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Comment des Strasbourgeois veulent combattre la haine sur Internet

Comment lutter contre les discours de haine sur Internet ? C’est la question que se pose des associations et des citoyens engagés. Sur la toile, la riposte a déjà commencé. Un sommet, du nom de symposium, autour de ces enjeux se tiendra à Strasbourg les 28, 29 et 30 mai.

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Regards croisés, parfois intergénérationnels, autour de la haine sur le web (photo JFG/Rue89 Strasbourg)

Personne n’échappe au virage du numérique. Plutôt habituée à agir sur le terrain et à l’aide juridique, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) est confrontée à un nouveau terrain de diffusion des messages de haine : Internet et les réseaux sociaux. Et tout y va plus vite.

À Strasbourg, l’association organise, avec l’aide de ses partenaires, un événement autour des violences écrites sur le web les 28, 29 et 30 mai. L’événement était prévu depuis octobre, mais les attentats de janvier ont un peu modifié sa teneur et son importance. Baptisé “No hate web – no hate speech”, il répond au doux nom de symposium, c’est à dire une conférence scientifique autour d’un thème. Le Conseil de l’Europe, où se réunit la conférence des organisations internationales non-gouvernementales (OING) dont la Licra est membre, accueillera les participants.

Ne pas s’arrêter à un constat

Le programme est simple. Une première journée à destination des scolaires, 100 lycéens et 100 collégiens avant l’ouverture officielle à 17h. Le vendredi 29 est la journée des experts, universitaires ou professionnels. Des juristes, un représentant du gouvernement, mais aussi des employés de Facebook ou de Twitter, sont attendus lors des ateliers et tables rondes. Une restitution collective et regards croisés à l’Aubette concluera l’événement le samedi matin. La liste d’intervenants s’allonge. Quelques noms prestigieux sont avancés, mais pas encore confirmés. (découvrez le programme complet ici)

Roger Braun, responsable des affaires juridiques à la Licra du Bas-Rhin explique la démarche :

« La première réflexion est venue lors des élections européennes où on s’est dit qu’il fallait lutter contre les populismes. Avec les événements de janvier on s’est dit que les discours de haine sur Internet étaient la priorité. Une parole s’est libérée à ce moment-là et les agressions envers les musulmans ont doublées, celles envers les juifs ont aussi augmentées. Il n’y a pas distinction à faire entre les discriminations, qu’elle viennent de d’extrême droite ou d’ailleurs. Le but de ce symposium ce n’est pas d’être un colloque de plus et de donner des leçons, mais plutôt d’échanger, de savoir ce que les participants ressentent vis-à-vis de cela. C’est important de ne pas s’arrêter à un constat, mais aussi de savoir comment réagir à ces situations. À la fin de chaque discussion, on définira quelles bonnes pratiques adopter. »

L’association s’est entourée de Silvio Philippe. Cet étudiant arrivé à Strasbourg en septembre s’est fait connaître dans le monde associatif pour avoir organisé le rassemblement le jour des attentats du 7 janvier, co-organisé la marche du 11 janvier ou encore un moment d’hommage aux étudiants kenyans tués dans l’attaque de l’Université de Garissa en avril. Le jeune homme doit apporter sa connaissance des réseaux sociaux, un univers encore neuf pour certains bénévoles historiques.

6 à 10 suicides par an

Car c’est bien là l’un des drames d’Internet. Là où cet outil devait permettre l’accès à plus de connaissances gratuites, plus d’échanges et plus de pluralisme, les fausses informations, les complots et autres défouloirs de violence ont grandi bien plus vite.

En 2014, sur “l’App’licra”, une application pour signaler toutes discriminations, la Licra a recensé 1728 cas : 406 ont été sanctionnés d’une infraction et 1322 classés sans suite, souvent parce que l’internaute visé a retiré son commentaire. “Et ce n’est qu’une infime partie des messages diffusés”, ajoute Roger Braun, un peu fataliste mais déterminé. Selon Philippe Coen, juriste et fondateur de l’association Respect Zone (voir plus bas) 6 à 10 suicides se seraient produits à cause d’harbcèlement sur Internet, mais là aussi ce chiffre serait sous-estimé

Internet accélérateur à certitudes

Pour Silvio Philippe, Internet est un accélérateur à certitudes, qui mène parfois au radicalisme :

« Sur les réseaux sociaux, on a encore plus tendance à s’entourer de personnes qui pensent la même chose que nous. On ne voit une seule manière de penser. Internet ne pousse pas à la remise en question, que ce soit dans les extrêmes, mais aussi pour des personnes plus modérées, mais qui vont être encore plus convaincue que leur position est la bonne. Internet a créé un système où la quantité est davantage valorisée que la qualité, pas seulement pour le débat d’idées d’ailleurs, et cela pousse à des discours simplistes, à la provocation, car cela donne une audience. »

Gilles Bloch, militant de la Licra et Secrétaire général du symposium, estime qu’il est possible de combattre les incivilités sur Internet :

« Ce qui est démontré, c’est que l’invective qui répond à l’invective, cela fait juste monter le ton. Ce qu’il faut, ce sont des réponses qui déstabilisent, parfois avec humour. Mais quand quelqu’un est dans le complot total, il est vrai qu’il est difficile d’avoir prise. La haine s’auto-entretient, mais elle se combat par l’Éducation, la Culture et l’humour. »

Les organisateurs du symposium de gauche à droite : Roger Braun, Silvio Philippe et Gilles Bloch.

