Ceci n’est pas… une mère
Vendredi après-midi, un attroupement s’est formé autour d’une cabine en verre, une musique en sort (parfois assourdie) : I follow Rivers de Lykke Li, petite ritournelle qui colle à la tête et entête. Sur cette chanson, une toute jeune blondinette danse mollement. Elle est vêtue d’un pantalon slim rose pétant, d’un t-shirt vert, elle porte un casque sur les oreilles, écoute de la musique et elle est enceinte jusqu’aux yeux.
Elle se dandine puis s’assoit sur une chaise dans cette vitrine transparente, le sol est recouvert de balles en plastiques multicolores tout droit sorties du monde merveilleux de l’enfance. Parfois elle observe les gens autour, à d’autres moments elle est juste absorbée par elle-même, par cette musique qu’elle écoute, elle est dans sa bulle. Ça, c’était la performance d’hier, chaque jour le thème développé sera différent. Jeudi, c’était Ceci n’est pas de l’art, hier Ceci n’est pas une mère, samedi Ceci n’est pas l’amour et ainsi de suite.
Cette œuvre de Dries Verhoeven s’intitule Ceci n’est pas… Le point de départ de l’artiste ? Ceci n’est pas une pipe (ou plutôt La Trahison des images) de René Magritte, peinture datant de 1929 représentant une pipe et sous laquelle il y a écrit « Ceci n’est pas une pipe » parce qu’effectivement ce n’est pas une pipe mais la représentation de cette dernière. Bref, tout ça pour dire que Dries Verhoeven reprend cette assertion et va chercher avec sa vitrine à parler de la vie, de ce monde dans lequel on vit et plus particulièrement de ce qu’on préfère ne pas y voir. Vendredi c’est une fille-mère qui était mise en scène. Elle est trop jeune pour peut-être se rendre compte que sa vie va être bouleversée par la venue de son enfant et a l’air de s’en ficher royalement, elle est aussi masquée par les convenances qui ne veulent pas voir que les adolescents ont une sexualité de plus en plus précoce, etc.
À propos de cette performance, l’artiste nous dit :
« Dans « Ceci n’est pas… », je révèle les exceptions à la règle. Dans une vitrine placée au milieu d’un espace public de la ville, j’expose des personnes dans des situations dans lesquelles vous ne les voyez pas normalement. Certains passants détourneront le regard tandis que d’autres s’arrêteront pour regarder et se demanderont si, et pourquoi, l’image dépeinte soulève véritablement la controverse. Pourquoi certaines images sont-elles aujourd’hui pestiférées alors qu’elles pouvaient encore être montrées de façon banale il y a seulement vingt ans ? Sommes-nous devenus moins tolérants ? Ou avons-nous simplement perdu notre sens naïf du politiquement correct ? Est-il bon que nos enfants ne voient pas certaines images ou sommes-nous emprisonnés dans notre instinct de protection ? »
Ceci est… à découvrir
Cette performance, on pourrait en parler des heures, ne serait-ce que celle que j’ai vu. La chanson I Follow Rivers par exemple parle d’une femme qui suit quelqu’un, partout, toujours, dans toutes les situations et se dissout en lui mais pourquoi se perdre dans une histoire ? Et pourquoi cette jeune fille danse sur cette chanson très à la mode sans pour autant avoir conscience de son état (qui l’oblige quand même à s’asseoir et se reposer régulièrement) ? Ces performances sont là pour interpeller le passant, le confronter à ce qu’il ne peut et ne veut pas voir.
Très bon choix que cette place d’Austerlitz pour l’installation de Ceci n’est pas… de Dries Verhoeven, elle est vraiment à la croisée, très passante. Vers 16h30-17h, il y avait des enfants, des promeneurs, des touristes, des grands-parents. Il y a ceux qui s’arrêtaient, regardaient, restaient, mais aussi ceux qui regardaient et repartaient en grommelant dans leur barbe « mais c’est quoi ce truc ? », j’ai eu des discussions avec des enfants qui se demandaient ce qu’elle faisait là la dame, si elle était vraiment enceinte, si elle pouvait sortir, où est-ce qu’elle faisait ses besoins, combien de temps elle restait, si elle était payée pour faire cela, etc.
Et les générations au-dessus s’arrêtaient pour lire le texte, peut-être se poser des questions, continuer leur chemin. Mais la plupart de ceux qui sont passés à côté ont au moins marqué un temps d’arrêt, une interrogation sur le visage : pourquoi ? Quoi ? Comment ? À l’instar des prostituées se trouvant dans des vitrines dans certaines villes, là, Dries Verhoeven nous donne à voir ce qu’on préfère ignorer : qu’allons-nous faire, passer notre chemin en faisant comme si on n’avait pas vu ou ouvrir les yeux et nous rendre compte que le monde n’est pas si lisse, loin de là ?
Y aller
Ceci n’est pas… de Dries Verhoeven, place d’Austerlitz de 15h à 20h, tous les jours jusqu’au 19 octobre. Entrée libre.
Rencontre avec la compagnie : participation de Dries Verhoeven à la table ronde du samedi 19 octobre dans le cadre de Ville[s] en jeu[x].
Ville[s] en jeu[x] : rencontres, résidences, performances, expositions, théâtre, danse du 10 au 25 octobre. Événement réalisé par la Haute école des arts du Rhin (HEAR), le Maillon, Théâtre de Strasbourg et scène européenne, La Chambre, espace d’exposition et de formation à l’image, la Wits School of Arts de Johannesburg, Pôle Sud, Scène conventionnée pour la danse et la musique, le TJP, Centre Dramatique National d’Alsace – Strasbourg et les associations Horizome, La ville est un théâtre, l’AMUP et le Festival des Journées de l’Architecture. Le programme est par là.
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