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Ces agriculteurs alsaciens qui font chanvre à part

Seuls quatre agriculteurs alsaciens s’évertuent encore à produire du chanvre, mis au placard de l’histoire. La Chambre d’agriculture de la région souhaiterait réhabiliter la culture bio de cette plante aux nombreuses vertus, en matière d’isolation notamment. En construisant une usine de traitement de la fibre de chanvre, le collectif des producteurs de chanvre du grand Est pourrait relancer la filière.  Mais pour qu’un agriculteur se lance dans le chanvre, il doit être très motivé…

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Une parcelle de chanvre dans le Bas-Rhin (photo : David Rodrigues)

« Pour qu’un pétard de chanvre fasse de l’effet, il faudrait qu’il soit long de six mètres, sur un mètre de diamètre », explique, amusé, Nicolas Zilliox. L’agriculteur de 33 ans sait que le fantasme des citadins néophytes en matière de chanvre a la vie dure. Non, la plante a beau avoir exactement le même aspect que le cannabis, elle n’a rien d’un psychotrope. Son taux de tétrahydrocannabinol (THC, la molécule stupéfiante) ne doit pas excéder 0,2% selon la règlementation française, tandis que les taux de THC contenus dans le cannabis fluctuent entre 5 et 25% selon la variété.

Peu importe, le chanvre monte facilement à la tête. On raconte des histoires, et tout le monde a son petit avis sur la question. Il y a ceux qui croient que les producteurs en profitent pour se réserver un mètre carré de marijuana en plein milieu du champ, et il y a ceux qui voudraient, ni vu ni connu, utiliser les hectares verts pour y planquer tout au milieu la production sous néon sortie du placard du salon. Tous ignorent que la pollinisation par les plants légaux annulerait tout effet hallucinogène. Beaucoup de chimères, mais le chanvre en fait, c’est du sérieux.

Nicolas Zilliox cultive depuis trois ans huit hectares de chanvre sur une parcelle « sableuse et difficile à mettre en valeur autrement. » La culture du chanvre est toujours biologique parce qu’elle ne nécessite pas de produits phytosanitaires :

« Le chanvre a la particularité de monter très vite, jusqu’à trois mètres de hauteur, et d’étouffer de lui-même les mauvaises herbes. Et nous n’arrosons pas les champs car ce n’est pas rentable. »

Dans la consommation traditionnelle, on reconnaissait des propriétés vasodilatatrices aux tisanes de chanvre (Photo David Rodrigues)

« La culture du chanvre est sans doute la plus contrôlée »

C’est justement parce que la culture est propre qu’elle intéresse la Chambre d’agriculture d’Alsace. Elle voudrait l’implanter « au sein d’aires d’alimentation de captages d’eau prioritaires » destinés à la consommation. Mais malgré la communication menée auprès des agriculteurs, il ne reste plus que quatre producteurs en Alsace. La volonté de la Chambre « ne tombe pas par hasard », commente Rémy Michaël, du service des filières végétales à la Chambre d’agriculture. Il s’agit aussi de réhabiliter une tradition délaissée.

Car les Alsaciens ont longtemps cultivé le chanvre pour en utiliser les fibres dans la fabrication de voiles et cordages mariniers, mais la production a fortement ralenti avec l’arrivée des bateaux à vapeur puis à moteur. Dans les villages du Ried, des ruisseaux issus de nappes phréatiques se nomment encore aujourd’hui hansgraba, ou fossé du chanvre en alsacien. La volonté de réhabiliter le hànf (chanvre) dans la région se heurte pourtant au scepticisme de la majorité des agriculteurs locaux, pour qui les contraintes sont grandes.

« Ce doit être la culture la plus contrôlée qui existe » souligne Nicolas Zilliox. Le chanvre paie sa parenté avec le cannabis. Les deux variétés de cannabaceae sont indissociables à l’œil nu et l’acquisition des graines de semence est très réglementée. Les producteurs doivent se signaler auprès de la gendarmerie et les champs sont régulièrement visités par la Fédération nationale des producteurs de chanvre (FNPC) pour vérifier le taux de THC.

Pire, la production du chanvre est très peu rentable. Nicolas Zilliox gagne, lorsque la saison n’a pas été trop sèche, environ 100 euros par hectare de chanvre et par an (un hectare de maïs rapporte en comparaison au minimum cinq fois plus). Ce sont donc ses cultures de maïs, de blé et de tabac qui le font vivre. Malgré ces difficultés, les défenseurs du chanvre comptent sur des débouchés principalement en matière de construction de maisons écologiques (la fibre est un très bon matériau pour l’isolation et est aussi utilisée pour des parpaings en « béton de chanvre ») et de paillage. Le chenevis, sa graine, contient elle beaucoup d’omégas 3 et 6 et est donc utilisée en cuisine ou en cosmétique.

Le bloc de chanvre est efficace pour isoler du froid mais aussi du bruit (Photo David Rodrigues)

La France, deuxième productrice mondiale de chanvre

Les producteurs français, premiers en Europe et deuxièmes dans le monde derrière la Chine, y voient une plante d’avenir et cherchent à organiser la filière. La société Est chanvre regroupe les agriculteurs spécialisés de tout le grand Est de la France, et avait pour habitude d’envoyer les récoltes à Rheinstetten en Allemagne, à la frontière alsacienne. En 2011, la société a débuté la construction d’une usine de défibrage du chanvre industriel à Creutzwald en Moselle, afin de ne plus dépendre de tiers. L’idée est bonne pour les producteurs mosellans mais pénalise les Alsaciens qui devront dépenser plus de frais de transports  pour écouler leurs tonnes de chanvre.

Il y a une dizaine d’années, l’association Alsachanvre avait essayé d’approcher la Chambre d’agriculture pour lui proposer de relancer la production en construisant une usine de traitement mais cette dernière n’avait pas donné suite. « A l’époque, on nous a pris pour des babacools mais c’est bien une culture d’avenir », rigole son président Alexandre Gutbier. L’homme est propriétaire d’une boutique de produits biologiques dans le centre de Strasbourg, Can’art. Ce passionné s’était aussi présenté sur la liste du parti « Ecologie sociale solidaire et décroissante » aux élections régionales de 2010. Un engagement politique en faveur de l’écologie  et du chanvre, qui nécessitent, il ne s’en cache pas, « du lobbying comme pour le reste ».

Un tee-shirt en chanvre coûte aux alentours de 30 euros (Photo David Rodrigues)

Mais que fait-on avec le chanvre aujourd’hui ? Can’art, la boutique d’Alexandre Gutbier, propose des panneaux isolants, des vêtements « épais qui se froissent moins que le lin » ou encore de l’huile, « idéale pour les salades mais qui ne s’utilise pas à la cuisson ». Les clients, ce sont des habitués tout autant que des personnes de passage, intriguées, qui repartent parfois avec une bouteille de bière au chanvre, la sobrement intitulée Cannabia. Pas d’effet de mode, la consommation du chanvre reste encore confidentielle.

Conséquence, les agriculteurs alsaciens demeurent prudents quant à la viabilité d’une aventure dans le chanvre. Ils devraient observer avec attention les premières années de mise en route de l’usine de Creutzwald avant de décider de se lancer. Quant à Nicolas Zilliox, un des rares qui aient sauté le pas, il pourrait devoir renoncer à sa culture dans les années qui viennent : la ville de Haguenau, qui lui loue la parcelle, a pour projet de revendre le terrain à la zone commerciale du Taubenhof.


#agriculture biologique

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