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Les commerçants à la recherche des bons horaires face au couvre-feu avancé

Le couvre-feu à 18h entraîne la fermeture anticipée de tous les commerces, y compris pour de la vente à emporter. Face à cette contrainte supplémentaire, les commerçants modifient leurs horaires en se demandant si les habitudes des clients vont changer. Ils se donnent souvent une semaine pour s’ajuster.

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Sur le parvis de l’Ares à l’Esplanade, « La ruche qui dit oui » remballe les tables pliantes. Il est 17h45, il reste trois personnes et quelques cabas de produits locaux, non récupérés. Couvre-feu oblige, le retrait de commandes habituellement entre 18h et 19h30 a été avancé, de 16h45 à 17h45. « C’est une tendance nationale des ruches », explique François Schreiber, le responsable de ce point de vente. Il appelle au téléphone les « abeilles », autrement dit les clients, pour savoir si elles arrivent ou s’il faut trouver une autre solution. Quelques retardataires viennent un peu après 18h. Pour d’autres, la commande sera laissée sur place pour qu’ils viennent plus tard, parfois même ils seront livrés par François Schreiber lui-même, sur le chemin avant de rentrer chez lui à Plobsheim.

15 à 20% de clients en moins

Cette première vente avancée a déjà de forts impacts : 15 à 20% de clients en moins. « Quelques abeilles ont annulé » suite à l’annonce du gouvernement. François Schreiber craint « un report vers les grandes surfaces le samedi ». « Le co-butinage entre voisins est possible sur la page de la ruche, mais l’habitude a encore du mal à prendre », remarque-t-il . Alors que le centre socio-culturel de l’Ares ferme ses portes, il avance une autre explication :

« Le fait qu’on soit à côté d’un lieu culturel à l’arrêt nous impacte par ricochet, car il y a moins de passage, notamment de parents. Alors que le confinement était une explosion, on est sur une érosion. »

Les dernières commandes à récupérer hors délai après la ruche qui dit oui. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

L’avancée du couvre-feu est une nouvelle difficulté pour les commerçants strasbourgeois. « La situation sous couvre-feu est plus compliquée par rapport aux précédents confinements, puisque le retrait de commandes était possible à toute heure », témoigne Geoffroy Lebold, gérant du Tigre. Dans cette grande brasserie, « le click & collect représentait la moitié des commandes, notamment des gens du quartier ». Il fait face à des situations complexes :

« Il est compliqué d’expliquer à des clients qu’on n’a pas le droit de les servir. Ça peut très bien être un policier en civil. Il y a toute une clientèle d’affaires, dans notre cas celle de l’hôtel Ibis, qui ne veut pas commander sur les plateformes et qui a des difficultés pour dîner ».

Le gérant assure aussi les livraisons

Résultat, il lui arrive de « traverser la rue » et de livrer lui-même les occupants de l’Ibis. Mais Geoffroy Lebold estime avoir au moins un atout : « Avec les groller, on a un produit qui nous différencie : de la bière pression en qualité artisanale à emporter ».

Pour la première semaine, les horaires sont « avancées de 17h à 22h contre 18h30-22h30 jusque-là ». Le prix de la livraison est plus élevé (9,50€ contre 7,90€ pour une tarte flambée traditionnelle), pour encourager le retrait sur place car « les plateformes prennent 30% ».

Le Tigre arrivera-t-il à vendre des tartes flambées dès 17h ? (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Cet horaire de couvre-feu différencié dans 25 départements ne déclenche pas de mesure de soutien supplémentaire de l’État. L’adaptation des horaires est pour le moment la réponse la plus souvent expérimentée

Lisa Meyer, patronne d’un salon de coiffure homonyme situé Grand’Rue, a déjà fait des concessions : elle accepte désormais des rendez-vous les lundis, d’ordinaire jours de relâche. « Et si des clients me demandent de venir à 7h30, j’ouvrirai. On va bientôt avoir des horaires de boulangers ! », s’exclame-t-elle, en souriant.

Dans son salon de coiffure, Lisa Meyer accepte des rendez-vous le lundi et peut-être le matin (photo TS / Rue89 Strasbourg / cc)

À l’épicerie de spécialités savoyardes Chez Lulu à Neudorf, la fin de journée représente un moment important « où l’on vient pour un petit bout de fromage », selon Florence Walsch la gérante. Le téléphone sonne pour une commande « Vous savez qu’on ferme à 17h45 désormais ? ». C’est bon la cliente viendra à 17h35. « S’il y a du monde à la porte, je les servirai », poursuit celle qui compte sur une clientèle de quartier « qui n’habite pas loin ».

C’est la première fois depuis le début de l’épidémie qu’une mesure gouvernementale impacte l’épicerie Chez Lulu. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Seule adaptation, une ouverture « en continu » le vendredi. « On risque de perdre un peu, mais il y aura toujours une demande pour bien manger. C’est la première fois que j’ai une fermeture imposée, je ne me plains pas par rapport à d’autres professions ».

« Je ne sais pas combien de fois j’ai changé mes horaires » dit Florence Walsch derrière son comptoir. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Ouvrir le dimanche ?

