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Chez Biocoop Coquelicot, produits équitables, management capitaliste

Surveillance par caméras, pressions et dialogue social en panne… Plusieurs anciens salariés du magasin Biocoop Coquelicot décrivent un management en décalage avec l’éthique affichée par le distributeur de produits bios.

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« Chez Biocoop, les employés doivent se battre pour leurs droits comme dans n’importe quel supermarché. » Étudiante en cinéma, Lucia a travaillé un an au Biocoop Coquelicot, situé rue de la Première-Armée à Strasbourg. Ce jeudi 17 septembre, elle rejoindra la mobilisation des autres salariés de l’enseigne de distribution de produits bio à Paris. De son expérience strasbourgeoise, elle garde le souvenir d’une ambiance productiviste, bien loin des valeurs éthiques prônées par la coopérative.

Vitrine du Biocoop Coquelicot, ouvert en avril 2018. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Le sentiment « malsain » d’être « constamment observés »

Au cours de notre enquête, plusieurs anciens employés nous ont fait part d’un sentiment « malsain » d’être « constamment observés » dans le magasin. Normal, puisque le gérant du magasin Christophe Guezennec utilise les caméras de vidéosurveillance internes pour reprocher à ses employés une pause trop longue ou une discussion avec un collègue. Une ancienne employée se souvient d’une conversation avec une collègue « de cinq minutes, chronométrée et reprochée quelques jours plus tard » par le gérant, images à l’appui.

Christophe Guezennec admet avoir eu recours à la vidéosurveillance « mais seulement lorsqu’un retard était régulier chez un employé, ou pour améliorer les choses lorsqu’une fermeture s’était faite avec retard. » Interrogé sur le sentiment d’espionnage permanent que cela faisait peser sur ses employés, il a indiqué à Rue89 Strasbourg avoir cessé d’utiliser la vidéosurveillance contre ses salariés.

Le personnel change rapidement chez Biocoop Coquelicot. Le patron de l’établissement estime qu’une quarantaine de personnes ont déjà été employés par son établissement depuis sa fondation en avril 2018. L’équipe actuelle compte 18 salariés. La plupart de nos témoins ont quitté l’enseigne au cours des derniers mois : ils ont demandé une rupture conventionnelle ou ont été licenciés.

Travail engagé, sans compter ?

Nathan Cabrita a déménagé d’Annecy pour venir travailler au Biocoop Coquelicot en août 2019. Employé six mois en tant qu’employé polyvalent, il estime avoir réalisé les tâches d’un chef de rayon sans le salaire correspondant. Le jeune homme s’est vu remercié au moment où devait arriver sa promotion. Il raconte son engagement sans compter durant son séjour chez Biocoop :

« Un soir, j’ai proposé mon aide pour un inventaire avec le nouveau directeur du magasin. Après la fin de ma journée de travail à 15h, je suis donc revenu à 20h30… On a terminé juste avant que les premiers clients arrivent à 9h du matin. J’ai ensuite enchaîné avec ma journée de travail. M. Guezennec était au courant mais ces heures n’ont jamais été payées. Comme c’est arrivé le mois de mon licenciement, je ne m’en suis rendu compte qu’après. J’étais trop abattu par ce qui venait de se passer pour les réclamer. »

Nathan Cabrita, ancien employé polyvalent Biocoop

« Un repos de 11 heures entre chaque journée de travail » figure aussi parmi les revendications de certains salariés transmises fin août.

Travail pénible et jours fériés

D’autres employés se plaignent d’une faible rémunération des heures travaillées le dimanche, « elles sont à peine majorées de 10% », souffle Lucia. Cette dernière calcule qu’un jour férié travaillé apporte à peine « quelques euros de plus qu’un jour normal… » Parmi les revendications rédigées par trois employés et transmises fin août 2020 au gérant du Biocoop Coquelicot, on trouve ainsi « une fermeture du magasin cinq jours fériés par an » et une majoration du travail de 25% les dimanches.

Tendinites au poignet, nuque ou dos douloureux… La plupart des employés interrogés décrivent un travail physiquement éprouvant. La majorité d’entre eux a découvert le métier de la distribution alimentaire chez Biocoop Coquelicot. Ils sont plusieurs à regretter le manque de formation aux bons gestes pour porter les charges lourdes. Le gérant Christophe Guezennec rappelle que des formations sont déjà données en interne, quand d’autres sont mises ligne par Biocoop. « Nous sommes actuellement à la recherche d’une formation en externe », affirme le patron.

