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Au conseil municipal, les failles de la démocratie locale exposées

Lors du conseil municipal du lundi 30 septembre, le nouvel observatoire indépendant de la participation citoyenne rendra son premier rapport. L’occasion de faire le bilan des sept années de démocratie participative à Strasbourg.

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Dessins mignons, bulles explicatives et schémas à foison… Pour son premier rapport sur l’état de la démocratie locale, l’observatoire indépendant de la participation use de toutes les ficelles possibles pour garder captive l’attention du lecteur. Ses onze membres le savent. La tâche est difficile. Car la notion de « démocratie participative » souffre encore d’une réputation de gadget institutionnel auprès d’une partie du public. Leurs conclusions seront présentées à l’ouverture du conseil municipal ce lundi 30 septembre.

Dans l’hémicycle, les élus n’ont pas attendu d’avoir l’avis de l’observatoire pour se confronter au sujet. Lancée lors du précédent mandat, la démocratie participative a été présentée comme l’un des axes majeurs du mandat de la maire Jeanne Barseghian (Les Écologistes). Logiquement, l’opposition n’hésite pas à investir le sujet et à demander des comptes.

Onze observateurs

Le temps d’une matinée, l’état de la démocratie participative va donc être soumis au jugement de onze inconnus, tirés au sort. Tout commence en mai 2023 avec l’adoption d’une délibération créant « l’observatoire indépendant de la participation citoyenne ». Après avoir envoyé plus de 10 000 courriers de sollicitation à des personnes tirées au sort sur les listes électorales, la municipalité reçoit 330 réponses positives. C’est parmi ces centaines d’intéressés que la Ville tire au sort 20 membres pour un an, avec des critères limitant la part d’aléatoire. Au terme de l’année, seul onze membres restent investis dans le processus.

« On a fait en sorte d’avoir une parité de genre, une diversité d’âge, et des gens venant de tous les quartiers de Strasbourg », explique l’adjointe chargée de la démocratie locale, Carole Zielinski. Réunis une première fois en septembre 2023, les membres de l’observatoire signent une charte des bonnes pratiques. Puis suivront trois réunions de formations avant de se lancer dans un travail d’analyse, d’écoute et de réflexion sur les améliorations possibles à la démocratie locale. En un an, les membres se seront retrouvés à 35 reprises.

« Pour moi l’indépendance de cette commission reste un sujet », tance le conseiller municipal d’opposition Pierre Jakubowicz (Horizons). « Dès le premier jour, ils sont encadrés par les services de la Ville, qui assistent en permanence à leurs réunions« , appuie l’élu, qui regrette qu’une rencontre entre l’observatoire et les membres de la commission du conseil municipal dédiée à la démocratie locale ne se fasse qu’en septembre.

Le conseiller d’opposition Pierre Jakubowicz, lors d’une réunion publique qu’il organise sur le stationnement payant au Neudorf.

« On leur a simplement donné un socle de base, pour qu’ils partent de quelque part, en leur laissant toutes les latitudes ensuite », se défend Carole Zielinski. Avec eux, un membre de la direction de la participation citoyenne, Guillaume Brocard, assistait aux réunions. Il affirme n’avoir eu qu’un rôle de « facilitateur » :

« On a simplement mis en place des protocoles et des règles sur la prise de parole. Sinon, on a juste cherché à les aider, pour les mettre en relation avec les services par exemple, ou pour la mise en forme du rapport. »

Guillaume Brocard, membre de la Direction de la participation citoyenne

Son supérieur, le directeur du service de la participation citoyenne Clément Girard renchérit : « En tant qu’administration, nous sommes neutre. C’est un principe constitutif de notre métier, on n’intervient pas sur le fond du débat. »

Lexique technocratique

L’une des grandes critiques du rapport porte sur la communication entourant les réunions publiques. Qu’elle soit « citoyenne », « participative » ou plus sobrement « locale », la démocratie est toujours présentée avec un wagon d’adjectifs variés. Pour définir le degré d’implication des citoyens, l’administration use d’une palette lexicale supplémentaire, avec des mots-clefs comme : consultation, information, concertation ou le tristement célèbre « co-construction ».

