecin diabétologue. C’est elle qui est contrainte de « piloter le dossier médical » de son fils :

« D’abord, les autres médecins généralistes étaient démunis, ou ne prenaient pas le cas de Florent au sérieux. Surtout, je vois l’état de mon fils se dégrader, donc j’essaye de trouver des solutions, mais en France il n’y a rien, donc on regarde ce qui se fait à l’étranger. »

Tentative de traitement du sang en Allemagne : coûteuse et douloureuse

L’une des hypothèses pour expliquer les symptômes du Covid long, c’est la présence de micro-caillots dans le sang. Pour essayer d’aller mieux, Florent s’est donc tourné vers l’Allemagne, où certaines cliniques pratiquent « l’aphérèse » : un lavage du sang par filtration. « Nous n’avons pas assez de données aujourd’hui pour proposer l’aphérèse à Strasbourg », indique le Dr Licinio.

Peu d’études ont été réalisées sur ce procédé, mais il semble efficace, dans certains cas, pour atténuer les symptômes du Covid long. Cependant, la pratique est très expérimentale et comporte des risques. Florent, par exemple, n’a pas supporté le traitement, comme l’explique son père, Pascal Lacombe :

« Nous sommes allés dans une clinique à Witten. Florent devait réaliser quatre aphérèses de trois heures chacune, à une semaine d’intervalle. Le sang était prélevé au niveau d’un coude, passait dans la machine et revenait par l’autre coude. Après la première séance, certains symptômes se sont amoindris, par exemple une sensation de froid dans les orteils et les doigts, qu’il a en permanence. Mais il n’a pas supporté la position assise pendant aussi longtemps, donc le lendemain et les jours qui ont suivi, il était effondré.

Nous sommes restés trois semaines sur place, le temps qu’il récupère, puis nous sommes partis, mais impossible de faire les autres aphérèses. Celle qu’il a réalisée nous a coûté 1 300 euros. S’il avait fait les quatre, on aurait payé 5 200 euros. En plus de cela, nous avons loué un appartement près de la clinique. Je me demande comment font les personnes atteintes de Covid long, qui n’ont pas nos moyens financiers et notre réseau. »

« Psychologiquement, c’est d’une violence inouïe »

Désormais, Florent envisage une autre technique d’aphérèse avec laquelle il pourrait être en position couchée, en faisant circuler le sang par les veines jugulaires, derrière les clavicules. « Ma plus grande source d’espoir, c’est de voir que des pays comme l’Allemagne débloquent des millions d’euros en urgence pour financer la recherche et des essais cliniques. Je ne doute pas qu’à long terme, une vraie cure sera trouvée », témoigne t-il. Florent est évidemment très affecté par la situation :

« Psychologiquement, c’est d’une violence inouïe. J’ai dû quitter ma copine, mes amis, mon lieu de vie, pour retourner chez mes parents, dans un état où je n’arrive même plus vraiment à marcher. Je tiens bon, parce que j’aime ma vie, mes proches, que j’ai plein de projets, et que je sais que d’autres malades très sévères du Covid long ont pu, parfois, remonter la pente. Tout peut repartir. Mais ce n’est pas facile de se le répéter tous les jours. »

Non reconnaissance de l’Affection longue durée

Ne pouvant plus travailler, en juillet 2022, Florent a demandé la reconnaissance de son Affection de longue durée (ALD) – avec l’aide de son médecin – pour obtenir une meilleure prise en charge financière de ses soins. En l’absence de réponse, quatre demandes consécutives ont été réalisées, jusqu’à l’obtention, enfin, d’une ALD « hors liste », le 13 mars 2023, et non pas reconnue pour le « Covid long ».

Pourtant, selon Santé publique France, deux millions de personnes souffrent de cette pathologie dans le pays, sans compter les mineurs. Et une loi promulguée le 24 janvier 2022 vise à créer une plateforme de référencement et la prise en charge intégrale des soins et analyses des malades du Covid long par l’assurance maladie et les complémentaires santé. Mais fin mars 2023, son décret d’application n’a toujours pas été publié. Et il n’existe toujours pas d’ALD « Covid long ».

Sophie Lacombe a adressé une lettre datée du 27 février à l’Agence régionale de santé (ARS) Grand Est et au ministère de la Santé pour demander l’application de cette loi :

« Les millions de Français qui souffrent d’un Covid long ne peuvent pas disposer de la reconnaissance de leur état de santé, ni d’une assistance sanitaire suffisante, ni d’indemnités journalières. De nombreux malades se retrouvent dans une situation d’errance médicale, de précarité financière, perdent leur emploi, leur autonomie, et basculent peu à peu dans une situation de handicap sévère. »

L’association #AprèsJ20 Covid long France (qui défend les droits des malades atteints de Covid long en France) milite pour le recensement, la recherche, la reconnaissance en ALD et la création de centres pluridisciplinaires pour une prise en charge adaptée de la maladie.

Son porte parole Matthieu Lestage, ancien militaire aujourd’hui en fauteuil roulant à cause du Covid long, dénonce une « honte sanitaire » en France :

« Face à l’absence de solution et le défaut de prise en charge, beaucoup de personnes dans notre situation ont des pensées suicidaires. Malheureusement, le cas de Florent est loin d’être isolé. Il y a de nombreuses formes différentes du Covid long. De mon côté, je perds connaissance si je dépasse mes limites, si je sors trop longtemps par exemple. »

Une cellule Covid long à Strasbourg

Sollicité par Rue89 Strasbourg, le ministère de la Santé n’a pas répondu au sujet de la non application de la loi du 24 janvier, et des solutions médicales et financières à prévoir pour les personnes atteintes de Covid long. Sophie Lacombe a cependant réceptionné un courrier provenant du chef de cabinet de la Première ministre, Thomas Lavielle, daté du 31 mars, indiquant que le décret d’application devrait être publié fin 2023.

D’après l’ARS Grand Est, il est difficile d’estimer combien de personnes sont atteintes dans la région, car elles sont nombreuses à être suivies par des médecins généralistes. L’institution « a permis la création de cellules Covid long sur huit départements dans le Grand Est », avec des recrutements dédiés dans certains établissements. Micro-caillots sanguins, dérèglement du système immunitaire, persistance du virus dans l’organisme… les hypothèses sur les causes du Covid long se précisent, et les scientifiques explorent des pistes pour traiter ses différentes formes.

Les consultations de la cellule Covid long alsacienne se déroulent à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

La cellule Covid long des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, censée couvrir les besoins du département de la Collectivité européenne d’Alsace, a ouvert ses portes en janvier 2023. « Je suis les dossiers d’une soixantaine de personnes », indique Paolo Licinio, qui n’a plus de rendez-vous disponibles jusqu’en juillet.


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