Charlie et Dieudonné

Pour Silvio Philippe, le moyen de trancher doit être la loi :

« Si on se met à tout interdire, on perd un peu l’esprit d’Internet, mais un délit reste un délit. Si des propos sont sanctionnés dans la vraie vie, ils doivent l’être en ligne aussi, rapidement et directement. Là où c’est plus délicat, c’est la censure d’opinion. Des propos qui ne sont pas objectivement haineux peuvent blesser, on l’a vu lors des débats sur le mariage pour tous. Il n’y a pas de réponse exacte, il faut faire preuve de discernement. Certains en jouent, mais il faut un minimum de présomption d’innocence. Je n’ai pas de position arrêtée là-dessus et le symposium sera un moyen d’avoir plus d’éléments. »

Justement, c’est ce qui sera soulevé inévitablement avec cette question qui revient, particulièrement chez les 15-25 ans. Pourquoi vouloir interdire Dieudonné alors que Charlie Hebdo n’a jamais été condamné ? Elle reviendra inévitablement lors du sommet et malgré des réponses argumentées, divise toujours.

Roger Braun confirme que la question est récurrente, mais que des arguments peuvent être développés :

« La liberté d’expression n’est pas totale, elle s’inscrit dans le cadre de la loi. Beaucoup de jeunes n’avaient pas conscience que les propos sont délictuels. Ce n’est pas le spectacle qui est reproché, mais le dépassement des lois. On peut faire un spectacle sans dénigrer une catégorie de personnes. Et quand bien même le spectacle est interdit, Dieudonné n’est pas assassiné. »

Respect Zone, un logo pour affirmer que les insultes n’ont pas leur place

Lutter contre les incivilités numériques, c’est ce qui a motivé Philippe Coen a fonder Respect Zone, partenaire du symposium, en octobre 2014. L’association propose d’arborer un logo, qui affirme que sur le site où il figure, l’insulte n’a pas sa place, comme l’indique sa charte de quatre phrases. Après avoir d’abord ciblé les joueurs de jeux vidéo, l’association étend ses domaines d’action. Un lycée est devenu une « Respect Zone » et le gouvernement a apporté son soutien à l’initiative. Une soixantaine d’entreprises, dont Free ou MSN, affichent désormais le symbole, qui est aussi utilisable pour un compte personnel sur les réseaux sociaux.

Le juriste-fondateur détaille les objectifs de son association :

« Nous sommes complémentaires des autres associations. Le logo et la charte associée sont un outil pour affirmer que c’est un endroit où les personnes se respectent. Répondre “vous avez-vu où vous êtes ?” à des propos et diminue l’isolement de l’internaute, car il répond au nom de valeurs et d’une communauté. Ce n’est pas culpabiliser, mais affirmer que l’insulte n’a pas sa place ici, ce qui revient à responsabiliser les internautes. Quand les propos sont ambigus, le responsable peut demander aux personnes de les préciser, sans les censurer systématiquement, il peut s’en distancier. »

Le risque est que certains sites se construisent par opposition  à ces chartes de bonne conduite pour revendiquer un fantasque droit à l’insulte sous couvert de liberté d’expression, mais Philippe Coen estime qu’il est « difficile de ne pas revendiquer le respect. C’est être contre soi-même ». Les délits seront également d’autant plus faciles à localiser.

Le logo Respect Zone, que l’on peut apposer sur un site ou sa profil Facebook.

La traque des haineux sur le web a commencé

À la Licra comme ailleurs on s’est mis à traquer, voir combattre en ligne, ceux qui veulent liguer les citoyens les uns contre les autres, comme l’explique Gilles Bloch :

« On se fait des faux comptes et on va dans des groupes que l’on sait irrespectueux. Parfois on observe juste, parfois on répond en essayant d’engager la discussion, qu’il faut maintenir le plus longtemps possible. Il faut pouvoir faire du contre-discours et pas de la diabolisation simple, car cela les conforte. Sur certaines personnes, le dialogue fonctionne. »

Et pour lutter? Silvio est convaincu que c’est aussi à chacun de s’engager :

« Si Hollande dit qu’il n’y a pas eu de complot autour de Charlie Hebdo, toutes les personnes qui pensent que c’est le cas vont être confortés dans l’idée qu’il y en a un. Si leur voisin leur démontre que non, c’est différent. »

Constat unanime entre les organisateurs : « Il faut des outils pour pouvoir lever l’anonymat quand cela se justifie. »

Signaler les pages et les commentaires à plusieurs

Autre piste technique, signaler à plusieurs les pages Facebook, comme l’expérimente Silvio :

« Si on signale seul une page ou un commentaire, Facebook ne s’y intéresse pas. Mais si on est dix, vingt ou trente, cela a plus de poids. Il y a désormais des groupes pour signaler tout ce qui relève de la haine et où un grand nombre de membres se mobilise au même moment. »

Voilà qui rappelle Strasbourg où l’association Calme Gutenberg a assimilé la noyade d’un Strasbourgeois à l’anniversaire d’un bar/restaurant du centre-ville. Choqués, plusieurs internautes ont créé un événement pour être nombreux à signaler la page. À l’heure d’écrire ces lignes, elle est toujours en activité. Le représentant de Facebook peut déjà préparer sa réponse.

Y aller

Synopsium No Hate Web, No Hate Speech, jeudi 28 et vendredi 29 mai au Conseil de l’Europe de 9h à 19h, inscription gratuite, mais obligatoire. Séance de clôture samedi 30 mai à l’Aubette de 9h à 12h30, place Kléber à Strasbourg.

 

Y aller plus loin

Sur Nohateweb.eu : Le site du symposium européen contre la haine sur le web

Sur Licra67.org : Le site de la Licra
Sur Rue89 : Lutter contre la haine sur le net

Sur Respectzone.org : toutes les informations sur le label Respect zone


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