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À la clinique Sainte-Anne, la maternité s’adapte au handicap

Changer les couches de son bébé ou se regarder dans une glace, facile ? Pas pour les mères handicapées, obligée d’appréhender leur environnement différemment des parents valides. La clinique Sainte-Anne de la Robertsau et l’Association des paralysés de France ont imaginé des aménagements pour leur faciliter les choses.

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Le bébé et les jeunes parents sont entourés par le Dr Sébastien Courdier, gynécologue, Chantal Mathis, sage-femme coordinatrice de la Clinique Sainte Anne, Claire Henck, ergothérapeute APF et David Sogne, Sage-femme cadre de la Clinique Sainte Anne. (Photo Frédéric Maigrot / doc remis)

Savoir ce que la patiente peut faire, et ce qu’elle ne peut pas faire. Voici le genre de question que se pose depuis quelques mois David Sogne, sage-femme cadre à la clinique Sainte-Anne, au sujet de certaines des femmes qu’il est amené à suivre dans le cadre de leur grossesse. Depuis mars 2015, son service de maternité est adapté aux situations de handicap pour répondre au mieux aux besoins des futures mères.

Cette prise en compte des demandes médicales et des soucis du quotidien s’inscrit dans le cadre d’un partenariat avec l’antenne locale de l’Association des paralysés de France :

« Nous sommes informés tôt dans la grossesse des situations de handicap grâce à ce partenariat. Nous nous réunissons alors avec, notamment, des ergothérapeutes et des éducateurs. Ils connaissent la pathologie de la femme concernée et peuvent indiquer ce qu’elle peut faire, ou pas. Par exemple, une femme pourra se brosser les dents, mais aura besoin d’aide pour se lever de son lit afin d’aller aux toilettes ou de se mettre sur son fauteuil. »

Il s’agit alors pour lui de déterminer ce qui est du ressort de l’équipe médicale et ce qui relève de l’entourage (proches ou auxiliaires de vie) de la future mère. Auparavant, la prise en charge de femmes handicapées avait été très ponctuelle dans cette maternité.

David Sogne se souvient à peine d’une ou deux patientes en dix ans. Si les plateaux techniques d’accouchement, prévus pour des femmes allongées et réglables en hauteur, s’adaptent relativement facilement au handicap, ce n’est pas le cas des chambres : il suffit d’une salle de bain sans chaise de douche pour qu’il soit impossible de s’y laver.

« Quand on est assis, on ne voit pas les choses de la même manière »

Pour changer la donne, l’équipe médicale a elle-même dû changer de hauteur. Elle a visité la maternité de l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, précurseur en la matière. Cette consultation d’obstétrique pour femmes handicapées a ouvert ses portes en 2006 sous l’impulsion d’une sage-femme elle-même handicapée, Béatrice Idiard-Chamois. David Sogne se souvient :

« Quand on est assis, on ne voit pas les choses de la même manière. Lorsque nous avons visité l’Institut Montsouris, nous avons découvert la partie dédiée aux nourrissons. Des fauteuils roulants s’y trouvaient. Ils nous alors été demandé de nous y mettre pour découvrir le monde en fauteuil. Je peux vous assurer qu’à ce moment, quand un interrupteur est un peu haut, ou qu’il y a une patère haute pour les affaires, c’est difficile. Il peut encore s’y ajouter une petite difficulté : parfois, ces personnes ont du mal à lever les bras aussi haut que les valides. Cela m’a remué. Nous nous sommes dit que nous allions essayer d’adapter les choses aux fauteuils roulants. »

Adapter, c’est-à-dire pouvoir régler la hauteur de la table à langer pour permettre à la mère de voir son bébé en étant assise en fauteuil, installer des portes coulissantes aux placards, proposer une douche de plain-pied ou encore doter la chambre d’un miroir inclinable pour qu’il soit possible de s’y regarder quelle que soit sa position… Autant de dispositifs que ces femmes ont chez elles, mais ne trouvent pas toujours à l’hôpital. Une sage-femme est également diplômée en langue des signes.

La salle de bain, de plain pied et large, avec une table à langer à hauteur réglable permet à la jeune maman de manipuler son bébé (Photo Frédéric Maigrot / doc remis)

Pour compléter le dispositif, une équipe d’accompagnement d’une vingtaine de personnes entoure les femmes, dont l’accueil en maternité peut se prolonger au-delà des quelques jours habituels. Le temps de découvrir les soins à apporter à leur bébé. David Sogne souligne la nécessaire répartition des rôles dans le suivi de ces femmes :

« On fait bien que ce que l’on fait souvent et ce que l’on connaît bien. Nous, nous savons nous occuper du volet maternité. Nous savons adapter les choses au handicap, mais nous avons besoin de ressources, c’est-à-dire de gens qui savent faire et qui connaissent. La question du pluriel est importante. »

Un mécanisme allant du désir d’enfant jusqu’à ses sept ans

Ces professionnels, ce sont ceux de l’Association des paralysés de France (APF), spécialisée dans le handicap moteur avec ou sans trouble associé. C’est elle qui a impulsé le dispositif dédié au suivi des (futurs) parents handicapés du désir de grossesse aux sept ans de l’enfant. La maternité est l’une des pièces de ce jeune mécanisme.

