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Vivre au rythme du conflit Israël – Hamas : « Pendant deux semaines j’ai cru que ma meilleure amie était morte »

Ils ont entre 20 et 60 ans, habitent en France et ont des proches en Israël, à Gaza, au Liban ou en Jordanie. Pour ces Alsaciens et Alsaciennes, la guerre entre Israël et le Hamas est plus qu’un enjeu géopolitique et vient faire naître un sentiment d’impuissance et de solitude.

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Manifestation en soutien aux enfants tués à Gaza, le 9 novembre, à Strasbourg.

« Je n’ai pas eu de nouvelle de ma meilleure amie, Amira, pendant deux semaines. J’ai cru qu’elle était morte. » Dans un café de la Robertsau, Imad montre des photos d’immeubles en ruines envoyées depuis la ville de Gaza. Depuis l’attaque du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre, l’infirmier de 31 ans vit au rythme des vidéos, des photos et des messages partagés avec ses amis qui habitent l’enclave palestinienne.

Vissés à leurs téléphone

Mêmes images dans le téléphone de Laura (le prénom a été modifié), professeure de 58 ans. Son partenaire, originaire de Palestine, est retourné vivre en Jordanie après le début du conflit : « Il avait l’impression de se trahir en restant ici ». Leurs amis, rencontrés à Strasbourg ou en Jordanie lors de voyages, lui envoient ces mêmes images d’immeubles détruits. « Celle-là a été prise depuis le balcon de mon amie », soupire Laura en faisant défiler les clichés sur son écran de téléphone.

Tous deux tentent de rester en lien avec les personnes qui leur sont chères et avec lesquelles ils n’ont parfois plus de contact régulier, faute de réseau dans la bande de Gaza. « Quand je n’ai pas de message de ma meilleure amie pendant plusieurs jours, je regarde la liste des noms des personnes décédées pour voir si le sien apparaît », explique Imad – celle publiée par le ministère de la Santé du Hamas à Gaza. Elle ne fait pas partie des 10 000 palestiniens et palestiniennes tuées depuis le 7 octobre 2023 par les bombardements de l’armée israélienne. Des bombardements justifiés par l’État israélien comme une riposte à la tuerie de 1 400 personnes sur son sol et à la prise en otage de plus de 240 autres, le même jour, par le Hamas.

Son amie Amira est Palestinienne. Elle a 26 ans, est étudiante et « se passionne pour l’écriture », poursuit Imad. « Elle est bénévole à la Croix-Rouge et ça fait près de dix ans qu’on se connaît », complète-t-il. Selon les messages qu’il a reçus d’elle début novembre, « son oncle a été tué, ainsi que trois de ses amies et deux de ses cousins », écrit-il.

Amira envoie des photos à Imad dès que le réseau le lui permet, ainsi que des vidéos et des messages vocaux.Photo : document remis

Croiser les sources

« Je ne dors plus, je ne mange plus, je suis tout le temps anxieux », poursuit Imad, qui arbore fièrement un keffieh rouge sur ses épaules. « Et quand j’ai enfin des nouvelles de mes proches à Gaza, c’est un soulagement de courte durée ». Depuis ses 16 ans, il partage sur les réseaux sociaux des informations sur le conflit israëlo-palestinien. Né en Allemagne d’un père palestinien et d’une mère française, il est venu habiter en France en 2020 et rêve de pouvoir un jour visiter le territoire sur lequel ont vécu ses ancêtres :

« J’ai grandi en sachant qu’à Gaza, les habitants sont tout le temps sous les bombes. On en parle souvent avec mon père. J’ai une partie de ma famille qui habite au Liban, dans le sud du pays, où beaucoup de Palestiniens se sont réfugiés. Mais maintenant, je ne sais pas si je pourrai y aller un jour. J’ai peur. »

Imad, 31 ans

Grâce à son compte Instagram suivi par plus de 11 000 personnes, Imad est en contact avec plusieurs habitants de la bande de Gaza qui lui transmettent des informations et des images. Il est donc constamment vissé à son téléphone :

« Ça me permet de croiser les sources, entre les médias français, allemands, israéliens et ce que me disent les personnes sur place. La plupart du temps, les reportages des forces d’occupation israéliennes sont tout simplement repris. Je préfère suivre les journalistes à Gaza comme Motaz Azaiza par exemple. »

Imad, 31 ans
Imad, 31 ans. Photo : capture d’écran / Instagram

Un besoin d’action qui s’exprime par cet envoi permanent de messages, ce décompte des victimes, ces portraits des personnes tuées, pour ne pas se sentir totalement impuissant et partager les informations qu’il ne trouve pas dans les médias traditionnels. Laura a aussi besoin de se sentir utile, car les petits mots de ses proches qui habitent Gaza se font rares. « Un message pour dire que ça va, lorsqu’ils ont accès à internet, et ce n’est pas tout le temps », précise-t-elle en vérifiant son application de messagerie.

