Comment préparer sa propre mort ou celle d’un proche ? Pour l’association strasbourgeoise Maintenant l’après, rien d’incongru à parler du grand départ : « Nous parlons de la mort parce que nous aimons la vie et que nous aimons nos proches. Ce n’est jamais trop tôt », défend Caroline Lemmel, directrice de la coopérative funéraire Akène qui ouvre jeudi 2 novembre. La structure associative associée organise régulièrement des rendez-vous à Strasbourg, dont les « apéro mortels » où sont invités divers conférenciers. L’une de leurs partenaires, Delphine Freiss, professionnelle de l’accompagnement de la fin de vie et du deuil, organise elle aussi des « cafés mortels » à Bouxwiller, Pfaffenhoffen, Artzwiller, Bitche et Geudertheim. Ses rendez-vous offrent des espaces de paroles et d’échanges d’expérience.
Inventer sa cérémonie
De plus en plus de personnes se détournent des rites religieux pour leurs derniers adieux. Pour nombre d’entre eux, aucun geste symbolique ne vient remplacer ces traditions. Pourtant, toutes les formes d’hommage sont imaginables pour marquer son deuil, qu’elles soient prises en main par l’entourage ou orchestrées par un initié. Certaines pompes funèbres investissent ce créneau et proposent d’autres formes de cérémonie. L’entreprise Pompes funèbres de Strasbourg a déjà organisé un lâcher de colombes. D’autres entreprises proposent des inscriptions affectueuses et colorées sur des cercueils adaptés.
Au-delà des compétences pratiques et de coordination, la formation de maître de cérémonie dispensée officiellement aux agents de pompes funèbres consacre deux journées à la célébration. L’activité de célébrant funéraire laïque commence à peine à se professionnaliser. Des agents célébrant des mariages laïcs, dont la profession est déjà plus structurée, proposent également ce type de services de célébration.
Dans le Bas-Rhin, l’équipe de la coopérative funéraire Akène, basée à Strasbourg, et Delphine Freiss, basée à Wingen-sur-Moder, proposent des accompagnements pour concevoir et animer des rituels d’adieu personnalisés, à renfort de sélections de textes littéraires ou d’interventions à la harpe et au ukulélé. Les proches peuvent par exemple composer chacun leur photophore à partir d’un choix de pots en verre, bougies, feutres et rubans pour l’allumer auprès d’un cercueil ou préférer déposer sur celui-ci sa feuille de lierre dédicacée. Plusieurs lieux peuvent accueillir ces cérémonies laïques, à commencer par des salles payantes dans les funérariums. Même à la dernière minute, les mairies du lieu d’habitation du défunt sont tenues de proposer des salles à la location. Les pompes funèbres sont autorisées à porter un cercueil dans tout lieu privé.
Être accompagné dans son deuil
Pour les familles qui ne craignent pas que l’on entre dans leur intimité, les thanadoulas sont des professionnelles du service à la personne qui accompagnent la mort, à la manière dont les doulas, métier un peu plus connu, accompagnent la naissance. Pour faciliter cette ultime étape de vie, elles peuvent intervenir à domicile avant ou après un décès. Une thanadoula peut aider une personne en fin de vie à renouer avec son enfant éloigné, s’occuper de cuisiner pour la famille le jour du choc d’une disparition ou aider un parent à trier les affaires d’un enfant parti trop tôt.
L’association Couleur plume fédère une quinzaine de thanadoulas en France. En Alsace, ces services sont le cœur d’activité de Delphine Freiss, qui peut être rémunérée avec des chèques emploi service universels. Pour négocier l’après, cette alsacophone à la fibre musicienne propose également des ateliers créatifs pour les endeuillés. À Strasbourg, la coopérative Akène projette de mettre en place des cafés-rencontres pour ces publics.
Exprimer ses dernières volontés
Sédation profonde ? Crémation ? Cimetière ? En France, rares sont les personnes décédées qui ont fait connaître leurs dernières volontés. Face aux décisions à prendre, l’absence de directive peut semer la division dans l’entourage du défunt. L’association Maintenant l’après encourage à s’en donner la peine. Elle propose des ateliers Dernières volontés à Strasbourg. Ce sont des temps d’information, d’échange d’expérience et de réflexion pour aborder tout autant les directives anticipées, que les méthodes de transmissions pratiques et administratives et imaginer ses obsèques. En zones rurales, Delphine Freiss organise également des ateliers à la fois informatifs et créatifs, pour donner libre cours à ses aspirations.
Après ces étapes de réflexion, un mot d’ordre : communiquer ! Pas besoin de passer par un notaire pour transmettre des directives. Elles peuvent être consignées sur une feuille de papier libre datée et signée. Mais encore faut-il bien informer ses proches sur l’existence même de ces directives écrites.
