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Comment se choisit le nom des rues à Strasbourg

Les mots ont un sens, le nom des rues aussi. Connaissez-vous par exemple la Rue du Bataillon de Marche 24 ? Non, et c’est normal car elle vient d’être inaugurée ce 16 avril à Cronenbourg. Mais au fait, comment sont décidés les noms des rues à Strasbourg ?

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Inauguration de la rue du bataillon de marche 24 le 16 avril à Strasbourg (Photo ASO / Rue89 Strasbourg / cc)

La toponymie urbaine met en avant des personnes, des évènements et des dates qui sont porteurs de symboles et parfois utilisés comme arme politique. C’est d’autant plus vrai à Strasbourg, où le basculement entre France et Allemagne a donné lieu à plusieurs va-et-vient toponymiques. Après chaque guerre ou au fil de l’évolution historique, les autorités adaptent la toponymie au point que l’historien de l’onomastique Jean-Claude Bouvier parle « d’épuration toponymique ». Ce phénomène a eu lieu souvent en France et d’autant plus en Alsace, région ballottée entre France et Allemagne au gré des siècles.

Le poids de l’Histoire dans la toponymie strasbourgeoise

L’anecdote est éculée à Mulhouse : pendant la seconde guerre mondiale, les nazis avaient rebaptisé pendant quelques jours la Rue du Sauvage en Adolf-Hitler Strasse avant de réaliser toute l’ironie de la situation et de se rabattre sur la traduction littérale de Wildemann Strasse. À Strasbourg, l’actuelle Place Kléber a été nommée successivement Barfüsserplatz, Place des Cordeliers, Waffenplatz, Place Kléber, Karl Roos Platz, avant de redevenir Kléber. Quant au quartier impérial allemand de la Neustadt, le Kaiserplatz a laissé la place à la République, la Germania est devenue la Gallia et les Rings sont devenus des boulevards.

L’alternance entre langue française et allemande –et parfois l’alsacien- a donné lieu à des situations intéressantes au gré des traductions plus ou moins heureuses : la rue de Pâques doit son nom à une certaine famille Ostertag, et la rue de l’Ail vient du patronyme déformé et mal traduit de « Knobloch ». Quant à la rue des Zouaves, elle s’appelait auparavant rue des Souabes, du nom de nos voisins allemands les « Schwove ». Les dénominations des rues en alsacien sont d’ailleurs un véritable terrain de jeu pour les historiens locaux.

Krutenau, le « coin des bretzels » a souffert d’une traduction injuste. (Photo Marc Gruber)

Place à la diversité

À l’heure actuelle, l’Eurométropole ne compte pas moins de 2 300 espaces publics dénommés et lorsqu’il s’agit de changer de nom les propositions virent parfois au cocasse, comme l’a montré le débat à Hautepierre en 2011 lorsque l’on évoquait Gulliver, Peter Pan, Peau d’Âne ou le Chat perché. Après une consultation des habitants, une pratique quasiment unique en France, la municipalité a finalement opté pour des dénominations plus classiques, mais encore largement masculines.

Les efforts de toponymie récents portent en effet avant tout sur la diversité et sur la féminisation, puisqu’en 2014 seules 2% des rues françaises portaient des noms de personnalités féminines. Les féministes strasbourgeoises notent d’ailleurs que la plus illustre d’entre elles, Simone de Beauvoir, n’a droit qu’à… une impasse à Illkirch-Graffenstaden.

Alors que la ville de Strasbourg compte accueillir plusieurs milliers de nouveaux habitants et construit de nouveaux quartiers en bordure du Rhin, la question n’est pas tant de changer le nom des rues que d’en trouver des nouveaux.

Une « Commission de dénomination » créée dès 1873

Lorsque l’on veut changer le nom d’une rue à Strasbourg, on demande l’avis de la « Commission de dénomination des rues et des écoles », créée en 1873 lors de la période allemande. En 1968, elle passe sous l’égide du service de la Culture de la Ville de Strasbourg et depuis cette date, c’est l’adjoint au maire en charge de la culture qui la préside. Elle est composée d’élus, de membres des services de la Ville, d’experts de l’histoire de Strasbourg ainsi que d’organismes d’utilisateurs comme la Poste, la police et les fournisseurs d’énergie.

