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Comment les libraires strasbourgeois font face à Amazon

Envie de dévorer tel livre recommandé par un ami ? En trois clics et trois jours, l’ouvrage est entre vos mains. C’est ça la magie d’Amazon. Alors comment les libraires strasbourgeois, indépendants pour la plupart, font face à cette concurrence du web ? Les solutions : miser sur le conseil et l’accueil, la spécialisation et surtout… la présence sur internet.

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Il existe une vingtaine de librairies à Strasbourg. Ici, Quai des Brumes (Photo MM)

Difficile de savoir quelles parts de marchés Amazon et d’autres gros sites de ventes de livres sur internet, comme celui de la Fnac, ont pris aux libraires traditionnels. Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’un peu plus de 13% des ventes de livres en France étaient effectuées sur ces sites en 2011. La Direction générale des médias et des industries culturelles indique à ce propos :

« Les ventes par internet, qui représentaient déjà (…) plus de 13 % des achats en valeur en 2010, ont poursuivi leur progression. En corollaire, le repli des ventes en magasin des grandes surfaces alimentaires et du circuit VPC/clubs s’est poursuivi, ainsi que celui des plus petites librairies – les grandes librairies et les librairies spécialisées maintenant mieux leurs positions. »

Alors qu’en est-il à Strasbourg ? Ici, les librairies ne manquent pas. Une vingtaine se partage le marché local, dont une dizaine au centre-ville (Kléber, Broglie, La Bouquinette, Oberlin…) et une dizaine dans les quartiers (Ehrengarth à Neudorf, L’Usage du monde à Cronenbourg ou Chapitre 8 dans le quartier de l’Orangerie…). Leur constat est simple : les ventes se maintiennent, aucune fermeture n’est encore à l’ordre du jour, mais la situation est préoccupante et il est urgent de bouger. Sylvie Bernabé, patronne de la librairie du Quai des Brumes, située au centre-ville, est également vice-présidente d’une toute nouvelle association baptisée ALIR (association des libraires indépendants du Rhin). Elle regroupe une trentaine de libraires de la région, bien décidés à se serrer les coudes dans la tempête. Sylvie Bernabé se veut positive :

« Par rapport aux sites de vente en ligne, je ne dirais pas qu’on est inquiet, même si on voit ça venir depuis une dizaine d’années. On est plutôt perplexe. On ne sait pas vraiment de quoi demain sera fait… Mais pour moi, la librairie indépendante a encore de beaux jours devant elle si elle se remet en question. Finis les libraires aux manches en feutrine ! On doit rajeunir notre image – d’ailleurs nos libraires sont jeunes – et surtout mutualiser nos moyens pour organiser des événements, accueillir des tournées d’auteurs, faire de la librairie un lieu vivant. »

Facebook, un outil incontournable des libraires

Surtout, la librairie du Quai des Brumes, comme d’autres, va renforcer sa présence sur internet. Sylvie Bernabé de reprendre :

« Nous avons déjà une page Facebook [620 fans] qui fonctionne bien et nous aurons à la rentrée un site internet qui permettra de réserver un livre en ligne. Par contre, on ne pourra pas acheter sur internet. Je n’ai pas envie de faire des colis toute la journée, ça c’est le travail d’Amazon, eux sont des logisticiens. L’idée est que les gens continuent à venir en librairie, pour discuter des ouvrages, pour qu’ils puissent découvrir de nouveaux auteurs… »

Même idée à deux pas de là, dans le paquebot de la place Kléber. Adossée à Gallimard depuis 35 ans, la librairie international Kléber est le poids lourd du livre à Strasbourg. Sous sa coupe : la librairie de la Presqu’île à Rivétoile, la librairie du Monde entier à l’Aubette et la librairie du Palais de l’Europe au Conseil (quartier des institutions européennes). L’un de ses dirigeants, François Wolfermann, est en charge des rencontres d’auteurs de la Salle blanche, dont la page Facebook compte 5 470 fans. Pour lui, c’est clair, « pour lutter contre internet, il faut être sur internet ». Explication :

