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« La Covid-19 est un rappel que l’humanité doit évoluer »

L’empreinte de la covid-19 marquera nos sociétés bien plus longtemps que ces quelques mois. L’Évolution nous enseigne que la crise sanitaire pourrait avoir des conséquences positives parce qu’elle peut changer durablement nos habitudes.

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« Pour sauver des vies, restez chez vous ! » Cette phrase, une injonction pour éviter le pire de la crise sanitaire, s’est soudain déclarée aux yeux des Français en mars. Dans l’esprit de chacun de nous, c’était la réponse collective nécessaire à l’irruption d’un virus dont la transmission d’homme à homme a provoqué la première pandémie du XXIe siècle. Bien que le virus soit mortel dans moins de 0,5% des cas, la plupart des gouvernements ont entrepris de figer la vie sociale et économique pour éviter le pire : 0,5% de 60% d’humains infectés, cela représenterait à l’échelle mondiale 24 millions de morts. 

Il n’y a donc aucun doute que les politiques de confinement, prolongées par celles de détection et d’isolement des personnes infectées étaient celles qu’il fallait appliquer dans l’urgence. Elles ont permis la limitation du nombre de cas graves et l’accueil de ces derniers dans les hôpitaux. La contrepartie à payer va d’un déficit éducatif pour les enfants au ralentissement du système économique basé sur la consommation de masse.  

C’est en soi une bonne nouvelle et cela démontre la centralité des relations sociales humaines pour notre économie. Mais, pour un biologiste de l’Évolution, la crise actuelle a une tout autre signification, et celle-ci souligne que la réussite du déconfinement à venir tient quant à elle pour beaucoup à la responsabilité individuelle : à court terme sur la discipline avec laquelle chacun d’entre nous va appliquer les mesures de distanciation physique, de port du masque et de réduction de nos relations sociales à de simples signes ou sourires ; à long terme, sur notre capacité à refuser les lois de l’Évolution.

Cette crise, un processus de sélection génétique

La crise actuelle montre la réalité de la théorie de l’Évolution. Un virus s’est adapté à un nouvel hôte, nous. La diversité des réponses immunitaires individuelles – qui varient de l’asymptomatique à l’explosion inflammatoire mortelle – nous dévoile que l’humain peut, comme tous les êtres vivants, avoir une panoplie de réponses interindividuelles extrêmement diverses, et cette variation est à la base même du processus qui conduit à l’évolution des espèces.

Malheureusement, la disparition de tant de nos semblables est la manifestation du processus de sélection qui va nous mener sur la voie de notre immunisation commune. Jusqu’à la prochaine mutation virale. Et ainsi de suite.

Certes, la diversité des réponses individuelles est déroutante pour la médecine mais si hôtes et parasites bataillent depuis des millions d’années, ils sont tous soumis à la sélection et le cycle infection / guérison / immunité en sont des principes immuables. On peut d’ailleurs considérer que l’Homme modifie sa propre évolution, à travers les efforts sociétaux pour limiter les décès, optimiser sa fertilité ou via l’arrêt de la sélection par la vaccination.

Les temps changent (Photo Carabo Spain / FlickR / cc)

Cependant, la covid-19 nous dévoile que nous ne sommes pas « tout-puissants » ni en dehors du règne animal. Cette réalité qui vient de nous sortir de notre rêve d’invincibilité forme un insondable traumatisme. La nature, concept abstrait imaginé par l’humain, vient nous rappeler que nous ne sommes pas au-dessus des lois de l’Évolution.

En biologie de l’évolution, il y a quelques principes immuables. Le premier est que l’Évolution se joue à l’échelle individuelle. L’individu est le porteur des gènes et de leurs modifications aléatoires, et son succès à les transmettre est dépendant de la sélection. Le second, c’est que pour évaluer les individus et les populations qui réussissent le mieux au regard de l’Évolution, les scientifiques mesurent leur succès reproducteur (combien de jeunes seront produits au cours de la vie par un individu) et la dynamique de croissance des populations (combien d’individus elles contiennent). Une population dont le nombre d’individus est en augmentation s’appuie sur un succès reproducteur global excédentaire, ce qui traduit une certaine harmonie avec son environnement, mais seulement jusqu’à un certain point où les ressources commencent à s’épuiser. Alors, la forte densité de population créé les facteurs qui vont conduire à sa décroissance. Nos sociétés occidentales modernes font donc face à un dilemme crucial : perpétuer le système de croissance de la population jusqu’à l’épuisement de l’environnement ou agir à l’encontre de l’enseignement originel de l’Évolution et consentir à limiter notre succès individuel ?