La commission a un rôle consultatif et c’est le conseil municipal qui a le dernier mot depuis 1994, lorsqu’une décision du tribunal administratif de Strasbourg a confirmé que comme dans le reste de la France, la toponymie est bien une compétence des Conseils municipaux en Alsace-Moselle, et non des maires comme c’était l’usage auparavant.

À l’heure actuelle, la Commission regroupe une soixantaine de personnes, dont précisément douze « experts » férus d’Histoire.

Maurice Moszberger représente l’association des Amis du vieux Strasbourg à la Commission depuis plus de douze ans et a contribué à la rédaction du Dictionnaire historique des rues de Strasbourg qui fait référence en la matière. Son approche est plutôt pragmatique :

« Chacun propose des noms, parfois il y a des désaccords mais en ce qui me concerne le plus important est l’ancrage local. Je comprends qu’il faut plus de femmes, mais quand elles n’ont aucun rapport avec la ville je ne vois pas pourquoi il faudrait les choisir. Parfois ce sont les familles elles-mêmes qui font une proposition : c’était le cas à la Robertsau quand la famille du résistant Alfred Thimmesch a suggéré de donner son nom à une rue. Quoi qu’il en soit, la décision finale a souvent une dimension politique et quand la proposition retenue ne nous plait pas, on se fait tout simplement une raison. »

Pas facile de trouver des noms de femmes strasbourgeoises

De même que les élus et les historiens, la Mission droits des femmes et égalité de genre est très active au sein de la Commission de dénomination et elle ne manque pas de proposer un nom de femme pour chaque lieu, donnant ainsi lieu à des tractations entre femmes « locales » et figures féministes plus universelles.

Lors de la dernière réunion de la commission en août 2014, elle a retenu les noms de poétesses alsaciennes telles que Catherine Kany et Lina Ritter, de la peintre Lisa Krugell, de Pauline de Metternich, une aristocrate autrichienne proche de Mme de Pourtalès (oui oui, comme le Château à la Robertsau) ou encore de la résistante et activiste Geneviève Antonioz. Avouons que c’est plus classe que les récentes « Rue de Schengen », « Impasse de Duppigheim » ou « Rue de la Rotonde ».

Entre 2008 et 2014, ce sont 100 noms patronymiques qui ont été attribués à des espaces publics de la ville, dont 51 femmes et 49 hommes. Une égalité hommes-femmes dont se félicite l’actuel président de la commission, l’adjoint au maire chargé de la culture, Alain Fontanel :

« Ces dernières années l’égalité hommes-femmes a été respectée, même si ce n’est pas toujours facile de trouver des femmes alsaciennes. En ce qui concerne les consultations de riverains, comme à Hautepierre en 2011, elles portent principalement sur des espaces non habités car un changement d’adresse a des conséquences pratiques assez lourdes que nous évitons d’imposer aux riverains. Parfois nous sommes confrontés à des urgences, par exemple la nouvelle école européenne doit faire sa rentrée en septembre et elle n’a toujours pas d’adresse officielle. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas eu à faire face à des réclamations de personnes qui veulent à tout prix changer le nom de leur rue. »

Mais parfois le conseil municipal décide sans examen préalable de la commission. La dernière décision « politique » en date concerne l’adresse de la Médiathèque André Malraux : dorénavant elle est sise « Place de la Liberté de pensée et d’expression ». Ce fut le cas également en 2010 pour la transformation de la Place du Wacken en Place Adrien Zeller et en 2006 pour la création de la presqu’île André Malraux.

Les prochains choix de la commission porteront sur le quartier des Deux-Rives dont la toponymie se définit au fur et à mesure de l’avancée des aménagements, et sur le site de l’ancien Hôpital civil, toujours en chantier. La prochaine réunion de la commission prévue avant l’été aura donc beaucoup de travail.

Au fait : le Bataillon de Marche 24 a été fondé en février 1943 en Égypte, et après être passé par l’Afrique du Nord, l’Italie et la Provence, il a participé à la libération de Strasbourg en janvier 1945. Maintenant vous le savez.


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