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Qui est Brigitte Klinkert, la première femme présidente du Haut-Rhin ?

Elle était la première et la seule femme élue au Conseil général au début des années 90. 23 années plus tard, dont certaines dans l’ombre de ses chefs, Brigitte Klinkert devient la première femme à présider le Département du Haut-Rhin. Alsacienne convaincue, issue de la droite modérée, elle plaide pour le retour d’une région à part entière et à statut particulier.

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Brigitte Klinkert accueille avec le sourire, sa « feuille de route » sous la main et la voix posée. Elle a fait ses « devoirs de vacances », comme elle le dit. Depuis le 1er septembre, elle est officiellement la nouvelle présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin (CD 68). Elle répond aux nombreuses sollicitations de la presse, récite ses objectifs prioritaires, se plonge dans les dossiers, et fait progressivement le tour de tous les collaborateurs du Département pour se présenter :

« Bon cela prend du temps, ce sont quelques milliers de personnes quand même, mais c’est important le contact personnel. »

Cela reflète déjà le caractère de la nouvelle présidente, qui préfère parler de travail d’équipe que de se mettre en avant… ou de se plaindre :

« C’est vraiment du bonheur. On a une belle équipe d’élus, vraiment engagés, et une belle équipe de collaborateurs, je me sens très soutenue. »

Car si le grand public n’avait peut-être jamais entendu parler de Brigitte Klinkert auparavant, elle fait pourtant figure de taulière du Département depuis son entrée au Conseil général en 1994, et ses collègues la connaissent bien.

Une vie dans le service public alsacien

Cette native de Colmar a commencé par travailler dans l’administration avant de progressivement rejoindre l’engagement familial. Son grand-père était Joseph Rey, ancien maire et figure démocrate-chrétienne de Colmar. Elle passera toute sa carrière dans l’administration locale (voir encadré ci-dessous) et notamment avec des missions au Conseil général du Bas-Rhin jusqu’en 2011. Une vraie école de l’administration locale, selon elle :

« J’ai vraiment vécu de l’intérieur la décentralisation. Quand j’ai démarré, on était 4 collaborateurs. Maintenant, ils y sont plus de 3 000. »

Elle justifie son entrée en politique par une « volonté d’aider » :

« Déjà très jeune, je souhaitais me mettre au service des autres, et j’ai voulu entrer dans le service public, et puis je me suis intéressée à la vie politique. Dès la fac de droit, je me suis engagée chez les jeunes démocrates sociaux (les jeunes du parti des centristes démocrates sociaux fondé en 1976 et présidé par François Bayrou au début des années 90, NDLR). »

Depuis, elle fait preuve d’une pérennité certaine. Elle l’explique par des raisons simples :

« Quand on est élu local, il faut un ancrage local fort. Il faut de la proximité, être à l’écoute de ses concitoyens. Toutes les personnes qui souhaitent me rencontrer, je les rencontre. C’est aussi important de vivre comme tout le monde. C’est pour cela que j’ai toujours gardé un « vrai » métier, pour garder les pieds sur terre, avoir un patron, des collègues, etc ».

« Un petit pas de plus pour les femmes »

Quand elle entre au conseil départemental, elle est la première femme, et donc la seule. À 37 ans, elle est aussi la plus jeune. Aujourd’hui, elle est seulement la 11e femme aux manettes d’un département français. Sur 101.

Mais à l’entendre, il n’y a rien d’exceptionnel chez elle, elle était « juste là au bon moment ». Et loin d’elle l’impression d’avoir dû être patiente pour accéder enfin à des responsabilités, elle qui travaille pourtant consciencieusement dans l’ombre depuis presque 25 ans. Elle en rit plutôt :

« Je n’ai jamais fait de plan de carrière en politique. Il s’agit d’opportunités, c’est tout. En 1994, le conseiller général de Colmar-Nord, Jean-Paul Fuchs, a décidé d’arrêter, alors je me suis présentée. Aujourd’hui, mes collègues m’ont élue car ils m’ont vu à l’œuvre ces dernières années, notamment à la présidence de la commission culture et patrimoine. Aussi, si j’ai pu être élue à ces moments-là, c’est grâce aux lois sur la parité et sur le cumul des mandats ».