Si toutes ces expressions sorties du langage technocratique peuvent paraître barbantes, elles permettent en principe d’expliquer, concrètement, à quoi sert la réunion à laquelle on se présente. Dans la pratique, plusieurs témoignages de citoyens repris par le rapport évoquent pourtant le manque d’informations comme problème récurrent. L’observatoire relève ainsi que « les habitants et les habitantes ignorent trop souvent la marge de manœuvre qu’on leur donne en réunion publique », et juge que « le manque de transparence du cadre frustre les citoyens et les citoyennes, en donnant le sentiment d’une participation inachevée. »

 « Depuis quelques années, on travaille à clarifier les choses, en faisant notamment apparaître des logos indiquant le niveau de participation », rétorque Carole Zielinski. Schématiquement, l’avis d’un citoyen exprimé lors d’une réunion de construction a plus de poids que si ce même citoyen s’exprimait lors d’une réunion d’information. « On voit aujourd’hui que ce n’est pas encore suffisamment clair, qu’on peut faire plus pour ne pas créer de frustration ni de fausses attentes. »

Dialogue difficile entre services et citoyens

Le rapport met aussi en lumière une autre source d’ambiguïté dans la présentation des projets : la présentation de certains points comme des réalités immuables, des « invariants techniques », qui ne pourraient être remis en cause. L’observatoire note ainsi que « beaucoup ont partagé leur frustration de voir les décisions importantes mises hors de portée en raison d’invariants, pour ne laisser la main que sur de petites décisions. » Le conseiller d’opposition Nicolas Matt (Ensemble pour la République) appuie la critique : « On invite les gens pour faire semblant de les consulter sur des projets déjà ficelés, avec un degré de liberté qui est extrêmement réduit, parfois inexistant. Donc effectivement, il y a un sentiment d’impuissance et de frustration. »

« C’est de la responsabilité des élus de faire la jonction entre les citoyens et l’administration », juge l’ancienne adjointe de Roland Ries chargée de la démocratie locale, Chantal Cutajar. Celle qui fût l’architecte du Sommet citoyen et du pacte de la démocratie locale, martèle son credo : assurer une discussion consensuelle entre citoyens, services et politiques. « Ça demande des élus avec un autre logiciel, qui acceptent de partager le pouvoir de décision. Ça ne peut pas fonctionner autrement. »

Chantal Cutajar, ancienne adjointe en charge de la démocratie participative, était candidate aux élections municipales de 2020.

« On accompagne justement les services de la collectivité, pour que cette dernière acquiert cette culture de la démocratie participative », assure le directeur de la participation citoyenne, Clément Girard. Davantage que les élus, ce sont d’abord les membres de son service qui endossent la jonction entre les retours de citoyens et les services.

Institutions « sourdes »

En plus d’une difficulté à s’entendre parfois avec l’administration, l’observatoire met aussi en exergue le sentiment d’impuissance politique des citoyens. L’un des témoignages repris dans le rapport réclame ainsi « une réelle prise en compte de l’apport des citoyens à l’élaboration des politiques ». « Plutôt que de faire parler les citoyens, qui s’expriment déjà, il faudrait renforcer la capacité d’écoute des institutions », appuie le politiste Nicolas Rio, co-auteur de l’essai En finir avec la démocratie participative (éditions Textuel).

Le chercheur fait le constat d’une « surdité des institutions » :

« C’est beaucoup plus compliqué d’améliorer les capacités d’écoute d’une institution. Ça prend plus de temps de changer les routines administratives. C’est aussi plus complexe parce que ça nécessiterait de changer le déroulé d’un conseil municipal. Et là, c’est beaucoup plus contraint en termes réglementaires. »

Car la première instance de démocratie locale reste le conseil municipal. C’est dans son enceinte que doit obligatoirement se voter le budget de la collectivité et que les plus importantes délibérations sont décidées. Lorsqu’une municipalité décide d’elle-même de partager ses pouvoirs, elle peut être censurée ; ce fut le cas par exemple en 2018 à Grenoble, où le tribunal administratif censura un dispositif « d’interpellation et de votation citoyenne ».


#Conseil municipal

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