C’est devenu un événement qui rythme la vie strasbourgeoise plusieurs fois par an. Avant la rentrée scolaire, les services de l’État et de la Ville de Strasbourg, ont démantelé en début de matinée ce mardi 27 août un camp de personnes à la rue, pour la plupart migrantes et demandeuses d’asile venues d’Europe de l’Est.
En dépit de l’occupation de « l’Hotel de la rue » à Koenigshoffen (voir nos articles) depuis la fin juillet, où environ 150 personnes dans diverses situations ont trouvé un toit, la même proportion de personnes, 150, s’était progressivement installée au camp dit « des Canonniers », à l’entrée du quartier du Neuhof depuis le 15 juillet. Après plusieurs jours, un accès à l’eau et deux toilettes avaient été installées par la municipalité. La dernière évacuation de ce lieu datait du 18 juin.
Gymnase puis hébergement temporaire
Selon le processus habituel désormais bien rôdé, les personnes présentes ont été acheminées avec leurs effets personnels en camionnette vers un gymnase voisin de la municipalité, celui de la rue des Vanneaux. Puis les personnes sont réparties dans des structures temporaires dédiées aux demandeurs d’asile, du Bas-Rhin ou d’autres départements français, le temps de l’étude de leur demande, de l’ordre de plusieurs mois. Les familles venaient notamment de Macédoine, d’Albanie, de Géorgie, du Kosovo ou de Russie quand elles sont Tchétchènes. En France, les pays des Balkans sont classés comme « sûrs » et une majorité de demandes, de l’ordre de 80%, sont refusées.
Environ 74 enfants faisaient partie du camp strasbourgeois et l’objectif de la répartition de ce matin est de leur trouver une adresse pour rentrée. Une vingtaine de personnes de la municipalité et une douzaine de la préfecture ont été mobilisées, ainsi que des interprètes.
Près du quadruple d’évacuations entre 2018 et 2019
Présente sur place, la directrice départementale déléguée de la cohésion sociale du Bas-Rhin, Isabelle Guyot rappelle le fonctionnement :
« Les agents de l’État déplacés dans le gymnase identifient les situations pour trouver une solution sous un à deux jours dans les différentes structures dédiées aux demandeurs d’asile en France. Personne ne sera à la rue ce soir, ni demain. »
Avec un tableau récapitulatif à la main, elle documente l’augmentation croissante de ce type d’opérations à Strasbourg. Là où 274 personnes ont été pris en charge de cette manière en 2018, (auxquelles ont peut ajouter les évacuations des Remparts et déjà des Canonniers fin 2017), le total était déjà de 410 en 2019, avant cette évacuation du 27 août, qui a ajoutée 208 personnes suite à un décompte terminé dans l’après-midi. Selon plusieurs professionnels du milieu, des individus qui ne dormaient pas sur place se sont signalés à cette occasion pour être considérés dans les propositions de relogement. Ce qui explique la différence entre les 140 à 150 personnes recensées jusque-là et le total du jour.
Vers une nouvelle gestion
De plus, depuis le mois de juin, la Préfecture a aussi mis en place une gestion dite « au fil de l’eau » en lien avec la municipalité. L’objectif est que dès qu’une poignée de tentes sont repérées, des solutions à petite échelles soient proposées plus rapidement, plutôt que privilégier les évacuations massives. Si elle a permis la mise à l’abri de 176 personnes supplémentaires, soit 794 personnes au total en 2019, ce rythme a néanmoins été moins soutenu que l’agrandissement progressif du camp des Canonniers cet été.
Adjointe en charge des solidarités, Marie-Dominique Dreyssé (EELV), revient sur cette nouvelle approche, bien qu’insuffisante :
« Nos services en contact avec le public font une veille permanente sur le territoire et les services de l’État ont un peu changé de stratégie. Normalement, les réponses d’hébergement sont différentes selon la situation et la composition des familles à la rue. Pour enrayer le phénomène, on essaie de proposer une solution dès que les personnes sont identifiées comme vulnérables. Le combat politique est de changer les règles. Tout le monde y gagne à fluidifier la prise en charge. »
Avant cette évacuation du 27 août, la proportion de personnes prises en charge de la sorte depuis 2018 était d’environ 75% de demandeurs d’asile qui doivent être logés le temps de l’examen de leur demande, 16% de déboutés, parfois reconduits aux frontières ou régularisés au fil du temps (selon les critères de la circulaire Valls), 7% de « Dublinés », c’est-à-dire enregistrés dans d’autres pays de l’Union européenne où doit est étudié leur demande. Enfin, 2% sont dits de « droit commun », c’est-à-dire de nationalité française ou européenne qui ont le droit d’être logés dans d’autres structures, via d’autres procédures.
L’avenir du site en question
La formation du camp de manière rapprochée laisse des riverains de la rue de Châteauroux, voisine de ce petit triangle de terre, désarçonnés. Lassés par les sollicitations, les feux, le bruit ou l’impossible hygiène dans un si petit espace sur-occupé, certains résidents ont demandé que la parcelle soit « inoccupable » à l’avenir. « Nous n’avons pas à subir les conséquences d’une politique migratoire désastreuse », estime l’un d’eux, Marc (prénom modifié), même s’il convient que l’éventuelle reformation de camps similaires dans des endroits plus visibles « ne règle nullement la situation de ces personnes en détresse ».
Pour Marie-Dominique Dreyssé, grillager n’est pas la solution :
« Cela revient à bloquer un espace, pour quoi faire ? Il faut qu’un espace ait une fonction. Mais ce n’est pas moi qui décide, ni la direction que je chapeaute qui paie. »
Le maire Roland Ries (PS) avait assumé fin 2018 la pose de blocs de béton sur le trottoir voisin, où plusieurs camps s’étaient formés en 2017 et 2018. Mais cela n’empêche pas le réapparition d’installations similaires, celle des Canonniers étant un exemple.
L’adjointe de quartier, Annick Neff (PS) est quant à elle plus partagée sur la suite à donner :
« Il y a d’un côté un désir de s’occuper de ces gens au mieux. Mais cela se heurte à la difficulté d’associer les coutumes. Il y a deux squares à proximité mais ce n’est pas l’habitude pour les mères d’aller seules avec les enfants et restent sur cet espace dangereux avec la proximité de la route et du tram. C’étaient des gens propres, mais il est difficile de maintenir le site en état quand on est si nombreux. On va déjà nettoyer le terrain et replanter le gazon et peut-être ajouter une glissière souple. Sur ces sujets, c’est à l’Europe de faire son travail. »
Le collectif des « Canonniers », qui plaide pour une prise en charge plus rapide et interpelle régulièrement les autorités, rappelle que « d’autres campements similaires existent encore à Strasbourg » et que « les bénévoles ne peuvent être partout à la fois ». Vers 10h30, l’évacuation se termine, une grande tente bleu que le collectif avait acheté avec l’aide d’une paroisse est démontée. Son occupant est introuvable. Elle sera stockée provisoirement dans le café voisin. Elle risque amenée à resservir, faute de mieux.
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