La covid-19 est une réponse à l’exception évolutive de l’Homme

C’est exactement ce que les sociétés modernes vivent depuis une trentaine d’années. La population mondiale a atteint 7 milliards d’habitants et nous n’avons cessé d’exploiter l’environnement naturel pour nourrir notre société moderne toujours plus gourmande en ressources, au mépris de l’héritage de millions d’années d’évolutions végétale et animale regorgeant de trésors biologiques, mais aussi la plupart du temps du devenir des populations locales.

Cette course en avant a un coût. En biologie évolutive, tout est toujours la résultante d’un compromis, car la vie se développe dans un environnement aux ressources limitées. Par exemple, les espèces de grande taille vivent longtemps, mais se reproduisent peu, les ressources ne permettant pas à un organisme d’être les deux à la fois.

L’Homme est une exception évolutive, car il possède une fertilité anormalement élevée pour sa longévité. Nous ne pouvions que foncer dans un mur dressé par l’Évolution avec notre gain populationnel annuel. La crise du covid-19 est l’un des prémices de la crise environnementale globale dans laquelle nous nous enfonçons depuis des décennies.

Défricher les environnements naturels, surtout dans les zones tropicales et polaires, dévoile et dévoilera encore des organismes dont nous ne connaissons pas la biologie et dont la dangerosité pour l’Homme peut être grande. L’Évolution a conduit des organismes pathogènes et leurs hôtes à se côtoyer pacifiquement après des milliers de générations, faisant des chauves-souris, des grands singes, des pangolins, des porteurs sains de virus divers. Pour certains de ces virus, tel n’est pas notre cas. À force de ne respecter aucun sanctuaire sauvage, ni aucune limite dans notre exploitation des espèces animales, nous créons des voies de transmission des virus dont nous sommes un des chaînons. 

Limiter la fertilité humaine

L’économie, c’est la vie. On peut donc considérer que l’économie, la somme des richesses produites par une société, mais aussi la somme des connaissances, des talents, du travail réalisé par ses membres est un marqueur de la valeur évolutive de cette même société. Ainsi, le taux de croissance d’une société pourrait refléter sa valeur évolutive : plus elle produit de richesses, plus elle croît en puissance et en population.

À l’échelle individuelle, pour chacun d’entre-nous, le succès évolutif reste une valeur très biologique : le nombre d’enfants que chacun de nous élève jusqu’à l’âge adulte. Pour cela, nous dépendons comme tous les animaux de notre accès aux ressources. Maintenant que nous ne sommes plus des chasseurs-cueilleurs, celui-ci dépend fortement de l’éducation dont chaque individu bénéficie, l’échelle des salaires étant pour beaucoup fonction des diplômes ou des savoir-faire que chacun possède.

D’autres crises sanitaires sont à venir si l’Humanité ne change pas son rapport avec son environnement (Photo Visual Hunt / cc)

Cependant, ce lien éducation-accès aux ressources-nombre d’enfants a une spécificité chez l’Homme : il est sexe-spécifique et tient pour beaucoup au niveau d’éducation des femmes. La réduction de la fertilité des sociétés modernes est une conséquence de l’émancipation sociale féminine, via l’accès aux carrières professionnelles longues et à un haut niveau de responsabilités ou à des aspirations individuelles autres que le rôle exclusif de mère.

Pour résumer, deux processus évolutifs coexistent chez l’Homme moderne :  la croissance de la population, intimement liée à la croissance économique, et la valeur reproductive individuelle, sur laquelle la sélection agit. Lorsque la croissance de la population est trop forte et épuise les ressources, alors notre succès individuel est menacé. Et maintenant que notre lien à la nature se dégrade, une solution s’impose : limiter notre fertilité pour rétablir l’équilibre avec l’environnement. Une solution, deux possibilités: (i) l’avenir de la femme se dresse au carrefour des liens individu / population, et de son émancipation sociale dépend la stabilisation de la dynamique populationnelle humaine; (ii) l’adaptation à une réduction des ressources via une baisse imposée, comme en Chine il y a quelques années, de la fertilité individuelle. La première solution présente le grand mérite de reposer sur des décisions individuelles. L’avenir de nos sociétés dépend donc des politiques éducatives vis à vis des jeunes générations et de celle de l’égalité des sexes dans la société. Mais elle dépend aussi d’une caractéristique évolutive qui est propre à l’Homme, la conscience qu’il a de lui-même et de la portée de ses actes pour le bien commun.

