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Après le karaté, la samouraï Christelle Sturtz s’est trouvé d’autres combats

À l’aube de ses quarante printemps, Christelle Sturtz, vainqueur de la coupe du monde de karaté en 2010 et titulaire de 12 titres en coupe d’Europe de karaté, ne foule plus les tatamis. Mais elle lutte, elle court, elle mouille le maillot, sans cesse, pour ceux qui ne le peuvent plus.

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Christelle Strutz est une « nana de challenges ». C’est elle qui le dit. Sûre de son fait, les yeux bouillonnants de vie et l’esprit plein de projets, elle raconte être arrivé au bout d’un cycle de sa vie avec la publication de son livre « La Samouraï », en avril dernier. À 38 ans, elle a le sentiment de clore un chapitre. Elle veut faire autre chose.

« Faire », c’est un peu son mantra, son exigence, son obsession. Vainqueur de la coupe du monde de Tokyo en 2010, quadruple vainqueur de la coupe d’Europe et sept fois vainqueur de la Coupe de France de karaté, le palmarès de Christelle Sturtz est pourtant déjà long comme le Rhin. Pas seulement son palmarès sportif : marraine de l’association Ela, qui lutte contre la leucodystrophie, elle est aussi diplômé d’un master de sciences de l’éducation, presque thésarde, et fut également intervenante d’une émission TV de coaching. Christelle ne sait pas s’arrêter :

« Si je devais faire passer un message, ce serait cette fougue, cette envie d’aller vite. Comme une envie constante de rattraper le temps. »

La souffrance et le combat

Le karaté, Christelle le découvre un peu par hasard. Dans son livre, les chapitres sont découpés par « maisons » : celle des contraintes, l’école, celle du bien-être et de ses ancêtres, le Japon, ou encore celle située juste derrière l’endroit où elle a grandit, dans un village d’Alsace. C’est la maison du combattant : le dojo. Alors, à peine âgée de dix ans, elle s’inscrit et pratique durant deux ans avant de faire de la course à pied. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle remet le kimono :

« J’aurais pu faire n’importe quel sport. Le karaté faisait parti de mes exutoires et m’a permis d’exister. J’ai connu un paysage sombre et je me suis forgée une sorte de carapace. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai toujours voulu me battre, même s’il s’agissait de le faire contre des fantômes, des démons ou des choses contre lesquelles on ne peut pas faire grand chose. »

Ambassadrice d’Alsace. (document remis)

Bien sûr, le sport la passionne, mais ce qui compte, c’est la lutte et la transcendance que peut apporter la compétition. Tous les sportifs connaissent ça : c’est dans la souffrance et l’épuisement qu’ils arrivent à se surpasser et, finalement, prennent le plus de plaisir. Puis, comme les autres arts martiaux, le karaté apporte une forme de dualité presque spirituelle :

« Le karaté permet à la fois de se recentrer et de se défouler. On apprend à se canaliser tout en se développant. Il y a une certaine forme de maîtrise à avoir, mais en même temps, c’est du combat. »

À 18 ans, Christelle Sturtz est ceinture noire. Elle pratique principalement le Wado-Ryu, un des nombreux styles de karaté. La même année, elle emporte la médaille de bronze en coupe de France. Repéré par le coach de l’équipe de France, elle fait ses premiers pas dans la cour des grands :

« J’avais besoin de compétition, à ce moment-là, c’était une question presque identitaire. Pour être quelqu’un et être dans un groupe. Je cherchais le côté famille. Et pour éviter d’être noyé dans la masse, il fallait se distinguer d’une manière ou d’une autre. Même dans la défaite : c’était mettre le doigt sur quelque chose qui ne va pas. Toutes les défaites m’ont renforcé. »

Elle raconte cela sans nostalgie. Mais se souvient avec plaisir de la tension palpable avant de mettre les pieds sur le tatami, de l’exaltation d’une victoire ou de la rage précédent une finale :

« L’adrénaline, les moments où on a mal au bide, où on se sent seul, où on se demande ce qu’on fout là en se disant qu’on va se faire éclater la gueule, c’est ça la compétition. La zone de confort, ça a un côté fade et c’est insupportable. »

Se donner du sens, dépasser ses carcans

Pas encore olympique, peu médiatisé, le karaté ne remplit pas le frigo de ses professionnels, aussi doués soient-ils. Et il faut bien gagner sa vie. Jeune femme, elle s’essaie à un cursus staps (sciences du sport), avant de laisser tomber au bout d’un an. Finalement, elle commence à travailler à l’école élémentaire du Rhin, comme animatrice sportive, tout en menant à bien une licence en sciences de l’éducation :

« Je me laisse un peu prendre par le jeu. Ça me plait. On réfléchit sur les concepts de l’apprendre, du savoir, du partage. Surtout, ça me fait sortir du sport et de ses carcans. C’est important d’avoir un autre axe, un autre éventail intellectuel. »

La vie après le sport professionnel, Christelle Sturtz la débute avant même d’avoir remporté ses principaux combats. Tout en travaillant à l’école du Rhin, elle fait la rencontre d’un jeune homme atteint de leucodystrophie. Maladies orphelines et rares, les différents types de leucodystrophie attaquent le système nerveux central du cerveau et de la moelle épinière. Elle a vingt ans lorsque ce jeune homme décède.

