Chaque jour, 11 000 élèves de maternelle et primaire mangent dans des cantines à Strasbourg. Elles fonctionnent toutes selon le principe de la liaison froide : les repas sont confectionnés par milliers dans une cuisine centrale. Sur les 46 restaurants scolaires de la ville, l’Alsacienne de Restauration en approvisionne 28. Et API Cuisiniers d’Alsace fournit 18 établissements. Leurs sites de production se trouvent respectivement à Schiltigheim et Epfig.
« Après la préparation, les repas sont refroidis entre 0 et 3°C et maintenus à température pendant un, deux ou trois jours », indique Soraya Ouldji, adjointe à la maire de Strasbourg déléguée à la restauration scolaire. Ensuite, le jour où ils sont servis, ils sont acheminés, à froid, vers les cantines, puis réchauffés sur place avant de passer dans l’assiette des enfants. D’après l’élue, « c’est un modèle peu onéreux ». La Ville finance la restauration scolaire à hauteur de 8,2 millions d’euros par an.
Des infrastructures pour cuisiner des milliers de repas tous les jours
Mardi 1er février, Rue89 Strasbourg a pu visiter le site de production de l’Alsacienne de Restauration, à Schiltigheim. À 6h30, une quinzaine de salariés vêtus de blouses, de gants et de charlottes préparent des spaghettis bolognaises. Dans de grandes cuves, quatre cuisiniers mélangent la sauce tomate et la viande hachée.
Les plats sont ensuite conditionnés avant d’être brusquement refroidis, grâce à des frigos spéciaux, pour y être conservés plus de 48h.
Les spaghettis bolognaises étaient au menu de midi des cantines le jeudi 3 février, soit deux jours après leur préparation. D’après Thierry, employé depuis 22 ans interrogé sur place, « la grosse difficulté c’est la gestion des grandes quantités et de la chaine du froid ».
Daniel Rodriguez, directeur de la communication de l’Alsacienne de restauration, insiste sur le cahier des charges fixé par la Ville de Strasbourg :
« Sur tous les produits que nous achetons, 30% du budget permet l’achat de produits bios. 50% des produits bios que nous achetons viennent d’Alsace. Notre fournisseur principal en aliments sans pesticides est Solibio (20 à 25% des produits, NDLR), basé au Marché Gare. Il nous vend des carottes, du chou, du céleri, des tomates, des pommes de terre, des poireaux, des courgettes ou encore des panais. Nous avons d’autres partenaires alsaciens, comme Bruno Siebert ou Thierry Schweitzer, qui nous approvisionnent respectivement en poulet et en saucisses de porc. »
« On fait ce qu’on peut avec nos contraintes »
Le directeur de la communication concède que 70% des légumes achetés par l’Alsacienne de restauration ne viennent pas d’Alsace, mais d’ailleurs en France. « On fait ce qu’on peut, avec nos contraintes. Cela dépend surtout de la disponibilité des produits. Nous choisissons aussi nos fournisseurs pour leur capacité à fournir des denrées en quantité suffisante », explique Daniel Rodriguez.
Il promet que seulement 20% des aliments servis sont transformés, et donc issus de l’industrie agro-alimentaire. Par exemple, le poisson pané, les beignet, les quiches, la mayonnaise, les œufs durs ou encore les steaks végétariens ne sont pas faits sur place. Pour ces produits, la Ville de Strasbourg interdit à l’Alsacienne de restauration d’utiliser les additifs colorants E171 et E172, ainsi que les antiagglomérants E551 et E552.
Depuis le rachat d’Elior, la qualité de certains produits a baissé
D’après Paul (prénom modifié), salarié de l’entreprise depuis 25 ans, « la qualité des produits de certains fournisseurs nationaux a fortement baissé depuis le rachat en 2007 de l’Alsacienne de restauration par le groupe Elior ». La multinationale a réalisé un chiffre d’affaires de 3,69 milliards d’euros sur l’année scolaire 2020-2021.
Dans le même sens, dès 2013, l’union fédérale des consommateurs – Que Choisir révélait grâce à une étude menée sur 606 cantines que les pires restaurants scolaires en terme de qualité nutritionnelle étaient ceux gérés par les groupes Elior, Sodexo et Scolarest.
Daniel Rodriguez assure de son côté que l’Alsacienne de restauration reste autonome dans ses choix. « Nous sommes tout à fait disposés à cuisiner sur place ou en liaison chaude si la demande de la municipalité varie et que les infrastructures sont disponibles », remarque-t-il.
API Cuisiniers d’Alsace, qui produit aussi des milliers de repas tous les jours pour les enfants strasbourgeois, n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Strasbourg Écologie demande la cuisine sur place ou en liaison chaude
Le refroidissement permet un ralentissement de l’altération microbienne et biochimique des aliments, mais il ne la stoppe pas complètement. Le vieillissement des denrées pendant cette phase supplémentaire de conservation peut donc conduire à une moindre qualité nutritionnelle, en comparaison avec des produits consommés directement après leur préparation. « Pour nous, c’est une question de santé publique », déclare Françoise Werckmann, conseillère municipale déléguée à la restauration scolaire pendant la mandature de Roland Ries, de 2014 à 2020.
