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Dans l’intimité des Roms de Strasbourg avec Claire Audhuy

Claire Audhuy a passé l’été au milieu des familles roms installées à l’espace d’insertion Hoche, au sud de Strasbourg. Elle en a tiré un recueil de petites histoires, ses « petits contes documentaires », qu’elle va lire le 14 octobre.

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C’est une artiste occupée que nous rencontrons un midi à Strasbourg, entre une résidence en Normandie et une répétition à Bruxelles. Claire Audhuy enchaîne les projets. Vendredi 14 octobre, elle présentera à Strasbourg sa dernière création de théâtre documentaire, « Dieu, les caravanes et voitures », fruit de son immersion l’été dernier au camp rom de Hoche, au sud de la ville. De ces moments partagés, faits de confidences et de coups de sang, elle a écrit un texte qu’elle lira vendredi au public strasbourgeois, accompagnée à l’accordéon par le compositeur Gabriel Mattei.

Pour définir son travail Claire Audhuy se lance :

« Ce sont des petits contes documentaires qui parlent du monde réel en mêlant magie, poésie et onirisme. »

Derrière son art, la jeune femme s’est donné une mission : donner de la voix « à ceux qu’on n’a pas envie d’entendre ».

« Je m’intéresse depuis plusieurs années à la parole des minorités et de ceux qu’on n’entend pas. Il y a ceux dont le message est indicible : les survivants de la Shoah ; il y a ceux qui ne sont plus là pour parler : les témoins de la première guerre mondiale ; il y a ceux qu’on n’est pas prêt à entendre, et puis il y a ceux qu’on ne veut pas entendre. C’est le cas des Roms. »

Gabriel Mattei et Claire Audhuy (Photo C.A. / DR)

Une centaine de personnes au camp Hoche

Pour donner la parole à cette minorité apparue en France après l’adhésion de la Hongrie et de la Roumanie à l’Union européenne en 2007, Claire Audhuy est allée à la rencontre des habitants du camp Hoche. Situé sur un ancien camp militaire au sud de Strasbourg, cet « espace temporaire d’insertion » fait partie du dispositif de la mission Roms de la Ville de Strasbourg pour intégrer cette population et la sortir des bidonvilles.

Il accueille aujourd’hui près de 100 personnes en caravanes. La Croix rouge les accompagne pour la scolarisation des enfants, l’insertion professionnelle des adultes et, ultime étape, l’accession à un logement social. Des associations culturelles animent aussi la vie du camp. Depuis son ouverture en 2013, environ huit familles hébergées à l’espace Hoche ont déjà accédé à des appartements. D’autres ont déjà trouvé un emploi et attendent encore leur tour. D’autres ont préféré reprendre la route ou rentrer dans leur pays d’origine. D’ici la rentrée 2017, la Ville prévoit de déplacer l’espace Hoche à Cronenbourg car l’armée souhaite vendre son terrain.

En tout, Claire Audhuy a passé près de trois semaines avec les occupants de l’espace Hoche, étalées sur les trois mois de l’été.

« Il s’agissait de passer du temps là-bas, parfois à ne rien faire du tout. Je ne prenais pas forcément de notes sur tout ce qu’il se passait. Il ne s’agit pas de débarquer deux heures avec un enregistreur et de braquer tout le monde. J’ai pris le temps de saisir les envies qui passaient, les silences, les regards. »

Confidence pendant les trajets en voitures

Dans ce lieu ou la promiscuité fait loi, pas facile d’en venir aux confidences, surtout que la majorité des adultes ne maîtrisent pas le français.

« C’est avec les enfants que j’arrivais à communiquer le plus parce qu’ils vont à l’école. Et avec certains adultes qui ont suivi des cours de français. »

La Croix rouge a permis à Claire Audhuy d’accompagner des personnes dans leurs déplacements pour les rendez-vous à la prison ou aux bébés du cœur par exemple.

