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Lits moisis et surveillants défaillants : accablant contrôle de la prison de Strasbourg

Photos – Le journal officiel de la République se fait l’écho ce mercredi 13 mai des « recommandations en urgence » du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, pour la maison d’arrêt de Strasbourg. La situation est grave : atteintes à l’intégrité physique des détenus, défaillance des agents et insalubrité des locaux. Les ministres interpellées ont réagi dans la matinée… en se contredisant.

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La maison d’arrêt de Strasbourg, le long de l’autoroute A35, à l’Elsau (Capture Google Map)

Du 9 au 13 mars, une équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a visité la maison d’arrêt de Strasbourg, dans le quartier de l’Elsau. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas été enchantés par leur visite, si bien que la contrôleur général, Adeline Hazan, ancienne magistrate, ancien maire (PS) de Reims, a décidé d’utiliser son droit de rendre publiques ses recommandations au Journal officiel de la République, une première depuis sa nomination en 2014 et la cinquième fois en huit ans. Plusieurs situations relevées en 2009 n’ont pas été résolues, voire ont empiré.

Situation d’urgence, les ministres interpellés répondent

Les constats sont très sévères pour l’établissement pénitentiaire strasbourgeois : viol d’un détenu sans changement de cellule, conditions de vie insalubres, privation de liberté, contrôle entravé et encadrement défaillant… Les surveillants feraient même la sieste dans les miradors.

Le texte a été transmis à la ministre de la Justice, Christiane Taubira et à la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marsiol Touraine. Ces derniers ont déjà répondu : la garde des Sceaux assure que le médecin avait précisé au gradé que la demande de changement de cellule « ne revêtait pas un caractère d’urgence ». De plus, « l’ensemble des douches a été rénové à l’exception d’un bloc », répond Mme Taubira, pour qui la production d’eau chaude peut avoir eu des défaillances, car elle est calibrée pour 444 personnes alors que la maison d’arrêt comptait alors 720 détenus (758 aujourd’hui).

« La garde des Sceaux n’a visiblement pas pris la mesure » de cette affaire, a rétorqué Adeline Hazan devant la presse, qui conteste aussi que le problème de température aurait été résolu. Le directeur de la prison avait, pour sa part, été informé par oral des constats dressés à l’issue de la visite des inspecteurs.

Des photos de la maison d’arrêt de Strasbourg des contrôleurs

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Cinq recommandations

Dans son rapport, le Contrôleur général publie les situations de violence et les cinq recommandations associées :

« 1. En premier lieu, les contrôleurs ont eu connaissance de la situation d’une personne détenue au sein de cet établissement déclarant avoir été frappée et violée pendant la nuit par son codétenu. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Strasbourg est d’ores et déjà saisi de la plainte formée par cette personne à l’encontre de son codétenu. Toutefois, la Contrôleure générale a effectué un signalement auprès de cette même autorité, afin de l’informer des circonstances dans lesquelles les faits allégués seraient survenus.

Ceux-ci pourraient révéler l’absence de mesures efficaces prises par le personnel pénitentiaire pour préserver l’intégrité physique de l’intéressé. Un médecin a effectué un signalement auprès d’un gradé de l’établissement en précisant qu’il y avait urgence à procéder à un changement de cellule. Ce gradé se serait immédiatement rendu au sein de la cellule de l’intéressé pour solliciter, en présence du codétenu mis en cause, des précisions sur les motifs de son inquiétude. Il ne l’a toutefois pas changé de cellule. Le lendemain, la personne concernée indiquait avoir été victime de viol durant la nuit. »

Le Contrôleur général considère que les éléments permettent d’établir que l’administration, pourtant avertie, n’a pas réagi pour assurer la protection du détenu.

Prison insalubre, douches non chauffées

Alors qu’un contrôle en mars 2009 avait déjà relevé ces situations anormales, la situation n’a pas été améliorée, voire s’est empirée.

« 2. Les points d’eau et les sanitaires des cours de promenade sont toujours dans un état de saleté déplorable et pour beaucoup d’entre eux hors d’usage. Une cour intérieure est remplie de détritus de toutes natures. L’état de cette cour, bien que non accessible aux personnes détenues, génère des nuisances indirectes dans la mesure où elle attire de nombreux rongeurs et des pigeons.