François Amet, responsable régionale de l’offre de service à l’APF Alsace, relate la naissance de l’idée en 2013. Cette année-là, Béatrice Idiard-Chamois est invité pour une conférence à Colmar. L’occasion pour l’antenne locale de l’APF de prendre conscience qu’elle a déjà accompagné des femmes enceintes handicapées, mais sans aucun cadre formel. Décision est prise de chercher un partenaire maternité pour pallier ce manque. Le choix se porte sur la fondation Saint-Vincent-de-Paul, dont fait partie la clinique Sainte-Anne.

Suit la visite de l’équipe strasbourgeoise à l’Institut Montsouris… et une visite de l’équipe de Montsouris à Strasbourg. Une chambre est choisie, soigneusement inspectée et une liste des travaux d’aménagement nécessaires – et réalisables – est dressée. En novembre 2014, après un an et demi de préparation, le dispositif est sur pied. La maternité bénéficie d’un délai supplémentaire, jusqu’en mars 2015.

Un dispositif au stade expérimental

L’idée pour Françoise Amet est de procurer aux femmes un suivi de grossesse qui soit le plus ordinaire possible, tout en prêtant une grande attention aux risques et aux besoins liés au handicap. À sa connaissance, hormis l’Institut Montsouris, seule la ville de Bordeaux propose une offre semblable. Pour elle, il s’agit maintenant d’élargir le dispositif à l’un des départements voisins :

« Ce service fonctionne. La collaboration avec la maternité est extrêmement riche. Nous aimerions donc le développer. Nous y réfléchissons pour le Haut-Rhin, mais nous ne l’avons pas encore vraiment pensé à l’échelle de la grande région. »

Le dispositif n’en est pourtant qu’au stade expérimental. Aucune démarche d’agrément n’a été engagée et par là, aucun financement des instances de certifications – Agence régionale de santé par exemple – perçu. Les différents partenaires ont donc mis du leur, indique François Amet, qui précise que la fondation de France vient d’apporter une dotation de 11 000 euros pour l’achat de matériel de puériculture adapté. Deux autres demandes de dotation sont en cours.

La dernière mère handicapée suivie dans la maternité a donc suivi la totalité du dispositif. Elle s’’engage encore le suivi jusqu’aux sept ans de son fils. (Photo Frédéric Maigrot / doc remis)

Pour l’instant, quatre femmes ont été suivies, mais une seule a accouché à la clinique Sainte-Anne : elles ne sont pas obligées de suivre le parcours proposé dans sa globalité. Elles peuvent notamment opter pour une maternité, certes moins adaptée, mais plus proche de chez elles. Au contraire, si leur état de santé préconise lors de l’accouchement la présence d’un service de réanimation par exemple, les futures mères peuvent être orientées vers l’hôpital.

De son côté, la clinique a permis à deux femmes extérieures au partenariat de bénéficier de l’accueil en chambre adaptée. David Sogne estime qu’elle peut aussi être adéquate pour l’accueil de personnes se trouvant provisoirement en fauteuil, suite à une mauvaise chute par exemple.

Être papa comme les autres

François Amet rappelle que le dispositif ne se cantonne pas aux seules femmes :

« L’idée est également d’accompagner des papas pour les aider à lever les freins qu’ils imaginent avoir dans leur désir de parentalité. Ils se demandent souvent s’ils seront capables d’être papa comme les autres dans le cas où ils ne peuvent pas tenir leur enfant, ne peuvent pas l’emmener à la crèche ou encore jouer au foot avec lui… Nous leur proposons un accompagnement dans leur capacité à jouer pleinement leur rôle de père. Cela peut prendre la forme d’ateliers. »

Car pour les mères comme pour les pères, le dispositif d’accompagnement ne s’arrête pas aux portes de la maternité. Il est prévu jusqu’à ce que les enfants nés dans ce cadre arrivent à leurs sept ans. Le temps, selon Françoise Amet, de répondre aux questionnements des jeunes parents et de permettre aux liens mère/enfant et père/enfant d’être solide malgré les difficultés liées au handicap. Dans ce but, un nouveau partenaire devrait bientôt entrer dans la danse : le Centre ressources Petite enfance et handicap de Strasbourg.

Aller plus loin

Sur Le Blog de la Robertau : Clinique Ste Anne : accueillir la maternité des personnes handicapées


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