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Quel est ce dieu numérique qui nous obsède ? Grande messe à la Chaufferie

Avec l’exposition Collapsing New People, le duo d’artistes Émilie Brout & Maxime Marion transforme La Chaufferie de la Haute École des Arts du Rhin de Strasbourg en chapelle ironique consacrée au numérique. À méditer jusqu’au 10 novembre.

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À l’invitation de la HEAR (Haute École des Arts du Rhin), Émilie Brout & Maxime Marion présentent quatre œuvres emblématiques autour des usages d’Internet et du numérique. Plongé dans la pénombre et dépouillé, d’une impressionnante hauteur de plafond, l’espace d’exposition installe une atmosphère digne d’un lieu de culte, mais à quel saint devons-nous y adresser nos prières ?

Au nom du scroll, du swipe et des réseaux sociaux

Pièce maîtresse de l’exposition : la vidéo b0mb (2018). Une rafale d’images hétéroclites assaille le spectateur au son d’un enregistrement de la voix du poète de la Beat Generation (les anglicismes en italique sont expliqués en fin d’article) Gregory Corso déclamant son poème du même nom, Bomb (1958), souligné d’une musique trap.

Il s’agit d’une vidéo générée par un algorithme qui traduit les mots du poète en autant de requêtes sur un moteur de recherche d’images et affiche instantanément le premier résultat qui survient. Le contenu peut donc varier à chaque activation de la vidéo en ligne (https://www.b-0-m-b.net/) en fonction de l’actualité.

Émilie Brout & Maxime Marion, b0mb, 2018. Projection, vidéo générative, site web, 9’58’’. (Photo A. Lejolivet – HEAR)

De cette transcription du mot en image découlent incohérences stylistiques et juxtapositions inattendues. Ce déferlement, potentiellement agressif, n’est-il pas celui que l’on s’inflige en surfant sur les réseaux sociaux, passant d’une vidéo de chien acrobate à une publicité pour des sous-vêtements, sans accorder plus de quelques secondes aux contenus ?

Nés au début des années 1980, Émilie Brout & Maxime Marion ont grandi avec la démocratisation de l’informatique et l’arrivée d’Internet dans les foyers. Témoins de l’évolution de ces outils, ils s’en saisissent pour mettre en lumière les bouleversements provoqués par la généralisation du numérique.

Hormis des écrans, la scénographie de l’exposition se caractérise par l’absence d’objets, en écho à la dématérialisation du monde contemporain : réseaux sociaux, messageries, transactions financières, diffusion de l’information, tout cela passe aujourd’hui par le Web. Ne seriez-vous pas vous-même en train de lire cet article sur votre smartphone ?

De l’image au mirage

Dans un rythme radicalement opposé, mais toujours à partir d’images préexistantes dénichées sur le web, la vidéo Lightning Ride (2017) transcende la douleur d’une décharge électrique en béatitude mystique.

Des scènes violentes de Taser certifications ont été ralenties et grossièrement déformées par un filtre Photoshop : seuls demeurent perceptibles le mouvement général de la chute des corps et la grimace sur les visages. Ainsi dénaturées, ces images peuvent alors prendre un tout autre sens. Pour ma part, j’ai songé à un tout autre rite initiatique : une cérémonie chrétienne de baptême par immersion. Par la technique du détournement, le duo invite à réfléchir à l’instrumentalisation des images et aux fake news qu’elles peuvent véhiculer.

Vue de l’exposition. A gauche : Émilie Brout & Maxime Marion, Lightning Ride, 2017. Projection, vidéo UHD, 7’40’’. A droite : Émilie Brout & Maxime Marion, Fireplace, 2019. Installation, streams et vidéos de 10h trouvés en ligne, écrans. (Photo A. Lejolivet – HEAR)

« Ne prenez pas tout ce que vous voyez pour argent comptant »: c’est également le message de l’installation Fireplace (2019), un simulacre de feu de cheminée situé dans un angle de la salle. Face à cet empilement d’une quinzaine d’écrans diffusant simultanément le vacillement trompeur des flammes, le visiteur espère vainement une sensation de chaleur sur son visage. Exagérée par la démultiplication des écrans, la pratique de l’ASMR tourne au ridicule : tout jusqu’au plaisir des sens est devenu virtuel.

Émilie Brout & Maxime Marion, Fireplace (détail), 2019. Installation : streams et vidéos de 10h trouvés en ligne, écrans. (Photo A. Lejolivet – HEAR)

La réappropriation et le détournement d’images préexistantes possèdent une longue généalogie en histoire de l’art depuis les collages cubistes du début du XXème siècle. Ils ont trouvé une nouvelle forme avec le développement de l’art vidéo dans les années 1960, et atteignent leur paroxysme avec le found footage, une technique de montage d’extraits de pellicules trouvées.

Hérité du cinéma expérimental, le remploi d’images « de seconde main » est une démarche appréciée de nombreux artistes contemporains qui puisent leur matière première sur internet. On peut penser par exemple à The Evil Eye (2018) de Clément Cogitore, film constitué d’une succession d’extraits vidéos collectés sur des banques d’images.

Émilie Brout & Maxime Marion sont cependant capables de prendre le contrepied de ce procédé. Avec le film A Truly Shared Love (2018, non présenté dans cette exposition) ils sont créateurs d’images qu’ils tentent ensuite de revendre à l’une de ces plateformes d’où elles seront à leur tour réutilisées.

Ascension du numérique

Internet et le numérique instaurent un nouveau rapport au monde. Comme pour chaque innovation technologique (photographie, audiovisuel), les artistes s’en emparent et de plus en plus de lieux et événements sont dédiés à ces pratiques en développement. Dans la région, on peut par exemple citer le Shadok à Strasbourg, le Bliiida à Metz et le ZKM – Zentrum für Kunst und Medien [Centre d’art et de technologie des médias] à Stuttgart.

En puisant leurs matériaux et outils sur le web et en maîtrisant parfaitement ses codes, Émilie Brout & Maxime Marion s’inscrivent dans ce courant que l’on qualifie d’ « art post-Internet ». À l’écart de la culpabilisation et des sermons technophobes, ils délivrent une subtile critique visuelle et sensorielle des usages du numérique à travers cette exposition extatique.

Émilie Brout & Maxime Marion, Lightning Ride, 2017. Projection, vidéo UHD, 7’40’’. (Photo A. Lejolivet – HEAR)

#culture

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