Diminuer la croissance, préserver l’individu

Face à la crise actuelle, j’ai été très surpris, mais agréablement, que les gouvernements occidentaux choisissent majoritairement d’agir à l’encontre des intérêts naturels de la variable évolutive à laquelle ils attachent le plus d’importance (la population), en réduisant la croissance économique pour sauver notre valeur sélective individuelle.

Certes, une société centralisée comme la nôtre ne peut agir globalement que par la mise en place de règles générales, applicables à tous et donc souvent mal-adaptées à chacun. Le confinement fut une décision qui allait à l’encontre des intérêts sociétaux (la baisse de la croissance), mais qui favorisait les intérêts individuels (la survie des individus). Il est intéressant de remarquer que les systèmes politiques nationalistes ou populistes (Russie, Turquie, États-Unis, Brésil, ou dans une moindre mesure Royaume-Uni) ont fait mine de prendre la décision inverse. Certainement parce que leur politique est basée sur une idéologie fantasmée sur la responsabilité des autres.

Cependant, diminuer la croissance, c’est réduire l’accès aux ressources des individus et la valeur sélective de chacun d’entre nous. D’où les critiques instinctives qui émergent ça et là. Rappelons qu’aucun parti n’a su prévoir l’arrivée de la crise de la Covid-19 et vous ne trouverez aucune allusion à un quelconque virus dans les discours passés et récents des grands élus nationaux, ou à sa compréhension comme une conséquence des changements globaux actuels. Il reste que la stratégie de déconfinement, où le pouvoir centralisé émet des règles générales modulées à l’échelle locale par les maires et les préfets, est sans doute la plus adaptée.

Cela tend à montrer qu’une réponse la plus individuelle possible est la meilleure réponse à une crise globale, car l’individu reste la cible de la sélection naturelle. Et elle pourrait s’avérer salvatrice si elle initie un changement de paradigme économique, du citoyen vers les dirigeants. En effet, la diminution de la croissance économique, ou le changement de paradigme économique sont considérés comme une réponse plausible face à la crise environnementale. D’autres intérêts sociétaux existent ; bonheur intérieur brut au lieu de produit intérieur brut, valeur monétaire de la biodiversité à intégrer au calcul du PIB… Les conséquences de la Covid-19 sur notre système économique seront sans doute douloureuses, mais pourront aussi être source d’améliorations si nous savons le repenser.

L’Homme doit se détacher de l’Évolution

C’est là que l’Homme doit faire sa révolution et se sortir des contraintes de l’Évolution. Là où les élites faillissent, la réponse est citoyenne, et nous nous devons de répondre d’abord individuellement à la crise actuelle. Si le parallèle entre évolution et économie s’avère exact, alors le citoyen est la source du changement sociétal à venir. 

Puisque nous sommes la cible privilégiée de la sélection naturelle, alors les changements individuels ne peuvent être que la source d’une réponse globale réussie face au réchauffement climatiques et aux crises qui lui sont associées.

En tant qu’individu, nos décisions engendrent des conséquences qui ont une importance pour l’avenir de l’Homme. Nos décisions quotidiennes en tant que consommateurs pour privilégier la limitation de l’empreinte carbone. Nos décisions en tant qu’animaux sociaux pour privilégier le lien commun. Nos décisions en tant qu’êtres animés de conscience pour prendre en compte l’impact à long-terme de nos actes sur l’avenir des futures générations. Nos décisions citoyennes en étant concernés par les politiques publiques et en optant pour celles qui n’ont pas peur des changements de paradigmes, même économiques, qui préservent des règles éthiques mondiales dans tous les domaines, et qui regardent l’environnement pour ce qu’il est, sorte de Joconde résultant d’une évolution à l’œuvre depuis des milliards d’années. Enfin, nos décisions en tant qu’êtres issus de l’Évolution. Nous devons repenser notre valeur sélective individuelle, c’est-à-dire le nombre d’enfants que nous produisons, pour diminuer la pression exercée par la population humaine sur son environnement.

Les représentants nationaux et internationaux que nous aurons choisis devront accompagner d’une législation en accord avec les changements que nous aurons réalisés à l’échelle individuelle, mais aussi avec une nouvelle politique fraternelle et durable vis-à-vis de nos partenaires internationaux.

Si nous faisons ceci, nous sortirons l’Homme de ces contraintes évolutives et lui donnerons l’humanité qu’il s’adjuge arbitrairement depuis si longtemps, car il gagnera sa place au sein de l’arbre de l’Évolution en tant qu’espèce ayant réduit son espace pour sauver l’ensemble de la maison Terre. En biologie, il est coutume de dire que rien n’a de sens en dehors de l’Evolution. Espérons qu’en économie et en politique cela soit également une vérité.

Dr François Criscuolo


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