Pour ce dernier, les employés bénéficient de nombreux avantages dans son établissement, notamment le choix du nombre d’heures qu’ils souhaitent travailler, le choix de leurs dates de vacances, une remise de 30% en magasin et des produits gratuits… Selon le gérant, l’enseigne Coquelicot est « conforme au cahier des charges Biocoop, comme le confirme les audits réguliers. »

Tensions autour de la prime

Les tensions au sein du Biocoop Coquelicot se sont cristallisées lors du confinement. Avec la pandémie, les salariés ont dû redoubler d’efforts pour répondre à une demande en hausse. À la charge de travail augmentée s’est ajouté le stress lié au risque de contamination. Lors d’une réunion, le 28 mai, le gérant du magasin exprime ses doutes au sujet de la prime Covid, promise par mail le 19 avril. Lors de la même rencontre, Christophe Guezennec annonce avoir reçu une demande de médiation appuyée par 12 de ses employés. La procédure peut lui coûter « plus de 10 000 euros ». Il cherche donc à temporiser sur la récompense de ses agents et son montant…

Sans prime, ni médiation, plusieurs salariés décident de mettre la pression. Ils menacent de distribuer un tract devant le magasin. L’appel à mobilisation suscitera un courrier auprès de l’un des employés. La direction le met en demeure « de cesser immédiatement de tels agissements (…) à défaut, nous ne manquerons pas de prendre toutes les mesures nécessaires et notamment d’agir en justice. »

Mail envoyé à l’équipe du Biocoop Coquelicot le 19 août 2020. (DM)

La prime de 1 000 euros pour tout salarié à temps complet sera finalement versée fin août. Entre-temps, les employés ont eu le sentiment d’avoir redoublé d’efforts pour atteindre des chiffres d’affaires exceptionnels sans aucune gratification. « Repousser cette prime a été une erreur, reconnaît le gérant, j’ai ouvert le magasin il y a deux ans et demi, c’est normal qu’il y ait encore des problèmes de communication. »

« Il faut faire en sorte qu’il parte »

Dans son cahier des charges général, Biocoop « encourage le dialogue pour permettre à chaque salarié de s’épanouir au sein de la structure ». Mais plusieurs anciens salariés ont le sentiment d’avoir été sanctionnés après avoir exprimé une revendication ou une critique. Embauchée en mars 2020 pour devenir cadre d’un futur Biocoop à Schiltigheim, Estelle se souvient avoir été avertie : « Tant qu’untel et untel seront là, ça sera la merde. On va s’en débarrasser. »

Ancienne cadre chez Nestlé, Estelle a très vite senti qu’elle ne correspondait pas au management pratiqué chez Biocoop Coquelicot. L’ancienne employée de l’établissement se souvient d’une partie de son entretien d’embauche :

« On m’a demandé ce que je ferais face à un employé incompétent. J’ai répondu qu’il n’y a pour moi que des managers incompétents, qui n’expliquent pas assez. J’ai senti qu’il n’avait pas compris ma réponse. »

Des licenciements contestés

Anne (le prénom a été modifié) fait partie des salariés contestataires. La jeune femme a dénoncé l’absence de fiche de poste ou de rendez-vous auprès de la médecine du travail : « J’allais souvent voir le gérant », se souvient-elle. De ces entrevues avec le patron, la salariée tire le sentiment « d’être prise pour la gangrène de l’équipe, une sale gosse qui en veut toujours plus. » Anne a été licenciée pour « faute légère » en juillet 2020. Elle dénonce des « motifs non-circonstanciés ».

Rachid fait aussi partie de ces salariés qui contestent leur licenciement. Cet ancien chef de rang a travaillé à l’ouverture du magasin en 2018. Dans un premier temps, le gérant apprécie le relationnel et l’attention à l’hygiène de son employé. Mais lorsque ce dernier refuse d’être désigné responsable propreté, « il y a eu une cassure », regrette Rachid.

Quelques semaines plus tard, le montant de la caisse de Rachid disparaît. L’employé polyvalent est pourtant sûr de l’avoir remis à son gérant. Il se sent accusé d’avoir volé la caisse du magasin. Une plainte est déposée au commissariat. Rachid est informé qu’il sera sans doute interrogé… jusqu’à ce que le patron retrouve l’enveloppe.

Le salarié sera finalement licencié plusieurs mois plus tard « pour une pause de 5 minutes de 14h53 à 14h58 sans autorisation (du gérant, ndlr) ». Dans sa lettre de licenciement pour faute grave, Rachid est aussi accusé de s’être moqué de clients en les filmant. L’intéressé nie les faits : « J’utilisais régulièrement mon téléphone pour créer des souvenirs avec mes collègues et je pense qu’il s’est servi de ça pour créer ce motif monté de toute pièces. »

Des réactions, d’un syndicat à Biocoop

Ce remue-ménage a déjà suscité plusieurs réactions. Plusieurs clients ont demandé des explications au gérant strasbourgeois en le menaçant de boycott. Le Syndicat Commerce Indépendant Démocratique (SCID) a alerté le siège parisien de Biocoop sur la situation de l’établissement strasbourgeois.

L’administratrice de Biocoop au niveau national, Laurence Chaub, a répondu en indiquant que « Biocoop est un réseau coopératif de magasins indépendants. (…) Chacun des magasins est autonome dans la gestion du personnel. » Elle a précisé « que des actions visant à fluidifier le dialogue avec les collaborateurs du magasin Biocoop Coquelicot, avec des actions concrètes associées, ont déjà été mises en place. » Une urne a en effet été mises à disposition des salariés. En moins d’un mois, elle n’a reçu que quelques revendications autour du système informatique, de la qualité de l’équipement ou des formations sur les gestes postures.

Christophe Guezennec comptait ouvrir un nouveau magasin à Schiltigheim. Face à ces récentes difficultés, il a décidé de surseoir à son projet « pour se concentrer sur le Biocoop Coquelicot ».


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