Début janvier, Rue89 Strasbourg révélait comment les insuffisances de l’encadrement au Foyer de l’enfance du Bas-Rhin engendre des violences entre les jeunes et contre les éducateurs. Cette structure en grande tension est chargée d’accueillir en urgence les enfants retirés de leur foyer sur décision de justice. Selon les professionnels interrogés, l’état de certains jeunes se dégrade après leur placement. Nous évoquions aussi qu’en Alsace, au moins 300 mineurs censés faire l’objet d’une mesure de placement ne sont pas pris en charge par manque de moyens dans la protection de l’enfance.
Ce sont les départements, en l’occurrence la Collectivité d’Alsace (CeA), qui sont responsables de l’aide sociale à l’enfance. Interviewé en décembre, Nicolas Matt (LREM), vice-président en charge de la jeunesse, annonçait que la CeA allait créer 71 placements en 2022. Dans le budget primitif 2022, les élus départementaux ont finalement voté, lundi 28 mars, la création de 208 places réparties entre le Bas-Rhin et le Haut-Rhin.
« Nous avons acté les difficultés, nous nous adaptons à cette réalité »
Parmi ces places, 100 font partie des « mesures de placement », une trentaine de places d’internat (Maisons d’enfants à caractère social (Mecs), foyers, etc.), des placements à domicile (suivi régulier par des éducateurs), et des places au sein de familles d’accueil.
Les 108 autres places correspondent à des « mesures en milieu ouvert » : des éducateurs confèrent une assistance éducative aux responsables de l’enfant et passent également à son domicile. Nicolas Matt précise les objectifs de ces nouvelles places :
« Nous voulons avoir de nombreux types de placement différents pour pouvoir offrir des solutions adaptées aux situations individuelles de chaque enfant. »
Paul Geoffroy, directeur général adjoint à la solidarité de la CeA, explique :
« Nous avons acté les difficultés, qui sont une réalité, notamment le grand nombre de mineurs non pris en charge. C’est lié à une forte augmentation des mesures de placement depuis le Covid. Nous nous adaptons à cette réalité. Nous avons travaillé pour proposer le plus de places possible au vu de ce que peuvent proposer les associations qui porteront les projets et les travailleurs sociaux disponibles. »
Six encadrants et quatre veilleurs de nuit supplémentaires
Le budget du Foyer de l’enfance doit augmenter de 9,15% entre 2021 et 2022, pour passer de 14,7 à 16,1 millions d’euros. Face au sous-effectif dans la structure, le département annonce la création de dix postes : six encadrants et quatre veilleurs de nuit, alors que le nombre de places d’accueil restera stable : 226 places. Éric (prénom modifié), éducateur au Foyer de l’enfance, commente :
« Les syndicats ont alerté Frédéric Bierry (président (LR) de la CeA, NDLR) et la direction plusieurs fois ces dernières années sur le déficit d’encadrement, les risques pour les enfants et les conditions de travail. Rien n’a jamais été fait. Il aura fallu une pression médiatique pour que le département prenne enfin des mesures. »
Nicolas Matt annonce également que les encadrants du Foyer de l’enfance, comme tous les éducateurs du département, auront dorénavant la possibilité d’obtenir un téléphone portable professionnel et un accès à un soutien psychologique, via le cabinet Reliance. La CeA compte aussi négocier, auprès du gouvernement, pour augmenter la rémunération des éducateurs spécialisés dans toute la France, et imposer que les assistants familiaux (familles d’accueil) touchent le SMIC dés les premiers enfants accueillis.
Augmentation du budget de la protection de l’enfance en général
Nicolas Matt revient sur l’ambition de la collectivité :
« Entre décembre et mars, j’ai discuté avec mes collègues pour faire de la protection de l’enfance une des priorités du mandat. Les dépenses de fonctionnement augmenteront de 4,6 millions d’euros par rapport à 2021. Elles atteindront 246,7 millions d’euros. »
L’élu, également conseiller municipal d’opposition à la Ville de Strasbourg, souhaite organiser des « assises de la protection de l’enfance en 2022 », une sorte de sommet pour évoquer, « avec les professionnels des structures et de nombreux intervenants », les réalités du terrain et les adaptations nécessaires. En outre, il compte créer cette année un conseil composé d’enfants placés pour que ces derniers puissent aussi s’exprimer sur les politiques en matière de protection de l’enfance.
Trois postes supplémentaires à l’Arsea
Fin septembre 2021, Rue89 Strasbourg avait alerté sur le manque de moyens à l’Association régionale spécialisée d’action sociale (Arsea), où un éducateur s’était suicidé après celui d’une adolescente qu’il suivait. La CeA, qui mandate et finance l’Arsea pour des mesures de protection, prévoit la création de trois postes dans la structure.
Élue de l’opposition écologiste à la CeA, Ludivine Quintallet salue l’effort budgétaire pour la protection de l’enfance :
« La création de places et l’octroi de moyens est une bonne chose et nous le demandions. Cependant, notre groupe s’est abstenu à cause d’un défaut de visibilité. Nous ne sommes pas certains que ces mesures permettront de résoudre les problèmes actuels car malgré nos demandes, nous ne savons pas combien d’enfants ne sont pas placés suite à une décision du juge. »
« On attend de voir les retours du terrain »
Interrogés sur le nombre d’enfants non placés par manque de moyens, Paul Geoffroy et Nicolas Matt prétextent qu’ils n’ont pas ce chiffre « qui varie en permanence », mais ils assurent « qu’il a baissé ». Il doit donc être d’un peu moins de 300 enfants non placés selon eux. D’après Paul Geoffroy, « les enfants censés être placés mais qui n’obtiennent pas de mesure ne sont pas dans les situations les plus urgentes. Les cas graves sont priorisés ». Il estime que le rôle de la CeA n’est pas de « créer autant de places que de mesures de placement non réalisées, mais aussi d’agir en prévention, avec notamment les mesures en milieu ouvert ».
Ludivine Quintallet considère que le nombre d’enfants non placés malgré une décision du juge devrait tout de même être public :
« C’est une réalité qui illustre un déficit de l’aide sociale à l’enfance à cause d’un manque de moyens. Plus généralement, comment peut-on, en tant qu’élu, prendre des décisions, voter des budgets, si l’on n’est pas conscient des besoins ? »
Les écologistes avaient d’ailleurs demandé une mission d’information et d’évaluation (MIE) sur la protection de l’enfance pour avoir des données précises, mais elle a été refusée par la majorité de droite au département.
Éric, du Foyer de l’enfance, constate :
« Le ton a changé depuis le début de l’année, ça c’est clair. L’intervention de Reliance nous sera présentée début juin. Les téléphones professionnels sont disponibles mais pour l’instant, il n’y a pas de postes supplémentaires, alors qu’il s’agit de la mesure la plus importante. Nous sommes toujours en sous-effectif. »
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