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Clip de rap au Neuhof : Abdelos s’explique

Accusé de faire l’apologie de la drogue et des armes avec « Eider », un clip tourné dans la cité du Neuhof à Strasbourg, Abdelos a déclenché l’ire des syndicats de police qui dénoncent une provocation. Le parquet de Strasbourg a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire qui doit déterminer si les armes et la drogue utilisées sont vraies. Depuis, la vidéo du rappeur a été reprise par les médias nationaux, atteignant les 200 000 vues sur Internet. Le principal intéressé, qui ne s’était pas encore exprimé, a réagi pour Rue89 Strasbourg.

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Armes à feu, drogue, trafic : les images du clip d’Abdelos suscitent la polémique (capture d’écran)

C’était seulement son deuxième clip. Abdelos n’aurait jamais imaginé que « Eider », tourné à l’été 2014, prenne une telle tournure. Mis en ligne le 1er mai, le clip atteignait les 20 000 vues. Ça, c’était avant la déferlante médiatique et l’indignation des syndicats de police qui taxent la vidéo de « provocation ». Depuis sa médiatisation au niveau national, la vidéo a été vue plus de 200 000 fois sur YouTube.

Des armes, des barrettes de shit, des lieux de deal et des dealeurs : en 4 minutes 30, la vidéo d’Abdelos concentre tous les éléments conduisant à déclencher l’ouverture d’une enquête judiciaire par le parquet de Strasbourg. Confiée à la Sûreté départementale du Bas-Rhin, l’enquête devra déterminer si les armes montrées dans la vidéo sont factices ou non et identifier les figurants, dont certains sont déjà connus des services de police.

« Eider », du nom de la marque de veste multipoches qui « tient chaud en hiver pour les guetteurs, quand faut taffer dehors » a aussi suscité l’indignation des élus locaux. Interrogée par France 3 Alsace, Annick Neff, adjoint au maire (PS) au Neuhof a insisté sur le fait que le « Neuhof n’était pas ça ». De son côté, l’UMP s’est fendue d’un communiqué de presse, dénonçant un clip contraire aux valeurs de la République. Un communiqué largement inspiré de la tribune de Philippe Breton. Sur son blog, le politologue appelle à une réponse forte des élus et évoque un imaginaire de guerre civile dans lequel un territoire est défendu par les armes pour la pérennité de son industrie, celle de la drogue.

« Au Baller ça bosse ! »

Et si vous ne l’avez pas encore vu, voici ce que ça donne :

« Je ne savais pas que ça allait prendre une telle ampleur »

De son lieu de vacances, Abdelos est un peu déconnecté de l’emballement médiatique et des réactions suscitées par son clip. Contacté par téléphone, le jeune rappeur explique avoir simplement décrit une réalité qui a existé dans son quartier et se défend d’avoir voulu faire l’apologie de la drogue :

Ce n’est pas la première fois qu’à Strasbourg un clip suscite l’indignation des pouvoirs publics. En 2008, la vidéo du rappeur de Hautepierre, l’1pulsif, intitulée « D.A.R, Dangereux, armés, redoutables » était remontée jusqu’à Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur. Le clip mettait en scène des femmes tenues en laisse et la séquestration d’un policier dans le coffre d’une voiture. L’Unsa-police avait demandé des poursuites judiciaires, qui n’avaient pas abouti.

Le délit s’appelle incitation à l’usage et trafic de stupéfiants

En revanche, c’est la première fois au niveau local qu’une enquête de cette nature est ouverte. Le rappeur et les figurants risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € pour incitation à l’usage et trafic de stupéfiants.

Pour Abdelos, il s’agissait de suivre les codes du « Gangsta rap », une mouvance du rap née sur la côte ouest des États-Unis à la fin des années 80, dans laquelle violence, argent facile et misogynie sont glorifiés :

Un clip qui donne une mauvaise image du Neuhof ?

À la réaction de Mathieu Cahn, adjoint au maire (PS) à la Meinau, qui s’est dit « effaré », le rappeur répond :

Sauf que le Neuhof est un territoire que Mathieu Cahn connaît bien puisqu’il est aussi chargé du suivi du plan de rénovation urbaine (PRU) qui touche le quartier depuis six ans et dans lequel près de 283 millions d’euros ont été engagés.

Si les élus locaux lui reprochent de donner une mauvaise image du quartier, les habitants eux, sont davantage excédés par la médiatisation du clip qui évite les vrais problèmes. Classé en zone urbaine sensible (ZUS), la cité du Neuhof connaît un taux de chômage de près de 42% chez les jeunes de moins de 25 ans. Abdelos explique qu’il se fait le témoin d’une situation sociale du quartier :

Un clip qui fait aussi réagir d’autres rappeurs strasbourgeois

Il n’y a pas que la justice et la classe politique que la vidéo d’Abdelos a fait réagir. Kadaz, rappeur strasbourgeois depuis plus de 20 ans, regrette la mauvaise image du rap diffusée dans le clip, mais estime aussi que les réactions autour de la vidéo sont excessives :

« Nous, on a pris le rap avec l’idée du message. Cette génération cultive le cliché, il n’y a plus aucune recherche artistique, ils font ce que font les autres. C’est dommage car dans ce type de rap à Strasbourg, c’est Abdelos qui s’en sort le mieux. Quand tu sors une caméra, tu trouveras toujours 50 zouaves pour crier, faire des doigts d’honneur ou sortir une arme. Mais dire que cela relève d’un imaginaire de guerre civile ou communautaire… Cela suscite le fantasme de certains et des débats qui cachent la réalité des choses. »

Pour Le 6 et Kevin, du label strasbourgeois Drugstore, respectivement animateurs au centre socio-culturel du Port-du-Rhin et de la Montagne Verte, le clip d’Abdelos s’apparente davantage à une déposition qu’à une démarche artistique :

« C’est très maladroit de montrer les visages, les lieux. Musicalement, c’est pauvre, c’est le type de rap qui fait rimer « ouille avec couille ». Ce ne sont pas des propos qui datent d’aujourd’hui mais là, c’est la politique de la surenchère. Quel est le message que l’État renvoie s’il porte plainte ? »

Sorti de l’anonymat par la police

Le clip d’Abdelos aurait pu être noyé parmi la multitude de vidéos identiques disponibles sur YouTube et tournées aux quatre coins de France, s’il n’avait pas été signalé par les syndicats de police. Le journaliste de Rue89 Ramses Kefi pour qui le clip strasbourgeois « transpire la flemme, le copié-collé et le manque d’imagination », dresse une liste ironique des dix rappels pour les apprentis rappeurs « gangsta » sur YouTube.

Entre les images condamnables par la loi et le manque d’ambition esthétique, le clip d’Abdelos s’inscrit dans la lignée de ceux qui font réagir les éternels adversaires de ce genre musical. En mars, un clip de Sarcelles mettant en scène des collégiens et des armes faisait la une des journaux. Une copie de ceux diffusés sans problèmes sur les chaînes musicales. Le titre à la mode « Coco » de l’américain O.T Genasis, qui reprend les mêmes éléments que la vidéo d’Abdelos (armes, transaction, cocaïne) passe en boucle sur les ondes et dans les boîtes de nuit. À ceci-près qu’il est validé par le circuit de l’industrie musicale.

En tout cas pour Abdelos, terminé les clips « hardcore ». Échaudé par tout le tapage médiatique autour de sa vidéo, il continuera à faire du rap et des clips, « où les gens se concentrent uniquement sur la musique, et pas sur la vidéo ».

Entretien d’Abdelos réalisé avec Gaspard Glanz.


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