Au printemps 2016, Cécile (le prénom a été changé) est alors étudiante à Strasbourg et militante au Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF). Elle propose à un camarade militant d’aller boire un verre pour se changer les idées. Avec celui qu’elle « considérait comme un ami », ils ont bu quelques verres, juste un peu trop pour reprendre le volant. L’ami lui propose alors de dormir chez lui. Et c’est là que Cécile comprend ses intentions :
« Arrivée chez lui, j’ai vu qu’il n’y avait pas de canapé et j’ai compris que je devrai dormir dans son lit. J’étais mal à l’aise. Une fois couchés il s’est collé contre mon dos et m’embrassait dans la nuque en frottant son érection contre moi. Je lui ai dit plusieurs fois d’arrêter, l’ai repoussé, me suis déplacée jusqu’au bord du lit pour qu’il ne soit plus en contact physique avec moi. J’ai du faire semblant de dormir pour qu’il comprenne qu’il n’obtiendrait rien. Le lendemain matin je suis partie rapidement et ne l’ai plus jamais vu depuis. »
Cécile arrête alors de se rendre aux événements militants, « pour ne pas [se] retrouver dans la même organisation que lui. » Cette histoire rappelle le témoignage d’une militante PCF de Haute-Garonne, et les affaires rapportées par Le Monde dans son enquête du 9 mars, ainsi que dans d’autres médias depuis un peu plus d’un an. Le 13 mars, Libération rapportait que trois militants ont été exclus, appartenant au Parti communiste, au Mouvement des jeunes communistes français (MJCF) et à l’Union des étudiants communistes, pour faits de harcèlement et d’agressions sexuelles.
Des accusations d’intimidation
Les faits que rapporte Cécile s’inscrivent dans une ambiance délétère, que confirme Lola Romieux, secrétaire fédérale du MJCF 67 depuis 2016. Elle dénonce un sexisme ambiant, citant plusieurs exemples qui lui viennent à l’esprit, :
« Lors de l’élection d’un secrétaire fédéral, la direction propose un candidat, mais il est possible d’intervenir en AG pour se présenter ou décider de voter contre. À ce moment-là, cet individu (cité par Cécile) et ses amis ont commencé à dire à tout va que je n’étais pas capable de penser par moi-même et que c’était mon compagnon qui me soufflait des idées. Ils se sont constitués en groupe pour voter contre moi. Quand on partageait notre local avec le PCF 67, j’ai pu aussi constater que des membres de la direction refusaient de parler à des femmes et ne s’adressaient qu’aux “mecs”. »
« Un vivier sexuel »
Elle raconte qu’à son arrivée dans le mouvement, un an plus tôt, certains membres des jeunes communistes et du PCF 67 « propageaient la peur parmi les filles », qu’ils considéraient comme « un vivier sexuel » :
« Deux membres de la direction du PCF 67 ont eu des propos très graves quand ils étaient à la MJCF 67 et ont harcelé des militantes. On avait déjà averti le PCF 67 à l’époque, qui disait qu’il n’accepterait plus ce genre de choses. Moi, on m’a déjà appelée « Bébé », « Poupée »… Les militants se demandaient entre eux si “elle on [pouvait] la choper”. Une militante MJCF avait eu une relation sexuelle avec un militant PCF, qui s’est ensuite empressé de raconter tous les détails à ses camarades en parlant d’elle comme d’une proie, d’un objet sexuel. Elle a quitté l’organisation, car c’était affreux pour elle. »
Cécile se rappelle d’un « camarade qui avait dit que Lola avait forcément dû passer sous la table pour accéder aussi rapidement à des responsabilités ». Pour Lola, « le plus gros problème, c’est qu’il y a beaucoup de témoins de comportements sexistes qui ne disent rien. »
Une demande d’exclusion et une réponse « insuffisante »
Au bout de quelques mois, Cécile trouve le courage de rapporter les faits à Lola Romieux. Une exclusion du militant de la fédération bas-rhinoise des MJCF est prononcée (à l’instar de beaucoup de partis, les jeunes communistes forment une organisation différente et autonome du parti, le PCF 67). Mais il faisait également partie du conseil national du MJCF depuis 2014 et de la direction locale du PCF 67.