Thierry Duparquet, gérant de la cave Nicolas au 105 Grand’rue risque lui de faire face à la même difficulté :

« Les clients venaient souvent après le boulot, donc être fermé entre 18h et 19h30, c’est quand même tout ça de perdu. »

Alors, pour compenser autant que possible le manque à gagner, il a également décidé d’adapter ses horaires :

« En temps normal, je suis fermé entre 12h30 et 15h. Là, je vais ouvrir les lundis après-midi, et de 9h30 à 18h non-stop du mardi au samedi. »

Ouvrir les dimanches ? Pour l’instant, il n’y pense pas. Les Alsaciens sont trop attachés au repos dominical pour que cela vaille la peine de lever le rideau, estime-t-il. « Cela reste à étudier, si le couvre-feu à 18h est parti pour durer, j’y réfléchirai. »

La possibilité d’ouvrir le dimanche fait débat. (photo TS / Rue89 Strasbourg / cc)

L’ouverture dominicale ne serait pas non plus la panacée, estime Gwen Bauer, à la tête de la boutique Lathéral, magasin de thés et de chocolat dans la Petite-France, et par ailleurs président de l’association de commerçants Les Vitrines de Strasbourg :

« Il faut payer double les salariés, accorder des récupérations. Pas sûr que la rentabilité soit au rendez-vous. »

Il précise qu’à titre personnel, il n’est pas contre mais attend de voir comment se sera déroulée cette première semaine. « Au niveau de l’association, nous sommes en train d’étudier la question avant de prendre une position officielle sur le sujet », confie-t-il.

La question ne se pose pas pour Guillaume Reeb, gérant de la boutique Rec House, magasin de figurines manga situé au 81 Grand’rue. « En janvier-février, Covid ou pas Covid, c’est calme le soir de toute façon ! », indique-t-il. Son magasin sera désormais fermé à 17h30. Le mois de décembre 2020 aura été, pour lui, le plus mauvais depuis l’ouverture de son magasin, il y a onze ans : presque moitié moins de chiffre d’affaires qu’une fin d’année normale.

Idem pour Lisa Meyer dans son salon de coiffure :

« On fait un métier où il faut avoir la pêche, avoir le sourire, pour proposer un service de qualité. Alors on a besoin d’avoir du temps pour se reposer, surtout qu’on fait aussi beaucoup de travail invisible comme l’administratif. »

À Strasbourg, c’est la préfecture du Bas-Rhin qui autorise ou non les ouvertures dominicales. Dans les autres communes, les maires sont compétents. Dans le Haut-Rhin, le préfet a annoncé qu’il ne s’opposerait pas aux ouvertures décidées par des municipalités lors du couvre-feu. Mais lors du premier dimanche d’ouvertures autorisées à Colmar le 10 janvier, peu de commerçants ont ouvert leur enseigne.

Les mois de janvier et février ne sont pas cruciaux chez les vendeurs de jouets. (photo TS / Rue89 Strasbourg / cc)

Moins de temps pour conseiller et accueillir les clients

Ouvert en continu, la librairie La tâche noire a décidé de décaler ses horaires. « On ouvre dès 8h30 contre 10h en temps normal », avance Éric Schultz, le gérant. Le dernier jour avant le deuxième confinement, il avait ouvert de 6h à 21h. « Il y avait eu pas mal de monde entre 7h et 9h30, plutôt pour du retrait de commande », se rappelle-t-il. Il vise « le créneau entre la dépose d’enfants et le boulot ». Pour le premier jour, il n’a eu qu’un seul client en début de matinée, mais plus de monde à la pause déjeuner. Convaincu qu’il faut « un travail sur les horaires » dans la société, l’ancien adjoint au maire rappelle qu’il lui faut du temps pour ses clients : « L’essentiel de mon métier, c’est du conseil ».

Des solutions et des idées pour s’adapter

Comme beaucoup de commerçants, il attend la première semaine pour décider d’une ouverture les lundis et ne tient pas « à travailler 7 jours sur 7 » avec les dimanches. Le rideau se ferme à 17h30, « pour ne pas inciter à être dans l’illégalité ». Quant aux livraisons, redevenues marginales depuis la réouverture, il les effectue « à vélo à Strasbourg lorsqu’elles sont à proximité du centre, en voiture au-delà ». Et à défaut par voie postale, en prenant le coût d’envoi à sa charge. Il réfléchit à relancer les « plateaux polars », un livre et un repas avec le restaurant Il Girasole :

« Il a fallu quelques jours pour que le bouche à oreille fonctionne, mais cela avait bien marché à la fin de la semaine ».

À La tache noire, Éric Schultz essayer les ouvertures en matinée. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Selon Jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre des Métiers et d’Artisanat d’Alsace, la principale adaptation des commerces porte sur des ouvertures lors de la pause méridienne. « Mais il faut quelques semaines pour que la clientèle s’habitue à de nouveaux horaires », prévient-il. Il imagine que les métiers les plus touchés seront les artisans culinaires, les coiffeurs et les artisans du bâtiment « qui font beaucoup de devis en fin de journée ».

Au premier jour de la semaine de couvre-feu avancé, il a néanmoins un combat plus urgent à mener, celui des salons de thés. « Ils sont considérés comme des pâtisseries et donc n’ont droit à aucune aide, alors que leur salle doit rester fermée, ce qui fait parfois perdre 70 à 80% du chiffre d’affaires. » La perte « d’une heure de chiffre d’affaire qui n’est pas la moindre » pourrait leur être fatale « parce qu’ils ne sont pas dans la bonne catégorie ». Sous le Covid, les difficultés ne sont jamais uniformes.


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