C’est, depuis 20 ans, l’un des piliers de l’animation cinématographique à Strasbourg. Le Mad Ciné-Club et sa bande de cinéphiles-cinéphages enthousiastes agitent les esprits curieux depuis 1992. A l’heure frémissante où Quentin Tarantino et son Reservoir Dogs enflamment le Festival du film indépendant de Sundance, outre-Atlantique, le Mad Ciné-Club se fait, dès lors, l’écho d’un cinéma de contrebande, en ces temps peu diffusé. Marc Troonen, l’un des membres fondateurs, se souvient :
« Le Mad Ciné Club est né d’une frustration. Au lycée, on ne sortait pas de l’étude des classiques (Bergman, Welles…), il n’était pas question de se forger soi-même une opinion : il fallait rester dans une sorte de respect religieux des grands maîtres. Nous, nous voulions faire découvrir, pêle-mêle, des classiques oubliés, des films de genre de toutes sortes, la nouvelle vague asiatique juste avant qu’elle ne déferle en France et des œuvres plus atypiques qui ne circulaient pas dans les salles françaises ».
L’Odyssée accueille, dans un premier temps, leurs soirées et nuits thématiques où se donnent à voir une programmation à l’impertinence revigorante, entre obscurs auteurs et cinéastes aujourd’hui de renom, parmi lesquels Cronenberg, Lynch, De Palma ou Lars von Trier. Naît ensuite, en 1994, L’Étrange Festival, inspiré de la manifestation parisienne du même nom, mais programmé et orchestré de manière indépendante à Strasbourg. La série B, le film d’aventure, l’animation, la comédie musicale, comme des chefs-d’œuvre du patrimoine s’y font la courte échelle ; des cinéastes, comme l’américain Bill Plympton, viennent à la rencontre du public. Belle époque.
Le timide soutien des collectivités
Tandis que la manifestation se développe, sur la base du bénévolat de ses organisateurs, son budget, lui, n’évolue guère, ce qui interroge Marc Troonen :
« Nous avons toujours été soutenus par la CUS. D’une certaine manière, la Ville est un des partenaires historiques du festival. Néanmoins, à compter de la 10e édition, nous nous sommes retrouvés face à un vrai paradoxe : d’un côté, nous avions relevé le pari d’inscrire le festival dans la durée, soutenus par un public dont la fréquentation était en constante hausse (près de 2000 spectateurs en 5 jours, en 2011), de l’autre, les subventions renouvelées ne nous permettaient pas de nous développer plus largement, sachant qu’il nous importait de maintenir le prix du billet au tarif unique de 5,50 euros. Aujourd’hui nous nous interrogeons beaucoup sur le soutien un peu tiède de la Ville ».
L’Étrange Festival se tourne, dès 2007, vers le mécénat culturel qui prend le pas sur les soutiens publics : 5 500€ proviennent du privé, contre 3 900€ alloués par la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) et la CUS. L’écart se creuse l’année suivante et se confirme lors de la dernière édition en date, en 2011.
Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, sérieux concurrent
Quoique distinct dans ses intentions et son ambition, l’arrivée du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) en 2008, créé par les Films du Spectre, une autre association de cinéphiles strasbourgeois, fragilise, davantage encore, l’Étrange Festival. Les institutions, sensibles au retentissement de cette manifestation d’envergure, dotée d’une marche des zombies dans la ville, d’un jury de personnalités et de plusieurs compétitions, dote le FEFFS de conséquentes subventions : 60 000€ en 2011, contre 3 500€ pour l’Étrange la même année.
Georges Heck, le responsable du département cinéma et audiovisuel de la Ville et la Communauté Urbaine de Strasbourg, s’explique :
« Le FEFFS et L’Étrange Festival de Strasbourg sont deux initiatives pertinentes et intéressantes. Mais la Ville ne peut pas soutenir à part égale deux manifestations qui naviguent sur des champs aussi proches. Le FEFFS a pris de l’ampleur en quelques années et fait la différence par le travail d’animation qu’il propose, sa zombie walk, son jury et son catalogue. D’où les soutiens conjoints des départements de l’animation urbaine et de celui de la direction culturelle. Mais il ne s’agit en aucun cas de rejeter L’Étrange Festival et nous restons attentifs et ouverts à son évolution ».
Pour une fusion des deux festivals ?
Quel avenir pour l’Étrange face à la vigueur du FEFFS ? Fusionner les deux festivals simplifierait la vie de la direction culturelle de la CUS – « il nous aurait semblé judicieux que le FEFFS et l’Etrange accordent leurs violons », reconnaît Georges Heck. Mais ni l’historique, ni le mode de fonctionnement des deux entités (après cinq ans de bénévolat, l’équipe du FEFFS s’est dotée, en 2011, d’un salarié permanent, en emploi aidé, pour le festival et l’organisation d’animations tout au long de l’année ; celle de l’Étrange est intégralement bénévole depuis toujours) ne rendent envisageable pareille solution.
Pour Stéphane Libs, directeur des cinémas Star qui accueille les deux festivals, la question ne se pose pas :
« Malgré des territoires cinématographiques communs, le FEFFS et l’Etrange n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Le premier exploite un genre, le fantastique, dans toutes ses largesses, son histoire et sa vision à travers le monde de différents cinéastes. Le second veut parler des marges et de toutes les marges. Ainsi défini, l’Étrange est un festival en perpétuelle évolution, puisque les marges d’hier se retrouvent souvent « au centre » aujourd’hui : le film d’animation japonais, les films de sabres initiés par Tigres et dragons, les films « faits à la maison avec des potes » qui sont aujourd’hui facilités par les caméras numériques, les zombies qui avaient disparu et reprennent une place importante dans les sorties… Bref, la prise de risque de l’Étrange dans une fouille quotidienne des territoires peu montrés, le fait de proposer aussi bien des films jeune public un peu oubliés, que des soirées X, des soirées nanars et du surnaturel des années 70 avec Jean-Louis Trintignant, font que son identification pour le spectateur est plus difficile que celle du FEFFS. L’Étrange sera toujours en danger, parce que le cinéma « commercial » exploite, incorpore et rejette ces marges. Le vrai problème est qu’on compare sans cesse les deux festivals et qu’il faut arrêter de le faire. Il y a plus d’idées dans chacun d’entre eux que dans la plupart des festivals de cinéma à Strasbourg. Ces deux-là sont précieux, car nourris de notre passion à tous : le cinéma ».
Pour l’heure, L’Étrange Festival n’a pas déposé de demande de subventions à la CUS pour l’édition 2012, et propose, afin de prendre du recul et le temps de la réflexion nécessaire à son éventuel développement, une soirée « Psycho Killers », dans l’esprit de ses débuts, ce vendredi à 20h au Cinéma Star St-Exupéry. Y sera présentée l’avant-première du thriller français The Incident, en présence de son réalisateur Alexandre Courtès, suivie d’une projection exceptionnelle de Schizophrenia, saisissant portrait d’un psychopathe réalisé par l’autrichien Gerald Kargl en 1983.
Y aller
Soirée « Psycho Killers », vendredi 20 avril à 20h au cinéma Star St-Exupéry, rue du 22 novembre à Strasbourg. Site web: www.madcineclub.com
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