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Concert : Charles Bradley, le survivant de la soul

Avec sa coupe afro au cordeau, un petit blouson noir jeté sur une chemise pelle à tarte ouverte sur une discrète chaîne en or et des boots cirées à faire roucouler de plaisir un adjudant-chef, Charles Bradley semble tout droit sorti d’un vieux film de la Blaxploitation. Mais ce sexagénaire ne joue pas la comédie. A 64 ans, il devient, enfin, l’acteur de sa propre vie. Avec un premier album et une tournée qui passera le 19 juin par la Laiterie pour une soirée incendiaire.

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Charles Bradley (DR)

Son disque, le tout premier de sa carrière très tardive, s’appelle No Time for Dreaming. Car Charles Bradley l’a suffisamment attendu ce moment, il en a rêvé, justement, sans jamais pouvoir concrétiser ce rêve qu’il ne faisait qu’effleurer. L’album est sorti l’an dernier chez les gars de Daptone, ce label soul-funk indépendant né en 2001 à New York avec l’objectif de combler l’immense vide laissé par la disparition de Desco Records et de ressusciter ce son si chaud, entraînant, sensuel (et quasi sexuel) de la soul-funk originelle que l’on trouvait chez Stax, Motown et dans les studios Muscle Shoals à Memphis.

Là-bas, on enregistre en analogique et on mixe avec les doigts de fée de l’un des co-fondateurs de la maison, Gabriel Roth. Pour l’anecdote, Back to Black, de feue Amy Winehouse, y a été façonné. Voilà donc ce qui rend No Time for Dreaming si sincère et tripal, comme en atteste Heartaches and Pain, morceau on ne peut plus autobiographique.

Au-delà de l’aspect vintage de la galette, il y a surtout cet homme, Charles Bradley, une majeure partie de sa vie « passée à côté » mais une inoxydable et inébranlable volonté. L’enfance dans la rue en Floride puis à Brooklyn, à grappiller quelques pièces pour se débrouiller, puis les petits boulots, un job de cuistot en hôpital psychiatrique, les migrations constantes pour bosser, dans le Maine, au Canada, en Alaska, en Californie puis à nouveau New-York.

Durant toutes ces décennies, Charles Bradley tente, en parallèle, de monter des groupes mais la mécanique s’enraye sans cesse. Il garde la foi, se sait prédestiné au chant depuis sa rencontre éblouissante avec James Brown lors d’un concert à l’Apollo Theater de Harlem en 1962. C’est la révélation. Et James Brown, il en deviendra même le sosie quand il commence à se produire dans des clubs de Brooklyn, reprenant le répertoire du parrain de la soul avec sa formation, The Black Velvet.

Un soir, le destin bascule. Gabriel Roth, jeune patron de Daptone, le repère, lui propose de passer aux studios, d’enregistrer un single, puis un autre titre avec The Bullets, un jeune groupe de funk inspiré par James Brown et The Meters. Là démarre la collaboration entre Bradley et le compositeur et guitariste des Bullets, Thomas Brenneck, qui fonde alors un nouveau groupe, The Menahan Street Band. C’est ainsi que naît le premier disque de Charles Bradley. Extrait.

A l’image de Charles Bradley, combien de talents la soul a-t-elle laissé sur le bord de la route ? Combien de seconds couteaux peut-on compter pour un James Brown, un Otis Redding, une Aretha Franklin ? Charles Bradley, en effet, appartient à cette immense famille des seconds couteaux affutés, finement aiguisés mais qui ne coupèrent que très peu sans jamais rien franchement trancher. A l’instar de Major Lance, soulman de Chicago, grand pote de l’immense Curtis Mayfield. A l’image aussi de Lee Fields ou encore des Delfonics, jamais reconnus à leur juste valeur, et, chez les femmes, de Betty Wright, Sharon Jones et Naomi Shelton qui n’ont assurément pas eu la carrière qu’elles auraient méritée (même si Daptone a rattrapé les deux dernières).

Toutes et tous, en tout cas, sont des survivants de cette soul sans états d’âme. Et voilà peut-être pourquoi le premier disque de Charles Bradley prend tant aux tripes. Ce qu’il chante de sa voix éraillée, il l’a vécu, c’est authentique. Son timbre écorché renvoie aussi aux millions de clopes grillées et aux hectolitres d’alcool sifflé. Et si l’homme et l’album semblent tout droit sortis d’une brocante vintage ou d’un grenier des sixties ou des seventies, c’est parce qu’il faut ramasser toutes ces années perdues, les rassembler, conserver cet esprit vibrant et jouissif que des enchanteurs magiciens de la maison Daptone s’évertuent à sauvegarder. Aujourd’hui, Charles Bradley a réalisé son rêve et il ne veut plus rêvasser. Pour aller de l’avant, avec force et énergie, en s’arrachant les cordes vocales, pour ne surtout pas se contenter du bonheur présent. Oui, Charles Bradley peut se poser fièrement en digne filleul de James Brown, The Godfater of Soul.

Y aller

Charles Bradley, mardi 19 juin à partir de 20h à la Laiterie, rue du Hohwald à Strasbourg. DJ Winston Smith en première partie.


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