Lola Romieux décide alors de demander son exclusion de ces autres instances :
« Cela faisait quelques temps qu’on entendait des histoires à son propos. Moi-même, je lui avais demandé à plusieurs reprises d’arrêter de tenir des propos sexistes à mon encontre. Une autre militante m’a aussi dit qu’il l’avait harcelée. Là, le but était que la victime n’ait plus à être en contact avec son agresseur. Aussi, elle voulait que justice soit faite au niveau des organisations. Mais elle n’a pas eu de réponse suffisante. »
Elle contacte d’abord le comité national du MJCF :
« Sur le coup, ils m’ont demandé si je voulais que le PCF 67 soit au courant et comme j’ai acquiescé, ils les ont contactés dans la foulée. Mais ensuite, ils n’ont pas exclu la personne en question et je n’obtenais que des réponses vagues. De son côté, la première chose que le PCF 67 ait fait, c’est de contacter l’agresseur pour le prévenir que quelqu’un avait raconté cet événement. Puis, il y a eu une rencontre entre la secrétaire fédérale du PCF 67, un responsable PCF, un responsable MJCF et moi-même, et la secrétaire fédérale a dit que personne ne devait être au courant. »
Le comité national n’a pas répondu à nos sollicitations pour donner sa version de la gestion de ce moment. Ces faits ont été connus en novembre 2016, en même temps qu’une profonde crise politique entre l’instance de jeunesse et le parti bas-rhinois sur la ligne politique à suivre. La direction des JC 67 et beaucoup de ses membres penchent pour la ligne marxiste-léniniste (ou « orthodoxe ») historique du parti, tandis que d’autres militants, dont la direction du PCF 67, prône un positionnement qui consiste à considérer toutes les formations de gauche, y compris le Parti socialiste, des alliés potentiels, ainsi que les composantes des mouvements sociaux (syndicats, associations, etc.).
Suite à ce désaccord majeur, les locaux ne sont par exemple plus partagés et le MJCF n’a plus le soutien financier du parti. Ce désaccord se voit aussi à travers les logos. Celui de la MJCF 67 utilise toujours le marteau et la faucille, contrairement à celui des instances nationales (PCF comme MJCF)
Cette situation en toile de fond ne facilite pas la sérénité des discussions mais les contacts sont néanmoins maintenus tant bien que mal compte tenu du caractère sensible des faits.
La marge de manœuvre « limitée » du PCF 67
Hülliya Turan, secrétaire fédérale du PCF 67, raconte avoir pris contact avec Cécile, pour mieux comprendre une situation dont elle n’avait entendu que des bribes :
« Mon parti pris est celui de la victime, sans aucune ambiguïté. Mais à cet instant T, il n’y avait pas eu de parole clairement établie de victime. La personne ne m’a pas dit “J’ai été victime d’agression sexuelle”. J’ai eu une description des faits sur lesquels il était difficile d’avoir une interprétation ».
Elle rencontre l’auteur présumé des faits qui lui raconte une version « assez proche » de celle de Cécile, mais dément catégoriquement avoir commis une agression. Contacté par nos soins, il a également démenti les faits sans s’étendre, en préférant « oublier toute cette histoire qui [l]’a écœuré ». Il ne milite plus dans le parti.
Du côté du PCF 67, on décide alors de ne pas l’exclure, ni de lui retirer ses fonctions. Hülliya Turan justifie cette position :
« Sans éléments matériels ou dépôt de plainte, il est difficile pour nous de poser des actes politiques comme une exclusion. Ce que les associations de terrain m’ont fait comme retour, c’est que tant que la personne elle-même ne s’engage pas dans un travail de mise en mots, de demande de soutien, de dépôt de plainte, notre espace est réduit. En revanche, l’auteur présumé n’a, de fait, plus participé aux activités du parti. »
Toujours dans la sphère militante
Cet ancien candidat à une élection locale n’a pas été renouvelé au conseil national du MJCF un an plus tard, en décembre 2017, lors de l’Assemblée nationale des animateurs, comme le confirme Sébastien (le prénom a été changé), un militant de l’Union des étudiants communistes (UEC), et à ce titre membre du Conseil national du MJCF à l’époque :
« Quelques militants n’ont pas été renouvelés, dont cette personne en question, simplement parce qu’il ne participait plus trop aux activités. Comme tous les autres « démissionnaires », son nom a été annoncé par un responsable du MJCF, et applaudi. »
Idem fin 2018 lorsqu’il n’est pas renouvelé dans les instances du PCF du Bas-Rhin pour les même raisons. Mais pour Lola Romieux, le combat n’est pas fini :
« On prend la parole aujourd’hui car cet homme est toujours dans la sphère militante, il est toujours membre du PCF ou peut s’impliquer chez les jeunes communistes dans un autre département. L’objectif est aussi que ce genre de choses n’arrivent plus. »
De son côté, Hülliya Turan précise avoir assuré de son soutien à Cécile :
« Je lui ai tendu la main, je lui ai dit que je m’étais renseignée, que j’étais prête à l’accompagner dans des démarches, à la mettre en relation avec des psychiatres, des avocats… »
Elle trouve positif qu’elle le fasse aujourd’hui.
