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Malgré les condamnations, le Rectorat de Strasbourg méprise le droit et ses agents

Professeur de physique-chimie à la retraite, Sylvie Henry a fait condamner le rectorat à deux reprises pour des mises en disponibilité jugées illégales. Cinq ans après la première condamnation, l’institution n’a toujours pas rétabli les droits de la retraitée, désespérée. Le syndicat SNALC dénonce le mépris des cadres de l’académie de Strasbourg pour le droit et les agents.

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Les mains de Sylvie Henry tremblent. Ce mardi 27 juillet, vers 11 heures, l’ex-professeure de physique-chimie vient de recevoir deux courriers du rectorat de l’académie de Strasbourg. Dans son salon à Lingolsheim, elle déplie les lettres puis s’arrête un instant et soupire : le Rectorat de Strasbourg somme à nouveau la retraitée de passer chez le médecin pour un avis médical. En outre, l’administration lui réclame des milliers d’euros de « trop-perçus ». « Je ne sais plus quoi faire pour que le rectorat applique la loi et obtempère à l’injonction du Tribunal… », souffle-t-elle, désespérée.

Ce mardi 27 juillet, vers 11 heures, l’ex-professeure de physique-chimie vient de recevoir deux courriers du rectorat. Les mains de Sylvie Henry tremblent. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Une épopée judiciaire de cinq ans

Depuis près de cinq ans, l’ancienne ingénieure se bat contre l’institution. À deux reprises, le tribunal administratif a jugé que des mises en disponibilité prononcées par l’académie de Strasbourg étaient illégales.

Ces mises en disponibilité ont fait perdre à Sylvie Henry son activité professionnelle, ses droits à la retraite et à l’avancement ainsi qu’une partie de sa rémunération. En janvier 2020, le tribunal administratif a annulé pour la deuxième fois des arrêtés du rectorat concernant l’ancienne professeure. Mais plus de six mois plus tard, Sylvie Henry attend toujours le remboursement de ses frais d’avocat et la réévaluation de ses droits de retraite.

Depuis cinq ans, Sylvie Henry se bat contre des arrêtés de mise en disponibilité pris par le rectorat à son encontre. Par deux fois, le tribunal administratif a condamné le Rectorat de Strasbourg… sans effet. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Depuis l’âge de 25 ans, Sylvie Henry souffre de problèmes de dos. Jeune, elle a chuté à cheval, provoquant des lésions au niveau du bassin et de la colonne vertébrale. Elle se rend au lycée en béquilles dans les années 1990. La professeure de physique-chimie obtient un poste adapté, au Centre national de l’enseignement à distance (CNED) au début des années 2000. Elle dispense ses cours et corrige des devoirs à domicile. En 2011, « la souffrance est devenue trop intense », se souvient-elle. Victime d’une sciatique au bras droit, Sylvie obtient un arrêt longue maladie. Deux ans plus tard, elle demande sa réintégration et l’obtient. À ce moment, son épopée judiciaire débute pour plusieurs années.

Le rectorat contre l’avis du médecin

Le 28 avril 2014, le comité médical de l’académie de Strasbourg déclare Sylvie Henry apte pour un temps partiel thérapeutique à 50%. Mais le Rectorat ne semble pas convaincu. Deux mois plus tard, le Rectorat de Strasbourg demande au comité médical « de bien vouloir se prononcer sur une demande de disponibilité d’office, puis de retraite pour invalidité. »

Pour la professeure, il est clair que les cadres du rectorat cherchent à influencer la décision du médecin :

« Le rectorat affirme que les avis du CNED sur mon travail étaient négatifs. C’est tout le contraire, j’ai toujours eu d’excellents retours de l’inspection ou du CNED. Début 2015, le comité médical a changé d’avis et m’a déclaré inapte alors que mon état est bien plus stable qu’auparavant… »

Rue89 Strasbourg a pu consulter les appréciations du CNED et de l’inspecteur académique. En 2009, l’inspection attribuait à Sylvie Henry « un professionnalisme remarquable qui mérite d’être utilisé de manière plus différencié. » Pour l’année 2010/2011, le CNED estime que le travail effectué est sérieux. Sa ponctualité, son activité et son autorité sont assortis de la note « Très Bien ». Pour la même période, l’inspecteur académique décrivait un « professeur très consciencieux et sérieux, qui est prêt à accepter toute proposition de travail correspondant à ses compétences mais surtout à ses capacités. »

Pourtant, le 9 avril 2015, le rectorat de Strasbourg place Sylvie Henry en disponibilité d’office suite à un nouvel avis du comité médical cette fois-ci… défavorable à un maintien en activité. Avec deux arrêtés, la professeure est déclarée inapte au travail de manière rétroactive (du 1er septembre au 28 février 2015), ainsi que du 1er mars au 31 août 2015 inclus. Pour la retraitée, il est clair que le médecin a cédé aux pressions du rectorat qui lui demandait de réexaminer son cas.