Car la loi sur la parité en politique, introduite en juin 2000, et qui oblige à présenter autant d’hommes que femmes lors de scrutins de liste, a été selon elle déterminante pour habituer les citoyens à une plus grande diversité dans la politique :

« Heureusement qu’il y a eu ces lois instaurant la parité. Car c’est tout de même enrichissant. Les conseillères sont très présentes et forces de propositions. »

Elle salue l’obligation de présenter des binômes hommes-femmes aux élections départementales, qui a été effective aux élections de 2015 :

« Avant cela, il s’agissait simplement d’avoir un suppléant du sexe opposé. C’était pour le moins curieux. Moi par exemple, je devais forcément avoir un suppléant masculin. »

Si elle dit ne pas penser tous les jours au fait qu’elle soit une femme présidente (« après on n’y pense plus, on est présidente et on occupe pleinement la fonction ! »), celle qui a cité Simone Veil dans son discours d’intronisation est pleinement consciente et heureuse de l’avancée que représente une présidente de plus :

« Être la 11e femme présidente, c’est quand même un petit pas de plus pour les femmes, à ma petite échelle. Avoir plus de femmes élues aux responsabilités, ça change quand même : par la force des choses, les femmes ont en quelque sorte une sensibilité qui leur est propre. Peut-être qu’on appréhende les projets un peu différemment. »

Elle regrette qu’il y ait moins de femmes au pouvoir, et pense que les raisons sont diverses :

« Pour être élue au Conseil Départemental, il faut être déjà un peu connue : c’est mieux par exemple si on est maire, et comme il y a déjà moins de femmes maires, c’est un cercle vicieux. Aussi, je pense que les femmes cherchent moins le pouvoir pour le pouvoir, mais le voient plus comme un moyen de réaliser des choses. Enfin, beaucoup de femmes hésitent sans doute à prendre plus de responsabilités car elles se demandent si elles en auront le temps et les capacités. »

Depuis qu’elle est à la tête du Département, Brigitte Klinkert s’est emparée des dossiers importants, notamment celui du retour à une Alsace institutionnel (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Emploi et jeunesse, priorités classiques des élus locaux

Maintenant qu’elle est aux rênes du département, Brigitte Klinkert expose ses grands projets pour l’horizon 2021, date des prochaines élections. Consciencieuse, elle déroule ses priorités, « l’emploi, la jeunesse, et l’Alsace. »

Peu importe que l’emploi ne soit pas à proprement parler dans les compétences du Département. Si depuis la loi NOTRe, la collectivité a perdu quelques attributions comme le développement économique aujourd’hui totalement dévolu à la Région, Brigitte Klinkert veut agir avec les leviers qui lui restent :

« L’emploi doit être la priorité pour nous les élus locaux. Notre levier d’action, c’est de prendre les compétences que l’on a sous le prisme de l’emploi. Par exemple, il nous est possible d’adapter les routes pour faciliter l’accès des gens à des zones économiques. Aussi, on veut encourager le bilinguisme, notamment chez les jeunes, qui est un énorme plus pour trouver un emploi. Je souhaite multiplier les échanges de part et d’autre du Rhin. Il faut profiter de notre situation géographique près des zones les plus prospères d’Europe, le Bade Wurtemberg et la Suisse ».

La jeunesse, c’est l’autre axe cher au Département, qui a en charge les collèges, pour lesquels il dépense cette année plus de 37 millions d’euros. Celle qui était longtemps vice-présidente à la culture ne dévie pas de son cheval de bataille :

« Nous avons lancé un appel à projets aux acteurs culturels pour faire plus d’activités culturelles dans les collèges. Nous voudrions développer cela ensuite au niveau du sport, de l’engagement citoyen… Le but est de donner envie aux jeunes de s’ouvrir. »

Elle évoque aussi les solidarités, qui est tout de même l’attribution principale de l’échelon départemental :

« C’est une compétence majeure du Département, la solidarité avec les personnes âgées, les personnes handicapées, les personnes en précarité et les jeunes en difficulté. Sur ces sujets, l’objectif et que chacun reste l’acteur principal de sa propre vie ».

Son prédécesseur Éric Straumann, dont elle est suppléante à l’Assemblée nationale, s’était fait remarquer en proposant de conditionner le RSA contre 7h par semaine de bénévolat. Une politique sur laquelle elle n’a pas l’intention de revenir.

« Make Alsace great again » ?

