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Briser le tabou, célébrer la lutte : le Planning familial fête les 50 ans du droit à l’avortement

Pour célébrer les cinquante ans de la dépénalisation de l’avortement en France, le Planning familial de Strasbourg organise un « Festi’Veil » du 13 au 18 janvier. L’occasion de mettre en lumière les obstacles et tabous qui perdurent autour de cet acte de soin.

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Dans les locaux du Planning familial.

Le 17 janvier 1975, la loi Veil dépénalisait pour cinq ans l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à 12 semaines, avant d’être reconduite sans limite de temps en 1979. Cinquante ans plus tard, le Planning familial de Strasbourg célèbre cet anniversaire avec un Festi’Veil à la programmation militante. Exposition, table ronde, rassemblement, concerts… Du 13 au 18 janvier, l’association revient sur la lutte pour le droit d’avorter. Mais aussi sur les freins et les menaces qui pèsent encore sur cette liberté fondamentale à disposer de son corps.

« J’ai avorté », une parole rare

Selon le baromètre sur l’accès à l’avortement en France, réalisé par l’IFOP pour le Planning familial en 2024, 63% des femmes ayant eu recours à l’avortement ont peur d’être jugées ou d’avoir des remarques de la part des professionnels de santé ou de l’entourage. 41% des femmes qui ont eu recours à l’IVG estiment que le droit à l’avortement reste un tabou aujourd’hui en France.

Présidente bénévole du Planning familial de Strasbourg et photographe, Victoria Charrue a recueilli le témoignage de femmes ayant avorté et réalisé leur portrait pour en faire une exposition. Une quinzaine de clichés accompagnés d’extraits de leurs récits sont à retrouver jusqu’au 8 février à la médiathèque du Neudorf.

63% des femmes ayant eu recours à l’avortement ont peur d’être jugées ou d’avoir des remarques de la part des professionnels de santé ou de l’entourage.Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

« Parce que ça touche à l’intimité, on nous apprend qu’il ne faut pas en parler.« 

Victoria Charrue, présidente du Planning familial de Strasbourg

« Rares sont les volontaires de cette expo qui ont parlé immédiatement et facilement de leur IVG« , détaille Victoria Charrue. Il a fallu du temps, parfois des années, pour qu’elles puissent s’exprimer sur cette expérience. Et découvrir qu’un certain nombre de leurs proches avaient, elles aussi, avorté. « Ce qui m’a frappé le plus fort, c’est à quel point le vécu des personnes qui ont recours à l’IVG est vraiment cantonné au privé, poursuit la photographe. Parce que ça touche à l’intimité, on nous apprend qu’il ne faut pas en parler. Même du côté des personnes très engagées, militantes : ce n’est pas la même chose de savoir ce que l’on souhaite à une société et de savoir ce que l’on peut s’autoriser à vivre soi-même. »

Conseillères conjugales et familiales et animatrices de prévention au Planning familial de Strasbourg, Claire et Jessica constatent les effets du tabou entourant l’IVG sur les personnes qui appellent au centre pour se renseigner. « Souvent, les femmes commencent par se justifier au téléphone. Elles nous disent que ce n’est pas le bon moment pour elles, que c’est compliqué… On les arrête tout de suite et on les déculpabilise en leur disant que toutes les raisons sont légitimes« , explique Claire. Les professionnelles notent l’écart entre les préjugés qui persistent et la réalité des faits. « Les femmes les plus concernées par l’avortement ont entre 25 et 35 ans et trois quarts d’entre elles ont une contraception« .

Dans les locaux du planning familial à Strasbourg. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Avorter, une lutte continue

L’IVG, une lutte sans fin. Jeudi 16 janvier, le Festi’Veil organise une table ronde sur l’histoire du droit à l’avortement en France avec Pauline Harmange, autrice de Avortée, une histoire intime de l’IVG, et Bénédicte Constantino, gynécologue. La conseillère en santé sexuelle au Planning familial Francesca Bonsignori et la médecin Nicole Greib seront aussi présentes.