Françoise Werckmann fait aujourd’hui partie de l’association Strasbourg Écologie, qui a envoyé en mai 2021 une charte à tous les maires de l’Eurométropole, dont la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian, pour qu’ils s’engagent à mettre en œuvre une cuisine élaborée directement sur place, dans les cantines, ou bien en liaison chaude. Cette deuxième option consiste en une préparation des repas le jour de leur consommation sur de petits sites de production à proximité des restaurants scolaires.
L’Association des Parents d’élèves Indépendante de la Robertsau (APEIR) et le centre socio-culturel de la Robertsau se sont associés à la démarche. Françoise Werckmann explique l’initiative :
« Lorsque j’étais élue, je ne suis pas parvenue à convaincre mes collègues de débloquer le budget pour que les infrastructures nécessaires à la cuisine sur place soient construites. Mais je continue le combat. Nous voulons pousser la mairie actuelle à changer radicalement de modèle. L’enjeu est énorme. Nous le faisons pour que tous les enfants strasbourgeois, de tous les milieux sociaux, aient accès à une alimentation de qualité à midi. »
La cuisine sur place nécessite un vaste chantier
Selon l’adjointe Soraya Ouldji, la municipalité a justement lancé un appel à projet pour fixer un plan de travaux permettant une transition vers la cuisine sur place et en liaison chaude :
« Bien sûr, d’un point de vu nutritionnel et gustatif, la cuisine sur place et en liaison chaude, c’est l’idéal. Mais d’importants chantiers de construction et d’agrandissement des cantines strasbourgeoises sont nécessaires car ces dernières ont été conçues uniquement pour le réchauffage. Nous devons aussi garder le prix des repas suffisamment bas. L’entreprise que nous choisirons pour définir un plan de travaux commencera son travail au printemps 2022. Pour l’instant, nous estimons que les chantiers seront finis aux alentours de 2030. »
L’adjointe à la maire signale aussi que les dix écoles en construction ou en projet dans la capitale alsacienne comporteront toutes une cuisine sur place. Pour Françoise Werckmann de Strasbourg Écologie, le plan sur dix ans n’est pas satisfaisant :
« Le mandat de la nouvelle municipalité a commencé il y a plus d’un an et demi. Il finira en 2026. Il faut accélérer. Pour l’instant, c’est flou. Qui dit que la prochaine municipalité continuera sur la même lancée ? Pourquoi ne pas avoir démarré la définition d’un plan de travaux pour les cantines directement au début du mandat ? »
Soraya Ouldji estime quant à elle que l’exécutif tient ses engagements de campagne : « Outre notre cahier des charges pour une alimentation bio et local, nous avons ouvert le marché pour varier les prestataires. Avant septembre 2021, l’Alsacienne de Restauration avait le monopole. »
Dans les cantines lyonnaises, entre 50 et 75% de produits bio en 2022
Selon Cyril Ernst, de l’association Assiettes végétales, la municipalité écologiste n’a rien changé concernant les plats végétariens. La municipalité socialiste avait déjà mis en place un repas sans viande ni poisson tous les jours pour les enfants qui le souhaitent, et un repas végétarien par semaine pour tous, dans le cadre de la loi Egalim :
« Notre priorité, c’est la végétalisation des assiettes, car c’est le levier d’action le plus efficace selon nous pour contrer le réchauffement climatique. La production de viande émet énormément de gaz à effet de serre. Pour l’instant, à Strasbourg, on observe des annonces floues sur la volonté de promouvoir des repas végétariens de qualité. Il faudrait des objectifs chiffrés, des évolutions concrètes comme un deuxième repas sans protéine animale par semaine pour tous les enfants. »
Soraya Ouldji rétorque que lors des réunions hebdomadaires entre les services et les entreprises prestataires, un travail est mené pour améliorer la qualité gustative et nutritionnelle des repas végétariens : « On aimerait remplacer les produits comme les steaks végétaux par des lentilles ou des pois chiches par exemple. »
« Un manque de volonté politique »
Françoise Werckmann estime pour sa part qu’il y a « un manque de volonté politique ». Elle considère que la municipalité lyonnaise, aussi écologiste depuis 2020, « est allée plus vite ». Jointe par Rue89 Strasbourg, la Ville de Lyon affirme que ses 130 cantines fonctionnent en liaison froide, à l’exception d’un restaurant en liaison chaude. À ce jour, elle ne présente pas de plan pour passer à la cuisine sur place. En revanche, son cahier des charges semble plus ambitieux que celui de la Ville de Strasbourg :
« Pour la rentrée 2022, nous visons un approvisionnement en bio évolutif de 50 à 75% au cours du marché et de 50% en local. »
Soraya Ouldji dit échanger avec les autres exécutifs écologistes :
« Chaque ville a ses contraintes, pour les travaux ou l’approvisionnement, ce qui implique des délais plus ou moins importants avant que les conséquences des décisions soient visibles sur le terrain. Pour les crèches municipales, on a pu aller plus vite et les chantiers pour passer uniquement en cuisine sur place et liaison chaude seront finis en 2024. »
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