« Pas envie de mener un parcours de combattante »
Cécile a envisagé d’amener cette affaire devant les juridictions pénales, avant de renoncer :
« Mon agresseur est allé voir une jeune militante qu’il connaissait, et il lui a fait un chantage au suicide pour qu’elle lui dise de qui émanaient ce qu’il a appelé des rumeurs d’agression, puis a déposé une main courante pour diffamation. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de mener un parcours de combattante pour un résultat que j’estime trop faiblement atteignable. Je souhaiterais simplement que lui comme les autres sur lesquels pèsent de graves soupçons soient écartés de telles organisations, qui se disent progressistes et en faveur de l’égalité femmes-hommes. »
Elle raconte que son témoignage a circulé de façon interne et « non-maîtrisée ». En janvier 2018, un article du Monde évoquait déjà des agressions au sein des jeunesses communistes et citait rapidement la fédération du Parti communiste du Bas-Rhin. Une section du département a alors demandé à la direction ce qu’il en était. La réponse d’Hülliya Turan, par un e-mail de mai 2018, fut la suivante :
« Il n’existe aucune affaire de violence sexuelle au sein de la Fédération entre camarades. L’automne dernier, nous avions été alertés par des militants du MJCF 67 sur une question de comportement d’un jeune camarade. Bien que ces allégations concernaient le MJCF 67, je les ai prises très au sérieux […]. Il s’avère que les faits relatés […] ont eu lieu dans un cadre privé et non dans un cadre politique et qu’ils n’ont donné lieu, à notre connaissance, à aucune suite et à aucune plainte entre les différents protagonistes. »
Aujourd’hui, elle rappelle que la victime ne l’a plus sollicitée et que Lola Romieux ne lui a pas transmis d’éléments matériels, comme elle le lui avait demandé.
« Des organisations qui emploient plus de moyens à étouffer des affaires »
Selon Cécile, la position de la direction pour les affaires internes va à l’encontre des prises de position du parti :
« La justice française, notamment en ce qui concerne les affaires de viols et d’agressions sexuelles, est fortement décriée par les organisations communistes. Il est très arrangeant aujourd’hui de se servir des failles de cette justice lacunaire pour garder au chaud des membres pourvus de responsabilités. »
« Ça laisse penser qu’on est féministes pour la communication, mais qu’on ne se donne pas les moyens de l’être vraiment », abonde Lola Romieux. Elle estime que les communistes devraient être « à l’avant-garde de ce genre de combat » :
« Si on veut détruire le capitalisme, ça passe par la destruction du patriarcat, et si on veut une société émancipatrice, on a le devoir de s’engager sur ces questions-là. Il ne s’agit même pas seulement d’exclure les agresseurs. Il s’agit d’engager une réflexion poussée sur les agressions sexuelles et ce qu’est une organisation communiste. »
« Féministes pour la communication » ?
Hülliya Turan réfute ces accusations, au moins au sein de la fédération bas-rhinoise qu’elle dirige :
« Très objectivement, nous sommes dans un système patriarcal et le PC fait partie de la société et n’est donc pas exempt de sexisme. Mais on constate par exemple une parité dans les instances exécutives de la Fédération 67. En 10 ans de militantisme ici, je n’ai jamais perçu d’ambiance sexiste. Notre fédération dispose d’une camarade référente sur la question. Aussi, il faut rappeler que la MJCF est une organisation différente du PCF, et que ses membres font partie d’une tranche d’âge plus jeune, avec un fonctionnement « adolescent » encore présent. »
La réaction des instances nationales
Face aux différentes révélations, le PCF explique dans un communiqué que « l’adresse stopviolences@pcf.fr garantit une réponse sous les huit jours dans le respect de l’anonymat et la prise en charge par des référents formés au recueil de la parole des victimes. »
Ce dispositif a déjà été saisi ces dernières semaines par des victimes et a résulté, d’après le PCF, en un dépôt de plainte et à la suspension des droits d’un adhérent. Il lui a également été demandé de renoncer à son mandat de conseiller municipal à Blois. Par ailleurs, un livret d’information « Violences sexistes et sexuelles, Tolérance zéro ! » est réactualisé et distribué à l’ensemble des animateurs du parti.
Dans un autre communiqué, le MJCF « réaffirme son soutien aux victimes de violences sexistes et sexuelles » et annonce la mise en place d’une commission dédiée, ainsi qu’une nouvelle disposition permettant « la perte de la qualité d’adhérent en cas d’atteinte aux valeurs d’intégrité et de dignité humaine, ce que les violences sexistes et sexuelles sont ». Il explique également que « des actions ont déjà été engagées notamment à travers la mise à l’écart systématique des agresseurs. » Mais c’est toujours aux victimes de prouver qu’il s’agit bien d’agresseurs.
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