« À partir de là, beaucoup de choses changent. Je me remets dans cette espèce de situation de révolte, que j’avais plus jeune. Mais contre la maladie. Mes compétitions ont un autre goût. Quand j’étais gamine, je ne voulais pas être championne pour les médailles. Je voulais qu’on m’aime, qu’on voit que j’existe. Je trouvais ce moyen d’exister par le sport, mais cette maladie donne un sens plus dense à mes combats. Je ne me donne pas d’autres choix que d’y arriver, parce que je peux tout faire. Je suis en bonne santé, je vis. »

Fin de course. (document remis)

Après cette perte, les médailles n’ont pourtant plus la même saveur. Un break s’impose. On est en 2001, et le soir même du décès de cette personne, Christelle téléphone au coach des équipes de France pour lui annoncer son départ. Elle raccroche, du moins pour un temps :

« Je pensais avoir trouvé ma voix, la compétition, le karaté. Mais ce garçon m’a permis de donner un réel sens à ma vie. J’ai compris qu’elle était dans l’engagement, mais pas que physique. Que ça allait au-delà. C’était presque une illumination. »

Dans le sport comme dans le reste, c’est une quête de sens dans laquelle s’est engagée Christelle Sturtz. Donner de soi, oui, mais dans quel but ? Pour mettre ses idées au clair, un beau matin de 2003, elle décide de courir le marathon des sables, au Maroc. Plus de 200 kilomètres, en autosuffisance alimentaire. Ce challenge là, il est spirituel.

 « Je l’ai fait pour moi. J’avais besoin de retrouver des éléments importants. C’était la nature, le désert. Il y avait un côté mystique dans cette course. »

Transmettre, porter et fédérer

À son retour, elle s’engage finalement, pour de bon, contre la maladie. Elle devient la marraine alsacienne de l’association Ela, qui lutte contre la leucodystrophie. Depuis dix ans désormais, elle est ambassadrice d’Ela auprès des entreprises et des écoles. Son challenge, c’est de faire mouiller le maillot pour ceux qui ne le peuvent plus, grâce à l’opération « Mets tes baskets » :

« Je me sens vraiment utile là-bas. Je suis dans ce que je sais faire le mieux : faire, transmettre, porter et fédérer. J’aime embarquer les gens et lorsque les Alsaciens décident de s’engager, ils le font vraiment. Je raconte mon expérience et je mets le doigt sur le fait que la maladie peut tomber sur n’importe qui. »

En racontant son rapport avec les gamins, comment elle fait le show pour les motiver, pour leur donner envie de faire, Christelle exulte. C’est ça, qu’elle cherchait, dans le combat. Cette sensation qu’on peut aller encore et toujours plus loin.

« Les enfants malades, la première chose qu’ils demandent c’est : “Est ce qu’ils sont contents de faire quelque chose pour nous ?” Je le dis de suite aux enfants, dans les écoles. “Mouillez vos tee-shirts pour ceux qui ne peuvent plus courir, donnez vous à fond pour les autres”. Et les gamins ils sont comme des fous. Ils se donnent comme jamais. C’est bon à voir. »

Christelle Sturtz dans son dojo. (document remis)

Une armure qui se décompose

Marraine de l’association et désormais détentrice d’un master en sciences de l’éducation, Christelle Sturtz a aussi repris les combats. En 2005, elle fait sa première visite au Japon pour une compétition. Elle n’y reviendra que cinq ans plus tard, en 2010, pour la coupe du monde. C’est une révélation, pour elle :

« C’est comme si c’était ma première rencontre avec le Japon. Il y a Tokyo, évidemment, mais là, je rencontre le pays Japonais. On est partis dans le nord, dans la région de Fukushima. J’avais l’impression de rentrer à la maison, alors que c’était ma première fois là-bas. C’est comme si toute l’armure que je m’étais construite toutes ces années, je n’en avais plus besoin là-bas. J’ai senti une complète osmose avec ce pays. »

Pour la première fois, elle remporte la coupe du monde dans sa catégorie, le Wado-Ryu. Pour elle, cette coupe n’était pas particulièrement complexe en terme de difficulté, mais il bouclait — à nouveau — un cycle de vie. C’en est bel et bien fini du karaté en compétition, mais elle possède encore son propre dojo, à Holtzeim, le Chris Innov Karaté, où elle coache des jeunes et donne des cours.

La télévision ? Elle en a fait quelques fois, ces dernières années. Contactée par la société de production à l’origine de l’émission « Pascal le grand-frère », diffusée sur NRJ 12, on lui propose d’intervenir une première fois auprès d’un jeune Alsacien de 17 ans, dans l’émission « SOS: Ma famille a besoin d’aide ». Sur un principe simple : du coaching auprès de jeunes hommes ayant tendance à être violents.

« J’ai dit oui parce qu’il y avait cet aspect coaching que je pratiquais au club. Un côté entraide, aussi. Puis la curiosité de la télévision et je suis quelqu’un qui fait un peu le show aussi. J’avais vaguement quelques informations sur le môme, très violent avec sa mère, sa copine. J’étais en mode compet’ quoi ! (Rires) Bon, il y avait une part scénarisée. Je devais arriver en courant, genre je suis en train de faire mon footing, par hasard. En revanche, il n’y avait pas de dialogues préparés. Je lui dit d’envoyer une ou deux droites, puis boum ! Mon poing part. »

Et elle y est retourné, à la télévision. Quelques fois, toujours sur la même émission et auprès du même type de jeunes hommes. Mais aujourd’hui, après des années de compétition et d’engagement, elle ne voit pas vraiment son avenir devant la caméra. Ni dans son club de karaté, dont elle envisage de lâcher les rênes.

La publication de son ouvrage, c’est l’armure qui tombe. Les combats ont lieu désormais sur les bancs des écoles et des salles de réunions des entreprises. Salariée de l’association Ela depuis trois ans, elle arrive, aux côtés de ses comparses, à collecter plus de 150 000 euros par an, en Alsace. Et pour le moment, l’avenir de l’ancienne compétitrice se situe là, entre le soutien aux enfants malades et le coaching des enfants en pleine santé.

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