« L’espace Hoche, c’est le bout du monde, tu ne peux rien faire sans voiture et tout trajet prend bien 40 minutes. C’est dans ces temps-là que j’ai pu partager des moments plus intimistes avec les habitants. »

Offrir un petit chat

Dans la communauté de destins que Claire a croisés, des petits garçons rêvent d’amoureuse à qui ils offriraient un petit chat, ou de carrière de policier. Les petites filles sont des princesses sur des tapis volants. Les femmes enterrent leurs hommes avec leur portable, mais le téléphone ne décroche plus. Ceux qui ont obtenu un appartement reviennent le soir s’enivrer de la vie en collectivité. Et parfois les hommes se battent, pour rompre l’ennui.

L’espace vaisselle de Hoche (Photo Célia Constantinesco / Rue89 Strasbourg)

Tout change très vite au camp. L’intégration se fait sur le fil du rasoir.

« L’environnement est rude pour les enfants. Ils jouent au foot à côté des voitures stationnées pour les passes. Ce n’est pas le but de la Ville de les garder dans cet espace d’insertion. Et j’ose espérer que ce n’est le but de personne de rester là-bas. J’ai rencontré des réalités de terrain assez violentes. Je pense par exemple à une famille à laquelle je me suis beaucoup attachée. Elle a inspiré cinq textes du spectacle. Un jour que j’arrivais par hasard, je prends de leurs nouvelles. Les enfants m’annoncent que l’un des papas de la fratrie est mort, que l’autre va sortir de prison et que la Maman a décidé que la famille allait quitter la France. Ils partaient le lendemain. Tout le travail d’insertion accompli tombait à l’eau comme ça. Je me suis interrogée sur l’avenir de ces enfants. Chacun d’entre eux s’était mis une barricade pour encaisser la rupture. Ils prenaient tout ça avec beaucoup de distance apparente. Moi, je trouvais ça plutôt pas mal ce qu’ils avaient esquissé à l’espace Hoche. Ils sont partis. D’ailleurs dans les gens que j’ai rencontrés là-bas, il n’en reste pratiquement plus aucun aujourd’hui. Si j’y retournais, ce serait une autre pièce. »

« Permettre un dialogue qui n’existe pas »

L’artiste espère que sa pièce puisse contribuer à changer les mentalités.

« J’ai voulu mettre en lumière le mode de fonctionnement des roms, leurs manières de réfléchir, pour finalement montrer que par-delà les différences, on se ressemble. »

Claire Audhuy (Photo Claire Gandanger/ Rue89 Strasbourg / cc)

Fille et épouse de journalistes, Claire Audhuy a choisi le théâtre documentaire « pour toucher un public plus nombreux ».

« Je me sens proche du journalisme, mais je m’en distingue par mon mode de restitution de mes observations de terrain. J’ajoute un style personnel. J’apporte un peu de beauté au-delà des faits. Ce travail me permet d’aller vers les publics scolaires pour qui le spectacle vivant est plus ludique. »

L’auteur espère que son travail va contribuer à « permettre un dialogue qui n’existe pas aujourd’hui », alors que les Roms subissent dans la société un « profond mépris ».

« J’ai déjà pu le constater lors de mes interventions dans les collèges et lycées quand j’ai projeté aux ados des passages du Bulli Tour sur des rappeurs roms. Les élèves étaient choqués que ces Roms puissent être fiers d’être roms. La parole raciste était complètement libérée. »

Des porcs sur les fosses communes

Pour Claire Audhuy, le travail à faire dans la société sur la reconnaissance des Roms est énorme.

« Comme ils sont une minorité partout, il y a un consensus sur cette plus petite minorité. On a tous nos roms. Leur mémoire est complètement méprisée. Et c’est encore pire dans leurs pays d’origine. En République tchèque, savez-vous ce que sont devenus les camps de concentration réservés au Roms pendant la seconde Guerre mondiale ? Dans les années 70, l’un d’entre eux a été transformé en porcherie industrielle. Elle est toujours en activité aujourd’hui malgré la mobilisation des enfants de roms exterminés. Les porcs se promènent sur les fosses communes. L’autre camp est devenu un aquaparc. »

Mais Claire Audhuy veut croire dans la progression des jeunes générations.

Quand je parle avec les lycéens, je vois que leur racisme est assumé mais pas du tout construit. Rien n’est encore figé. »

 


#théâtre documentaire

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