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Dans les cantines de Strasbourg, manque de personnel, déficit d’encadrement des enfants

Dans les écoles de Strasbourg, il manque 120 vacataires pour accompagner les enfants à la cantine et les garder en fin de journée. La Ville peine à recruter, les vacataires étant des travailleurs très précaires, ils demandent de meilleures conditions de travail et rémunérations.

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À l’école du Neufeld, selon les jours, il manque entre 10 et 19 animateurs périscolaires en cette rentrée 2022 d’après Hülliya Turan (PCF), adjointe à la maire en charge de l’Éducation. « Pour l’instant, il n’y a pas eu d’incident majeur mais les conditions sont réunies », considère Clément (prénom modifié), animateur périscolaire dans cet établissement de Neudorf :

« En élémentaire, chaque classe doit être encadrée par un animateur. En moyenne, une vingtaine d’élèves par classe mange à la cantine. Donc à midi, on se rend à leur salle et jusqu’à 13h50, ils sont sous notre responsabilité. On doit les faire passer à une heure précise à la cantine, s’assurer qu’ils mangent un minimum et les surveiller le reste du temps, parfois proposer des animations. »

La répartition des effectifs se fait à l’échelle des quartiers : le sous-effectif est constaté à Neudorf, à Cronenbourg, à Hautepierre, au centre-ville, au Conseil des quinze ou encore à l’Esplanade, toujours selon l’élue communiste : « En tout, il manque 120 vacataires à Strasbourg. »

Les plannings sont serrés pour que tous les enfants passent à la cantine entre 12h et 14h au Neufeld. Photo : archives Rue89 Strasbourg

« Parfois les enfants doivent manger en 15-20 minutes »

L’école du Neufeld a le plus gros effectif d’enfants qui mangent à la cantine : 500 élèves. Le planning pour les faire manger est donc très serré. « Nous sommes obligés de les faire manger en 15-20 minutes et certains passent après 13h, ils ont faim », détaille Alain (prénom modifié), également animateur périscolaire à l’école du Neufeld. Comme il manque des animateurs, certains doivent prendre en charge deux classes, ce qui double le nombre d’élèves sous leur surveillance.

Il n’y a pas de règle précise concernant le nombre d’enfants par encadrant pour l’accompagnement à la cantine. Dans un accueil de loisir périscolaire, la limite est fixée à un animateur pour 14 enfants de plus de 6 ans, et un animateur pour 10 enfants de moins de 6 ans. La Ville de Strasbourg se fixe l’objectif d’un animateur pour 20 élèves de primaire et d’un animateur pour 10 élèves de maternelle.

Des animateurs périscolaires en manifestation à Strasbourg, le 19 novembre 2021. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Un encadrant pour 20 élèves de maternelle

Dans les faits, on est loin du compte vu le manque de personnel. Selon le personnel interrogé, dans de nombreuses écoles de Strasbourg, on peut atteindre un encadrant pour 20 enfants en maternelle et un encadrant pour 30 enfants en primaire. Alain témoigne des conséquences de ce sous-effectif :

« Quand je vais au travail, je sais que ça va être très difficile, qu’il y aura de la tension. On est constamment aux aguets. Lorsqu’il y a un enfant qui tombe et se fait mal, et ça arrive tout le temps, on doit s’occuper de lui mais du coup on ne voit pas les autres. S’il y en a deux en même temps, on doit prioriser. On nous demande de faire attention au harcèlement, aux mises à l’écart mais c’est impossible ! Notre métier, c’est aussi, en théorie, prendre le temps de discuter avec les élèves, de voir s’ils vont bien. Cela peut prendre du temps de nouer le contact avec un enfant, et d’en parler avec ses parents si nécessaire. Je regrette de ne pas pouvoir faire ça. Là nous sommes surtout concentrés sur leur sécurité physique. C’est un beau métier mais nous n’avons pas les moyens de l’exercer. »

« On recrute des gens dont on n’est pas sûrs »

Clément souligne que de nombreux collègues sont très affectés et stressés. « Des animateurs finissent des services en pleurs après des sessions trop intenses. Ils craquent et partent », révèle t-il. Ce sous-effectif est lié à un problème de recrutement. Yannick (prénom modifié), agent de la direction de l’éducation et de l’enfance à l’Eurométropole, explique qu’il est obligé de donner suite à presque n’importe quel CV déposé :