Militante au planning familial de Strasbourg depuis près de cinquante ans, Nicole Greib en a été présidente pendant 15 ans et y a travaillé en tant que médecin. Elle fait partie des mémoires de l’association. Elle se souvient de son arrivée au Planning strasbourgeois en 1980 pour en ouvrir le centre de planification :

« À Strasbourg, le Planning s’est créé au début des années 60, avec des militantes bénévoles qui donnaient des listes de médecins acceptant de délivrer la pilule. Il faut se rappeler que la loi autorisant la contraception n’est passée qu’en 1967. Et les décrets d’application ne sont pas sortis avant 1974. Elles donnaient également des adresses à l’étranger pour les IVG. »

Des anti-choix mobilisés depuis les années 80

Lorsque l’avortement a été dépénalisé, il a fallu du temps pour que les hôpitaux mettent en place des équipes dédiées à l’IVG. « En Alsace, cela s’est plutôt bien passé, juge Nicole Greib. Mais il a fallu vaincre quelques résistances. Les médecins qui s’en occupaient au début étaient assez militants et devaient lutter contre des collègues qui leur mettaient des bâtons dans les roues. »

Au-delà du milieu médical, les militantes du droit à l’avortement ont également fait face aux mobilisations des opposants à l’IVG. Nicole Greib se remémore : « Dans les années 80-90, nous sommes allées devant le Centre Médico-Chirurgical et Obstétrical (CMCO) où des anti-choix avaient décidé de venir prier. » Plus récemment, le Planning familial de Strasbourg a vu sa porte taguée le 8 mars dernier, le jour de la journée internationale du droit des femmes. Un autre tag anti-IVG a été réalisé le jour de l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution. « À chaque fois que la loi progresse, ils sont là pour réagir et remettre ce droit en cause », souffle l’ancienne présidente du Planning familial de Strasbourg, Nicole Greib.

Jessica, salariée, sur l’un des postes du planning familial. 
Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Un droit fragile

Cinquante ans après la loi Veil, les militantes du droit à l’avortement s’accordent sur un point : il faut continuer à lutter. « Le baromètre sur l’accès à l’avortement a révélé que l’IVG n’est absolument pas un droit facile d’accès en France, détaille Victoria Charrue. On a le droit d’avorter, mais selon que l’on habite en ville ou en campagne, que l’on soit mineure ou majeure, que l’on soit racisée ou non, on ne sera pas reçue de la même façon ».

Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques utilisés par la revue La Déferlante en 2024, une française sur quatre doit aujourd’hui changer de département pour pouvoir avorter. Entre 2007 et 2017, la France hexagonale a perdu 43 centres pratiquant des avortements sur un total de 624.

Bien que le recours à l’IVG soit entré dans la Constitution en 2024, il reste encore à faire, du point de vue des militantes. « Le texte a consacré une liberté de pouvoir avorter et non un droit, détaille Victoria Charrue, présidente du Planning familial 67. Si de nombreux centres ferment, on aura en théorie toujours la possibilité d’avorter, mais ce sera de plus en plus difficile. »

Autre motif d’inquiétude concernant la constitutionnalisation de l’IVG : l’utilisation du mot « femme » qui exclut les hommes trans, autrement dit les personnes avec une identité de genre masculine et qui ont été assignées femmes à la naissance. « Ces personnes ont aussi des droits et sont déjà en prise avec des difficultés pour avoir accès aux soins« , regrette la bénévole Victoria Charrue.

Dans les locaux du planning familial à Strasbourg. 
Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Si l’initiative a eu le mérite de mettre l’IVG au cœur du débat public, elle n’est toutefois pas revenue sur la double clause des médecins concernant l’avortement. « Tous les médecins ont une clause de conscience qui les autorise à ne pas faire un acte médical pour une raison x ou y. En ce qui concerne l’avortement, ils ont une clause spécifique qui participe à faire de l’IVG un acte médical à part« , regrette Victoria Charrue. Vendredi 17 janvier, le Festi’Veil invite à un rassemblement à 17 h 30 place Kléber. L’occasion de rappeler qu’un droit acquis est parfois un droit en sursis.

Rendre l’avortement plus accessible

Samedi 18 janvier, le Festi’Veil se terminera avec une soirée festive au Molodoï. Les fonds seront reversés à une caisse de solidarité pour les IVG hors-délai. « Dans certains pays, on peut avorter plus tard qu’en France, explique Victoria Charrue. Au Planning, nous avons des accords avec les Pays-Bas et l’Espagne pour que les personnes puissent aller avorter là-bas avec un peu moins de frais. Cela coûte extrêmement cher, donc on essaie régulièrement de réunir de l’argent pour pouvoir réduire les frais médicaux et les frais d’hébergement et de déplacement. Il ne nous semble pas juste que seules les personnes qui en ont les moyens puissent bénéficier de ce délai supplémentaire. »

Les archives du planning familial. 
Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

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