« Pour les gens qui lisent et sont souvent sur leur ordinateur, c’est tellement facile d’aller sur Amazon pour trouver le livre dont ils ont besoin. Ecrire le titre sur un post-it et aller ensuite à la librairie, c’est fini ! Surtout quand les gens sont éloignés des centre-villes. Et puis il faut avouer que pendant des années, l’accueil a été catastrophique dans certaines librairies, où les libraires se moquaient parfois des demandes des gens, critiquaient leurs choix de lecture… Les libraires sont grandement responsables de ce qui leur arrive. Il faut arrêter de prendre les gens de haut !

A Kléber, on est avant tout très actif sur internet, avec nos comptes Facebook et Twitter qui marchent super bien ! On y poste des photos et des compte-rendus de rencontres d’auteurs, des trucs à gagner… Ensuite, on propose aux clients de réserver leurs livres sur internet. On a également un système de livraison en trois jours, comme Amazon, qui assure livrer en 48 heures, mais dont les délais sont souvent plus longs ! »

Les manuels scolaires seront les premiers à disparaître des librairies. Ici, chez Kléber (MM)

Si François Wolfermann est optimiste sur la capacité de la librairie à rester prescriptrice, à défendre des thématiques et des ouvrages, il l’est moins s’agissant certains secteurs d’activité. Pour lui, les rayons voués à disparaître d’ici cinq ans sont ceux des manuels scolaires et des ouvrages universitaires.

« La cuisine, la vie pratique, la jeunesse ou la BD, ça marche très bien. Mais d’ici quelques années, les manuels seront tous téléchargeables sur tablette. Finis les reventes de livres chaque année, souvent en mauvais état… Et ça, on le sent déjà. Un dessin anatomique en médecine ou un code civil, en adaptation constante, seront logiquement tout aussi bien sur écran. On sera amenés à réfléchir sur le réaménagement de la librairie à ce moment-là. »

Interdire la gratuité des frais de port ?

Les livres numériques, s’ils signent l’arrêt de mort des rayons scolaires, ne font pour autant pas vraiment peur aux libraires, surtout pas aux spécialistes comme Valérie Muller, directrice de la librairie Oberlin (théologie, religions), une institution strasbourgeoise depuis 200 ans. Cette femme, douce et souriante, confie :

« Notre créneau est très spécifique. Nous avons dans notre fonds des livres anciens, qu’on ne vend parfois que tous les deux ans, mais que des gens du monde entier savent qu’ils peuvent trouver chez nous. Et puis notre public est assez âgé et n’apprécie pas de lire sur écran. De même, nous avons une clientèle professionnelle, des étudiants en théologie, des curés, des paroisses, qui se renouvelle presque toute seule…

Nous avons quand même un site internet marchand, qui a été refait l’année dernière. Cette activité est en constante progression, même si elle ne représente qu’1 ou 2% du chiffre d’affaires aujourd’hui. Le souci, c’est que nous ne pouvons pas proposer la gratuité des frais de port comme Amazon. J’espère que des mesures seront prises pour que cette gratuité soit interdite… »

Un autre spécialiste, Jean-Daniel Delrue, patron de JDBD quai des Bateliers, chérit le même espoir. Il confirme par ailleurs que certains secteurs sont encore protégés… même si les affaires ne sont pas faciles tous les jours :

« La concurrence du net est une réalité. Mais dans mon secteur, les lecteurs recherchent encore nos conseils. Et puis il y a les fétichistes, ceux qui veulent que leur exemplaire soit nickel, qui ne prennent jamais le premier de la pile. Les mêmes qui bien souvent sont super au courant, trainent sur les forums et les blogs, mais continuent à venir acheter chez nous. »

Pour combien de temps ? « Une génération au moins », souffle un professionnel. En croisant les doigts bien fort.


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