« Avant la crise sanitaire, on avait quelques candidatures et on pouvait faire un choix. Maintenant, on exploite tout ce qui est possible en terme d’annonce : Pôle emploi, les sites étudiants, Facebook… Les gens ne postulent pas. Certains changent d’avis au dernier moment après l’entretien. Il y en a aussi qui ne donnent pas suite à nos sollicitations. Et s’ils commencent à bosser chez nous, ils peuvent partir du jour au lendemain dès qu’ils trouvent mieux. Le métier est trop précaire. Clairement, on recrute des gens dont on n’est pas sûrs, mais il faut absolument mettre des adultes devant les enfants. »

Plus de 500 enfants mangent dans la cantine de cette école chaque midi, ce qui nécessite une organisation précise. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Métier difficile, petite paie

Clément confirme que certaines personnes « ne sont pas du tout à leur place en tant qu’animateurs et peinent à gérer l’encadrement, ce qui pénalise les collègues » : « Cela arrive que certains s’assoient dans la cour et attendent que ça se passe. On ne leur jette pas la pierre, c’est un métier difficile. » Suzanne (prénom modifié), est vacataire dans une école de l’Esplanade. Elle quittera son poste en octobre :

« J’ai halluciné de comme c’était facile d’être prise pour ce job. Ils m’ont posé deux trois questions à l’entretien comme “si un enfant tombe et ne bouge plus, que faites-vous ?” J’ai répondu comme je pensais et c’était bon. Je suis arrivé le premier jour et on ne m’a rien expliqué quasiment, juste “tu les cherches dans cette salle et tu les fais passer à la cantine à telle heure”. Pourtant, les responsabilités sont énormes. Une fois, on m’a dit que le père d’une petite avait une mesure d’éloignement. Je devais surveiller s’il ne venait pas pour l’emmener discrètement. Mais comment réagir s’il était venu ? Je ne suis pas formée pour ça. C’est très stressant, à 14h, on est rincés. »

La paie ne suit pas non plus. Selon Yannick, les vacataires sont rémunérés 9,72 euros nets de l’heure. Avec les vacances scolaires, le nombre de jours travaillés baisse et des animateurs se retrouvent avec seulement 270 euros certains mois. « La rémunération totale peut monter jusqu’à 800 euros si on cumule la cantine avec des heures d’accueil périscolaire le soir », poursuit-il. « Au vu de l’investissement, c’est très insuffisant, on ne peut pas vivre avec ça », souffle Suzanne. Beaucoup cumulent donc un autre métier avec l’animation. « Sans de meilleures conditions de travail et rémunérations, la situation restera critique ou empirera », estime Clément.

L’école du Neufeld à Strasbourg, où il manque entre 10 et 19 animateurs par jour pour accompagner les enfants à la cantine. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

La Ville invoque le manque de budget

Les personnels périscolaires avaient réalisé plusieurs grèves et manifestations au cours de l’année 2021-2022 et avaient constitué le collectif Strasbourg animation en lutte. Noa (prénom modifié) était très impliqué dans la mobilisation et a aujourd’hui quitté son poste :

« Nous demandions à la Ville de titulariser davantage de personnes et d’augmenter notre rémunération. Le but était aussi d’arriver à des taux d’encadrement qui nous auraient permis d’accompagner les enfants. L’idéal pour nous serait d’un animateur pour 8 élèves de moins de 6 ans, et d’un animateur pour 10 enfants de plus de 6 ans. »

Hülliya Turan se dit d’accord avec les revendications mais plaide un manque de fonds du côté de la municipalité :

« Les animateurs périscolaires sont précaires partout en France. Dans l’idéal, bien-sûr, on pourrait payer plus les animateurs et en titulariser davantage mais le budget ne suivrait pas, en raison des restrictions financières imposées par l’État aux collectivités et des dépenses nouvelles liées à la crise énergétique. Nous essayons donc d’agir différemment. Par exemple, nous allons entamer un dialogue avec l’université pour que les étudiants aient des horaires plus compatibles avec l’accompagnement à la cantine. »

Possible retour des fermetures de cantine

Les réponses de la municipalité ne satisfont pas Alain, aussi membre de Strasbourg animation en lutte :

« C’est facile de botter en touche et de dire “on ne peut rien faire, il n’y a pas d’argent”. Les arguments sont toujours les mêmes pour justifier les restrictions budgétaires. C’est toujours une affaire de volonté politique. Il y a des choix budgétaires à faire et nous n’avons aucune prise là-dessus. »

Parallèlement, il estime qu’il est « urgent d’améliorer la convention collective qui régit la rémunération des animateurs, et cela se fait effectivement à l’échelle nationale ». Alain assure que les animateurs périscolaires relanceront les grèves, probablement dés novembre, si la situation ne s’améliore pas. Les fermetures à répétition des cantines qui avaient impacté le quotidien des parents d’élèves l’année dernière, risquent donc de reprendre.


#animation

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