« Ne pas y penser, ce n’est pas possible »

Depuis que son partenaire est rentré habiter au Proche-Orient, elle se demande quoi faire : « Je suis extrêmement anxieuse, chaque matin je me dis que les bombardements vont cesser, et ils ne cessent pas. En même temps, je me sens illégitime de me sentir si mal car je suis en France, à l’abri », résume-t-elle.

Autour d’elle, son entourage est ouvert à en parler mais lui intime parfois tout de même de « ne pas trop y penser ».

« Sauf que ne pas y penser, ce n’est pas possible, quand vous avez peur pour des gens que vous connaissez. Comment prendre de la distance alors que mes amis risquent de mourir ? Forcément, je me demande quoi faire et je me sens coupable d’être sans solution, je me mets à leur place. »

Comme Imad, Laura partage les images qui lui sont envoyées avec ses proches en France, « que voulez-vous faire d’autre », souffle-t-elle. Elle tente de rassembler les artistes locaux pour monter une exposition et une vente dont les bénéfices iraient à son amie Nabila et à ses enfants, coincés dans la bande de Gaza sous les bombardements.

Des meurtres vécus « dans sa chair »

C’est sur une vidéo mise en ligne par la communication de l’armée israélienne en français que Jonas, étudiant mulhousien de 21 ans, a reconnu une de ses connaissances. De confession juive, plusieurs de ses amis, rencontrés lors de séjours scouts, sont désormais engagés dans l’armée israélienne :

« Je ne suis pas d’accord avec la politique de colonisation menée par Netanyahou et son gouvernement. Mais voir sur cette vidéo un visage connu dans un contexte de guerre et prendre conscience du fait qu’ils risquent de mourir, c’est comme si j’avais reçu un coup dans le ventre. »

Alors qu’il n’avait pas de lien particulier avec l’État d’Israël, Jonas a vécu les meurtres des 1 400 Israéliens « dans son cœur et dans sa chair ». Immédiatement après avoir été informé de l’attaque, il a envoyé des messages à ses amis qui habitent Israël, pour s’assurer qu’ils allaient bien.

« Depuis, les textos qu’on s’échange peuvent être lapidaires, juste quelques mots, l’essentiel. Je ne veux pas les encombrer avec mes inquiétudes alors que je ne peux pas imaginer l’horreur qu’ils vivent, eux. Moi je suis en France et je préfère qu’ils répondent à leur famille proche, j’ai juste envie de savoir s’ils vont bien. »

Les désaccords entre Jonas et ses amis sur la politique menée par l’État d’Israël demeurent, « mais on en parlera plus tard », explique-t-il, « là ce n’est pas le moment » :

« Ce n’est pas un conflit que je peux analyser froidement. Je ne peux pas prendre du recul et faire une analyse géopolitique, car j’ai des proches qui y sont. Ce n’est pas un jeu et ce ne sont pas des blagues, des gens sont morts et continuent de mourir. »

Lui aussi tente d’agir pour se sentir utile, en rédigeant ou relisant des tribunes, et en donnant des formations de lutte contre l’antisémitisme aux Jeunes écologistes, en tentant de les mettre à distance du conflit.

« Je ne sais pas où j’habite »

Imad et Jonas ne se sont jamais rencontrés mais semblent partager des sentiments similaires. Aujourd’hui, ils peinent à se sentir chez eux en France et à trouver dans leur pays une réponse adaptée à la solitude qu’ils ressentent. « J’ai l’impression que la France ne parle pas de la Palestine et que si j’exprime mon soutien pour le peuple de mon père, je vais être traité d’antisémite », explique Imad. « Je ne sais plus où j’habite. Avec la montée des actes antisémites en France, je vais moins en cours qu’avant car j’ai peur de la violence, physique ou symbolique et je suis tout le temps sur mes gardes », concède Jonas.

Pourtant tous deux citoyens français, les jeunes hommes se sentent isolés et parfois, en danger. « Je fais attention quand je marche dans la rue et je fais attention à qui je parle, j’ai peur qu’on déforme mes mots », explique Imad. Lui et Jonas trouvent un peu de soulagement en se rapprochant des membres de leurs communautés. « Ça aide de parler avec celles et ceux qui nous ressemblent », poursuit l’étudiant.

« Tout est horrible, les bombardements à Gaza et toutes les actions antisémites. Les justifier par la cause palestinienne est ignoble, car ça n’a rien à voir », estime Jonas. « On veut juste la paix », abonde Imad.


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