Mais le gros dossier que la nouvelle présidente veut ouvrir, c’est la question d’une Alsace comme région unique et à part entière. Parmi les options en débat, elle préfère, comme son homologue bas-rhinois Frédéric Bierry, obtenir une Région Alsace dissociée du Grand Est, sur le modèle de l’assemblée territoriale Corse :

« Je privilégierais une collectivité à statut particulier avec des conseillers départementaux qui seraient également conseillers régionaux d’Alsace, avec un retour des compétences importantes comme l’économie et les transports ».

D’autres voix prônent simplement une jonction des départements, tout en restant au sein de la région Grand Est. Brigitte Klinkert défend depuis longtemps l’idée d’une organisation unique pour l’Alsace. Elle faisait déjà partie des fervents partisans du oui au référendum de 2013 sur la Collectivité Territoriale d’Alsace.

A l’époque, la fusion ne faisait pas l’unanimité au Conseil général du Haut-Rhin, et Brigitte Klinkert a payé son engagement. Ses délégations lui ont été retirée par Charles Buttner, alors Président :

« Je tiens aujourd’hui le même discours que je tenais à l’époque. Oui j’étais pour. Charles Buttner était moins « chaud », et il voulait d’ailleurs adapter le texte (élaboré ensemble par les deux départements et qui validait le projet de collectivité unique, NDLR) au moment de le faire voter par le Conseil général. Je craignais que cela n’empêche la tenue d’un référendum et la validation. »

Finalement, le référendum avait eu lieu mais le Haut-Rhin avait voté non et la participation avait été trop faible pour valider le résultat, qui penchait pour le oui à 57%.

Comme ses prédécesseurs, la nouvelle Présidente a vue sur la vieille ville de Colmar, où elle est élue depuis plus de 30 ans (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Une Alsace seule pour mieux dialoguer avec les voisins

Si elle porte aujourd’hui ce projet, c’est pour retrouver « une proximité et une identité » :

« Aujourd’hui, les citoyens qui ont un souci dans la région Grand Est ne savent plus à qui s’adresser. Les élus doivent être des élus de proximité. En matière de visibilité, l’Alsace n’est plus sur Tripadvisor (en fait, on la trouve encore, NDLR), c’est la région Grand Est. Tout comme le stand au salon de l’agriculture etc etc. En tourisme, c’est l’Alsace qu’il faut vendre. »

Surtout, un changement d’organisation redonnerait selon elle une place plus importante à la région et cohérente avec sa situation géographique :

« L’Alsace c’est une histoire, une géographie, une culture. Aujourd’hui je me rends compte que l’Alsace regarde vers l’Ouest. Or, on a la chance d’être dans le bassin rhénan, un des territoires les plus prospères en Europe. Je souhaite développer notre coopération avec les Allemands et les Suisses, et faire bénéficier l’Alsace de ce dynamisme. Si l’Alsace y gagne, la France y gagne aussi. C’est une conviction, l’Alsace s’en portera mieux et sera plus prospère. »

Or, pour optimiser au mieux les relations avec ses voisins, l’Alsace doit impérativement avoir son organisation propre, avance Brigitte Klinkert, qui parle elle-même allemand et n’en tarit plus sur la coopération transfrontalière :

« Certains partenaires en Suisse par exemple souhaiteraient une gouvernance propre à la région des trois frontières, et la coopération transfrontalière, c’est une question de volonté politique et de relations personnelles. Et ça, ça se fait dans la proximité. »

Mais si les présidents des départements alsaciens sont convaincus de leur projet, le chemin est encore long, comme l’explique Brigitte Klinkert :

« Il faut d’abord un accord de principe de l’Etat. Puis, il nous faudra travailler à un projet avec l’ensemble des alsaciens. L’objectif est d’y arriver pour l’horizon 2021, où il y aura les élections départementales et régionales ».

Dans ce rapport de force qui s’installe, ce sont bien les députés de l’Assemblée nationale qui peuvent voter un éventuel redécoupage.

Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry  n’ont pas perdu de temps : le 13 septembre, ils étaient accueillis à l’Elysée pour défendre leur projet et en discuter avec le Secrétaire Général de l’Elysée, Alexis Kohler, un autre compatriote alsacien, Directeur de Cabinet d’Emmanuel Macron depuis 2014.

C’est ensuite l’adhésion de la population qu’ils devront emporter, et surtout celle des haut-rhinois, que Brigitte Klinkert devra convaincre, quelques années après un référendum où leur enthousiasme avait été plutôt modéré. Elle reste optimiste car elle l’assure :

« Ce projet sera construit avec tous les alsaciens. »

De là à les faire voter à nouveau ?


#Brigitte Klinkert

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