Choisir une sépulture éco-responsable
L’impact environnemental des différentes formes de sépulture continue de faire débat. Si la crémation est plébiscitée aujourd’hui, elle n’en reste pas moins coûteuse en énergie. En Alsace, l’usage majoritaire est d’inhumer les cercueils et les urnes en pleine terre plutôt que dans des caveaux de bêton, comme cela peut se faire plus couramment ailleurs en France. Ces enfouissements ne sont pas sans effet sur les sols. Les sépultures ne peuvent pas être biodégradables dans la mesure où elles sont attachées à une concession, quelle qu’en soit la forme, et doivent pouvoir être relevées au terme de celle-ci.
Les pompes funèbres ouvrent désormais leurs catalogues aux matériaux naturels et éco-responsables et proposent même des packs verts : cordes pour les poignées, bois non traité issu d’une essence qui se renouvelle vite, coton non traité, urne en céramique de créateur…
La jeune coopérative Akène va plus loin et défend un circuit local, social et solidaire. Elle travaille avec un marbrier alsacien utilisant le grès des Vosges ou propose un cercueil en bois de coffrage recyclé par les menuisiers de l’association des Jardins de la Montagne verte à Strasbourg.
Retourner aux éléments
« En matière des pratiques funéraires, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé même si les communes ne le savent pas toujours », insiste Caroline Lemmel. Moyennant une déclaration et des règles peu contrôlées dans la pratique, une dispersion des cendres en peine nature, en mer ou dans une « vasque du souvenir » collective dans un cimetière municipal est gratuite.
Une urne ne peut pas être conservée chez soi plus d’un an. N’importe qui doit pouvoir venir se recueillir sur le lieu retenu qui ne peut donc pas être un espace privé, ni un lieu d’activité publique. Autour de Strasbourg, la forêt de la Robertsau, celles du Mont-Saint-Odile ou de Haguenau sont privilégiées.
Si des cendres sont immergées avec leur urne, c’est alors le seul cas où celle-ci doit être biodégradable, en sel ou en argile par exemple. Sobre et net : le cimetière Nord de Strasbourg propose un « jardin du souvenir » gratuit, où les cendres d’une personne peuvent être enfouies dans un petit carré de terre sous du gazon.
Trouver des concessions vertes
Pour éviter que sa dernière demeure ne vienne grossir des étendues minérales de marbre importé, plusieurs alternatives existent autour de Strasbourg. Dans le cimetière verdoyant de la Robertsau, véritable parc dessiné au début du XXe siècle par l’architecte des Bains municipaux, la municipalité de Strasbourg étend ses « Plantations du Souvenir ». Les urnes peuvent y être enterrées au pied d’un rosier ou d’un conifère qui seront entretenus en tant que concession. Ce passage de relai à la vie végétale est aussi possible sur de plus petites surfaces au cimetière Saint-Gall de Koenigshoffen, au cimetière Sud de Strasbourg, à Souffelweyersheim ou encore Bischheim.
En 2023, les mairies de Muttersholtz et Schiltigheim ont engagé un pas supplémentaire pour les générations futures avec l’ouverture de leurs forêts sanctuaires, portées avec l’association alsacienne Au-delà des racines et pionnières en France. À Muttersholtz, la mairie consacre une partie de sa forêt domaniale à l’enfouissement d’urnes aux pieds d’arbres-concessions.
À Schiltigheim, il s’agit d’une création de forêt de 5 000 mètres carrés. Ses 55 arbres de diverses essences régionales plantés seront protégés chacun par huit concessions de quatre places à leurs pieds. Le site sera laissé en libre évolution pour que la biodiversité y prennent ses droits. Si la mairie de Muttersholtz ouvre sa forêt sanctuaire à tous, celle de Schiltigheim réserve la sienne à ses administrés en raison de la pression démographique. Une troisième forêt sanctuaire devrait voir le jour à Sommerau en 2024.
Forte d’une vieille tradition de parcs-cimetières, l’Allemagne a développé partout sur son territoire des forêts funéraires privées destinées à régénérer les bois après les dégâts de la tempête de 1999. Ceux de Rheinau, Badener Höhe et Schenkenzell, de la régie Friedwald, ainsi que Trifels, et Endingen am Kaiserstuhl se trouvent à moins de 100 km de Strasbourg et accueillent déjà des sépultures de Français. Ici une vue imprenable depuis les hauteurs de la Forêt-Noire, là une jeune plantation de vignes, plus loin un verger de nèfles et de sorbiers pour les animaux sauvages… Les formes y sont variées et plus ou moins aménagées et propices à la promenade. À l’inverse des règles françaises, les urnes enfouies dans ces forêts allemandes doivent obligatoirement être biodégradables. L’association Maintenant l’Après organise régulièrement des visites de découverte de ces forêts novatrices.
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