  • Si certaines salles de douche ont été rénovées, l’une d’entre elles est dégradée et ne comprend aucune paroi de séparation permettant de préserver un minimum d’intimité. Malgré les travaux effectués, il n’en demeure pas moins que l’eau des douches est glaciale tant au quartier des hommes qu’au quartier des femmes. L’eau chaude n’est toujours pas installée dans les cellules.
  • De nombreux matelas, notamment au quartier d’isolement, sont dévorés par les moisissures témoignant du haut degré d’humidité qui règne dans les cellules. Cette humidité est à l’origine de nombreuses dégradations du revêtement des murs et des plafonds. Elle est susceptible d’entraîner différentes pathologies respiratoires et dermatologiques.
  • Il fait froid dans les cellules. À titre d’exemple, la température mesurée par les contrôleurs dans une cellule du quartier des mineurs était de 17 °C le jour, sans doute plus basse la nuit. Afin d’élever la température à un niveau convenable, beaucoup de personnes maintiennent allumée leur plaque chauffante en permanence, risquant ainsi de provoquer des accidents domestiques tels des brûlures ou incendies.
  • Au quartier disciplinaire, alors que la température extérieure était de 10 °C environ, la température relevée dans les cellules s’élevait à 14,6 °C. Dans l’une d’elles, une personne punie, transie de froid, était équipée d’une « dotation-protection d’urgence » (DPU) appelée également « kit anti-suicide » et constituée d’un pyjama déchirable et d’une couverture indéchirable. Une seconde couverture faisait office de drap. Le recours à cette dotation nécessite que la personne se mette entièrement nue, de gré ou de force, avant de la revêtir. »

Le DPU est pourtant un dispositif réservé au seul cas où une crise suicidaire a été diagnostiquée.

Des caméras dans les espaces de soin, les ministres se contredisent

Autre appréciation négative, celle des caméras de vidéosurveillance dans les zones de soins, ce qui a d’ailleurs entraîné une levée de bouclier des infirmiers, qui ont été chassés :

« 3. Des caméras de vidéosurveillance ont été installées dans des locaux où se déroulent les activités médicales du service de psychiatrie (SMPR). Le personnel infirmier qui a obstrué ces caméras pour en contester la présence s’est vu retirer l’habilitation à exercer en milieu pénitentiaire. L’usage de moyens de vidéosurveillance dans un espace de soins constitue une atteinte grave au secret médical et à l’indépendance des soignants en milieu pénitentiaire. Si le juste équilibre entre l’accès aux soins et les impératifs de sécurité, notamment de protection de la sécurité des personnels soignants, justifie que certains dispositifs puissent être mis en œuvre (comme l’apposition de dispositifs d’alerte), la confidentialité des activités thérapeutiques doit conduire à proscrire toute installation de vidéosurveillance dans un lieu de soin. Le CGLPL recommande que ce dispositif soit retiré. »

« La décision d’installer des caméras dans ces locaux a été prise en concertation et avec l’accord tant du médecin chef du SMPR que de la direction de l’hôpital de rattachement », affirme de son côté Christiane Taubira dans sa réponse. Elle est contredite par sa collègue Marisol Touraine qui parle « d’une décision unilatérale de l’autorité pénitentiaire et le SMPR n’a pu s’y opposer ».

Courriers ouverts et non-distribués

Seule une vingtaine de demandes d’entretiens ont été adressées aux inspecteurs  sur 758 détenus, bien en-deçà des moyennes habituelles. Lors de l’enquête, les lettres, supposées confidentielles, adressées à la CGPL ont été ouvertes par le personnel de l’établissement :

« 4. Il y a également lieu à faire état du climat général dans lequel cette mission de contrôle s’est déroulée en ce qu’il fait écho aux difficultés évoquées par les personnes détenues, dont certaines ont été expressément constatées par les contrôleurs, mais aussi à la violation manifeste de la confidentialité des correspondances entre les personnes détenues et le CGLPL. »

La loi garantie pourtant la confidentialité des correspondances adressées « au et par le CGLPL ». Les lettres des correspondances des détenus, susceptibles d’être contrôlées, seraient aussi ouvertes par des personnes non-autorisées.

Du personnel qui fait la sieste et joue dans les cellules

Enfin le personnel, à tous les niveaux, est sévèrement épinglé :

« 5. L’encadrement du personnel de détention est manifestement défaillant. Le chef de détention n’est secondé que par trois officiers pénitentiaires. La détention est apparue livrée à elle-même. Ainsi, les contrôleurs ont constaté que les sièges dans les miradors de surveillance des cours de promenade étaient en position de sieste et que les cellules pour personnes à mobilité réduite étaient manifestement utilisées à des fins de repos du personnel, des cartes de jeux y ont été retrouvées.

Le tutoiement des personnes captives, déjà relevé en 2009, a été constaté à plusieurs reprises. Il a été fait état de façon récurrente et concordante d’humiliations et de provocations de la part des surveillants pénitentiaires à l’encontre de la population pénale. Beaucoup de personnes détenues ont hésité à s’exprimer par crainte de représailles. »

Le Contrôleur général s’inquiète que de tels comportements puissent avoir lieu sans entraîner de réponse forte de la direction de l’établissement. Enfin, le Contrôleur général rappelle que toute sanction liée à ce rapport envers les détenus est illégale.

Article mis à jour à 13h10 pour ajouter les réactions des ministres.


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