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Avec le clitoris, les médecins ont un problème de taille

Ancienne interne de la faculté de médecine de Strasbourg, Marie Chevalley, 28 ans, vient de soutenir sa thèse consacrée à la connaissance incomplète qu’ont les médecins français du clitoris. Un travail de recherche inédit qui pointe des manques en termes de formation sur cet organe féminin.

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La connaissance que les médecins français ont du clitoris est-elle aussi bonne qu’ils l’imaginent ? Non, si l’on en croit les résultats d’une étude menée auprès de 1168 internes, médecins généralistes et gynécologues par la Dr Marie Chevalley, dans le cadre de sa thèse de médecine générale. Interrogés via un questionnaire en ligne, 87,4% des participants jugent être en mesure de dessiner correctement le clitoris. Mais un répondant sur deux sous-estime sa taille, en moyenne de 8 à 12 centimètres. Et environ un répondant sur six la sous-estime largement, le croyant 10 à 20 fois plus petit qu’il ne l’est en réalité.

Cette méconnaissance du clitoris par les médecins ne se limite malheureusement pas à sa taille. Lorsqu’ils et elles sont confrontés à une présentation de l’anatomie complète de cet organe, en grande partie interne et donc invisible, 68,8% des participants reconnaissent qu’ils ignoraient certains éléments. Et 70,3% des répondants ayant appris quelque chose grâce à ce texte jugent que ces nouvelles connaissances modifieront leur pratique. L’étude relève toutefois que si « les connaissances anatomiques de l’organe sont partielles et les éléments précis de son anatomie peu connus », ils le sont « un peu mieux par les gynécologues et par la plus jeune génération de médecins ».

A 28 ans, Marie Chevalley vient de soutenir une thèse inédite sur les connaissances des médecins concernant le clitoris. Photo : Anne Mellier / Rue89 Strasbourg / cc

« Je voulais savoir si j’étais la seule à ne pas savoir »

A l’initiative de ce travail de recherche, Marie Chevalley a elle aussi fait partie de ces internes et médecins qui méconnaissaient le clitoris sans le savoir. Pour cette jeune généraliste, le déclic a eu lieu il y a deux ans.

« Je me souviens avoir écouté une émission sur France inter, intitulée : Le clitoris est-il toujours un organe tabou en 2019 ? Ils mentionnaient le site web d’Odile Fillod, une chercheuse indépendante connue pour avoir créé un modèle de clitoris imprimable en 3D. Je suis allée dessus et j’ai découvert que je ne connaissais pas l’anatomie de cet organe. Je ne l’avais jamais apprise. J’ai rouvert mes manuels d’anatomie : à chaque fois, il y a trois ou quatre pages dédiées au pénis, mais presque rien sur le clitoris. Il est noyé dans une coupe anatomique du périnée la plupart du temps, et rarement représenté dans sa totalité. »

« Gang du clito » fait partie des comptes Instagram féministes spécialisés dans la création de contenus éducatifs autour du clitoris.

Il faut dire que le clitoris a longtemps été pris pour un gland dans l’histoire de la connaissance médicale. Ou plus exactement réduit à cette seule partie de son anatomie, visible sous son capuchon à la jonction des petites lèvres de la vulve. N’en déplaise aux poètes, le « bouton de rose » porte mal son surnom puisque cet organe est aussi composé d’un corps, de bulbes et de piliers, dont les tissus se gorgent de sang lors de l’excitation sexuelle, comme ceux du pénis. Découvertes au XVIe siècle, ces composantes internes de l’organe sont celles qui restent encore mal connues du grand public et des médecins.

Interloquée par ses propres lacunes, Marie Chevalley décide alors de tester les connaissances de ses camarades. S’ouvre une période où elle demande aux étudiants de médecine en dernier cycle qu’elle connaît de lui dessiner les organes génitaux féminins et masculins de la manière la plus détaillée possible et d’en donner la bonne échelle. « Je voulais savoir si j’étais la seule à ne pas savoir », explique-t-elle. L’exercice terminé, elle sort de sa poche un clitoris en plastique, imprimé en trois dimensions à partir du modèle disponible en libre accès sur le site d’Odile Fillod. La surprise est presque toujours au rendez-vous. Notamment devant sa taille, largement sous-estimée sur les dessins.

En marge de ses travaux de thèse, Marie Chevalley a également créé le compte instagram « clitodyssee », ou elle raconte l’histoire de « clitorysse », sorte d’Ulysse clitoridien, pour vulgariser son anatomie.

La recherche à la peine

Que penser de ces croquis et réponses erronés ? Témoignent-ils d’une absence de connaissance globale des médecins à ce sujet ? Marie Chevalley décide d’y consacrer sa thèse pour en avoir le cœur net et demande à Odile Fillod d’en être l’une des directrices. Son travail de recherche prend la forme d’un questionnaire qu’elle diffuse largement, via des syndicats de médecins et les réseaux sociaux. Lorsqu’elle l’adresse aux départements de médecine générale des facs de médecine françaises pour qu’ils le transmettent à leurs étudiants, la plupart refusent, expliquant être très sollicités et vouloir privilégier les demandes de leurs propres thésards et thésardes. Mais l’un de ces interlocuteurs a cette réponse aussi lapidaire que révélatrice : « est-ce que votre sujet est une blague ? »  

La recherche peine à se pencher sur le clitoris. Les études sont encore peu nombreuses et la nomenclature de son anatomie ne fait toujours pas consensus aujourd’hui : certains estiment en effet que les bulbes ne font pas partie du clitoris en tant que tel. Sa taille n’est encore qu’une estimation : faute de données, la littérature scientifique ne permet pas d’établir avec précision les dimensions moyennes du clitoris.

