Rue89 Strasbourg : Vous êtes chirurgien cardiaque et chef de service aux hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). Est-ce que votre équipe participe à l’effort collectif contre l’épidémie de Coronavirus ?
Jean-Philippe Mazzucotelli : « Nous avons complètement arrêté notre activité de chirurgie pour ne garder que les patients les plus menacés et les urgences vitales. Nous avons ainsi annulé plus d’une vingtaine d’opérations cette semaine et ça sera pareil la semaine prochaine. Notre service dépend du nombre de lits disponibles en réanimation. Comme l’infection Covid-19 monopolise les lits de réanimation, nous sommes obligés de réduire drastiquement notre activité.
Le deuxième problème causé par le coronavirus est celui du personnel. Nous avons fermé l’unité de chirurgie cardiaque vasculaire pour que nos infirmières puissent travailler avec les patients liés à l’épidémie.
« Chacun fait des efforts considérables pour s’organiser et éviter une catastrophe »
Pr Jean-Philippe Mazzucotelli
Aujourd’hui, tout le monde a compris que la solidarité est indispensable et chacun fait des efforts considérables pour s’organiser et éviter une catastrophe, même si celle-ci n’est pas forcément évitable.
Le personnel vient à manquer pour faire face au Coronavirus. Mais le sous-effectif était déjà chronique aux HUS, non ?
On part clairement avec un handicap. Depuis quatre ans, les HUS subissent une phase d’économies et d’austérité. On a réduit la masse salariale. En juillet 2019, il manquait environ 150 infirmières. Lorsque les médecins ont menacé de faire grève, en accord avec les syndicats, des recrutements ont bien eu lieu. Du coup, aujourd’hui, il nous manque une centaine d’infirmiers sur tous les HUS… Mais le manque concerne aussi le nombre de médecins, le nombre de lits… Vous voyez donc le contexte dans lequel s’inscrit cette épidémie. Pour ne pas être dépassés, on doit tout arrêter.
Pensez-vous que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg parviendront à gérer cette crise sanitaire ?
Ce qu’il faut craindre c’est qu’on ne soit pas en mesure de soigner tous les patients graves qui arriveraient en urgence, que ce soient les patients Covid-19 ou d’autres patients. Aujourd’hui, il ne nous reste plus que quelques lits de libres en réanimation, et nous ne sommes qu’au début de l’épidémie. Le nombre de patients va exploser donc on essaye de récupérer des infirmières partout. On a même demandé à des établissements privés et plusieurs personnes ont répondu positivement. On va aussi demander aux étudiants de venir en réanimation. Ce sont les seuls moyens à notre disposition pour augmenter nos effectifs…
A-t-on une idée de la date à laquelle le pic de personnes infectées sera atteint ? Sait-on combien de personnes seront alors contaminées ?
C’est très difficile à dire… Aujourd’hui, les seuls chiffres dont on dispose sont des projections à partir des cas de la Chine et d’Italie. En Italie, les hôpitaux ont multiplié par neuf le nombre de lits de réanimation et ils n’ont même pas encore atteint le pic de l’épidémie. On vit au jour le jour. Je crains qu’on évolue vers une situation où l’on ne sera plus en mesure de soigner tous les patients. On devra alors faire des choix entre ceux qu’on soignera et ceux qu’on va laisser… Ce sont des choix qu’on ne fait qu’en période de guerre. En trente ans de carrière à l’hôpital, ça ne m’est jamais arrivé… »
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