Une condamnation… et de nouveaux arrêtés similaires

Mais Sylvie ne veut pas s’arrêter là. En juillet 2015, elle propose un recours gracieux au rectorat. L’institution refuse le règlement du litige à l’amiable. La professeure conteste alors l’arrêté de mise en disponibilité devant le tribunal administratif : « Je voulais reprendre le travail » explique-t-elle, alors à quelques années de la retraite.

Le 29 mai 2017, le tribunal administratif annule les deux arrêtés de mise en disponibilité pris par le rectorat. « Il y a lieu d’enjoindre à la rectrice de l’académie de Strasbourg de procéder à une reconstitution des droits statutaires de Mme Henry dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement », note le tribunal. Mais l’académie de Strasbourg n’applique pas cette décision de justice défavorable. Bien au contraire : le 15 juin 2017, le rectorat reproduit les mêmes arrêtés de mise en disponibilité pour les étendre de 2017 à 2019.

Nouveaux arrêtés, toujours illégaux

« Ils se croient intouchables », fulmine la retraitée de 62 ans. Sylvie Henry ne se laisse pas faire. Elle se défend, cette fois-ci seule, au tribunal administratif de Nancy : « Je connaissais le dossier par cœur et je ne voulais pas payer de nouveaux frais d’avocat », indique-t-elle. Le 4 février 2020, nouvelle victoire pour la professeure de physique-chimie : les arrêtés du 15 juin 2017 sont annulés et la rectrice doit « procéder au réexamen de la situation de Mme Henry » sous deux mois.

En plein milieu de l’été 2020, le Rectorat de Strasbourg n’avait toujours pas appliqué ce nouveau jugement défavorable. La direction générale des finances publiques continue de réclamer plusieurs milliers d’euros pour « le remboursement du demi-traitement provisoire (…) pour la période du 1er mars 2019 au 30 juin 2019. » Interpellée par Sylvie Henry sur l’application du jugement, la rectrice de l’académie de Strasbourg, Elisabeth Laporte, a simplement indiqué avoir « saisi, à nouveau le comité médical départemental. » Cinq ans plus tard, un médecin devra donc dire si Sylvie Henry était effectivement apte au travail…

« D’ordinaire, on évite ce genre d’erreurs vis-à-vis de personnes handicapées »

Habitué de ce type de dossiers avec les rectorats de France, Me Stéphane Colmant explique que la situation de madame Henry n’est pas isolé en Alsace. Il cite le cas de Madame C., professeure d’anglais à Strasbourg atteinte d’un handicap auditif. Bénéficiaire d’un poste adapté sur l’année 2017/2018, elle doit assurer un cours de droit commun un an plus tard. Une décision qui sera annulée par le tribunal administratif de Nancy le 1er octobre 2019 : « La rectrice de l’académie de Strasbourg a décidé d’affecter Mme C. sur un poste de droit commun en collège sans s’être assurée que son état de santé était compatible, poursuit l’avocat. Par rapport à mon activité qui couvre la France entière, le rectorat strasbourgeois commet les violations les plus graves. D’ordinaire, on évite de commettre ce genre d’erreurs vis-à-vis de personnes handicapées. »

« Au lieu de chercher l’apaisement… »

Sylvie Henry a contacté plusieurs syndicats d’enseignants pour leur faire part de son désarroi. François Blondel, le secrétaire académique du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc) en Alsace ne peut que constater l’inaction : « Six mois après la décision du tribunal, le Rectorat fait toujours le mort. »

Avec le président de la section Alsace, Jean-Pierre Gavrilovic, les deux hommes ont d’autres exemples similaires en mémoir. Ils estiment que le Rectorat est inactif et incapable d’organiser une médiation sans l’aide du syndicat. Pour Jean-Pierre Gavrilovic, l’affaire de Sylvie Henry est représentative d’une « institution devenue maltraitante pour ses employés » : « Au lieu de chercher l’apaisement, l’académie de Strasbourg laisse traîner des affaires de ce type. »

À gauche, Jean-Pierre Gavrilovic, président de la section Alsace du Snalc. À droite, François Blondel, secrétaire académique du Snalc. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Contacté, le rectorat de l’académie de Strasbourg a indiqué ne pas se prononcer sur une procédure individuelle en cours.


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