Des sources essentiellement non médicales

Entre le 26 mai et le 12 août 2020, plus de 1168 médecins et internes ont répondu au questionnaire de Marie Chevalley. Trois fois plus de participants que nécessaires pour valider l’étude. Elle révèle que près de neuf généralistes sur dix et sept gynécologues sur dix n’ont jamais eu de formation médicale sur l’anatomie et le fonctionnement du clitoris. Environ six répondants sur dix n’ont jamais fait de recherches particulières sur cet organe, jugeant que le besoin ne s’en était pas fait sentir. Les autres se sont essentiellement tournés vers des sites web, de la littérature grand public ou des articles de presse pour s’informer, faute de sources médicales accessibles.

Le manque de sources est un problème selon Marie Chevalley :

« C’est énervant de devoir s’informer via des sources non médicales. Et c’est une des raisons qui m’a poussée à vouloir traiter ce sujet pour ma thèse. C’est une manière de rectifier le tir. J’ai voulu sensibiliser les médecins à ce sujet : tous n’iront pas forcément sur des sites ou des comptes féministes pour s’informer. »

Cette coupe sagittale sur le réseau social Instagram a particulièrement marquée Marie Chevalley lors de ses recherches. « C’est ça qu’il faudrait nous montrer pendant nos études ! »

Au terme de sa soutenance de thèse, validée avec les félicitations du jury, la jeune docteure milite pour un meilleur enseignement de cet organe au cours des études de médecine. « Comment se fait-il que l’on trouve sur des comptes féministes des coupes anatomiques plus détaillées et complètes que celles de nos cours et des manuels d’anatomie ? » Une interrogation qui fait écho à celle de Jasmine Abdulcadir, responsable de la consultation spécialisée pour les femmes atteintes de mutilations génitales aux Hôpitaux universitaires de Genève. Interrogée dans le cadre de la thèse de Marie Chevalley, la gynécologue se demande s’il existe un autre organe du corps humain qui n’est pas enseigné et pour lequel on trouve des informations contradictoires selon les sources.

Pour la médecin strasbourgeoise, les lacunes dans l’enseignement s’expliquent du fait d’un « certain sexisme encore prépondérant dans les études médicales ». Les cours sont « essentiellement tournés vers la reproduction ». « Or le clitoris n’a pas de rôle démontré dans ce domaine, sa seule fonction connue est de donner du plaisir », souligne-t-elle. Enfin, elle pointe « une absence de formation à la santé sexuelle » alors que cet enseignement fait partie de la stratégie nationale de santé sexuelle: un ensemble de politiques publiques visant à favoriser la prévention des Infections sexuellement transmissibles (IST) et à promouvoir l’éducation à la sexualité.

Ces dernières années, la représentation complète du clitoris est devenu l’un des totems de la quatrième vague féministe, attachée à la santé sexuelle des femmes et à une meilleure connaissance de leur corps.

Mais au fond, quelles sont les conséquences de cette méconnaissance du clitoris par les médecins ? Pour écrire cet article, nous avions donné rendez-vous à Marie Chevalley dans un café strasbourgeois. Au terme de l’entretien, une cliente distraite dans sa lecture par notre interview finit par se pencher vers notre table. « Excusez-moi mais je vous écoute depuis tout à l’heure et je me demandais : au-delà du sexisme, du patriarcat, tout ça… Si on ne connaît pas très bien l’anatomie du clitoris, c’est peut-être qu’il n’y a pas ou peu de maladies qui le concernent, non ? » « Il existe quelques atteintes et pathologies qui sont aujourd’hui bien connues, comme l’excision ou l’hypertrophie », répond la médecin généraliste. Mais il en reste sans doute à découvrir. Car en médecine, nommer et identifier les structures du corps est indispensable pour ensuite diagnostiquer les maladies qui les touchent.

« Des internes m’ont parfois demandé ce que cela allait changer concrètement dans leur pratique médicale de mieux connaître le clitoris », réagit Marie Chevalley après une brève discussion avec notre voisine :

« C’est important car cela fait partie de l’éducation que l’on peut dispenser aux patients. Quand on suit les réseaux féministes, on a l’impression que tout le monde sait ce qu’est le clitoris. Mais beaucoup de gynécologues peuvent raconter une consultation au cours de laquelle une femme leur a demandé ce qu’était ce bouton en haut de sa vulve. Comment peuvent-elles avoir une sexualité épanouie sans connaître leur corps ? Et si nous, médecins, ne connaissons pas l’anatomie du clitoris et son fonctionnement, comment pouvons-nous leur en parler ? »


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