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Brahim Taibi, auto-entrepreneur: « Ce statut permet l’expérimentation »

Créé en 2009, le statut d’auto-entrepreneur a déjà fait plus d’un million d’adeptes mais est accusé de « concurrence déloyale » au régime de droit commun. Le gouvernement se penche en ce moment sur l’évolution d’un statut que les auto-entrepreneurs entendent jalousement conserver en l’état. Bien que socialiste, il combattra la réforme.

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Auto-entrepreneur depuis trois ans, Brahim Taibi

Brahim Taibi est un auto-entrepreneur militant. Expérimentant de multiples activités depuis son domicile strasbourgeois depuis trois ans, il voit d’un mauvais oeil les projets de réforme qui se profilent. Ce statut a vu le jour dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie de 2008, afin de faciliter le lancement, l’interruption et la cessation d’activités à but lucratif en France. « Tremplin » vers la création d’une entreprise traditionnelle, ce statut bénéficie du régime fiscal d’une micro-entreprise qui le rend très compétitif par rapport au régime de droit commun, jusqu’à être accusé de « concurrence déloyale » par certains syndicats d’artisans, notamment du secteur du bâtiment.

En octobre 2012, la ministre de l’artisanat et du commerce, Sylvia Pinel, a déjà diminué les seuils de chiffre d’affaires au-delà desquels les auto-entrepreneurs basculent dans un régime ordinaire. Présenté en conseil des ministres le 21 août 2013, le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises restait cependant flou sur le statut des auto-entrepreneurs. Au moment de préparer le projet de loi des Finances, le gouvernement ne semble pas vouloir ouvrir deux fronts avec les entreprises et a remis la conduite du dossier à la commission Grandguillaume, devant apporter ses conclusions à la fin du mois.

Rue89 Strasbourg : quelle est votre activité aujourd’hui ? Est-ce la création du statut d’auto-entrepreneur en 2009 qui vous a lancé ? Que faisiez-vous avant ?

Brahim Taibi : « Je suis agent commercial indépendant dans le secteur immobilier, je propose aussi des services de Home Shoring, de la relation client à domicile, c’est ce qui fait la beauté du statut d’auto-entrepreneur ! Avant, j’étais en contrat de qualification professionnelle dans le domaine automobile mais je trouvais le domaine bouché et je craignais de me retrouver au chômage. D’ailleurs, j’étais déjà au chômage avant ce contrat !

La création du statut d’auto-entrepreneur, je n’y ai pas cru. Je l’ai rêvé longtemps avant qu’il n’existe ! Dès le collège, le mot « orientation » me dérangeait. Je regardais les informations et les chiffres du chômage avec lucidité sur la situation actuelle. Je voulais rester indépendant mais la précarité de l’intérim, l’enchaînement des CDD, ça ne me convient pas. J’ai étudié le statut d’auto-entrepreneur pendant un an et demi pour finalement m’inscrire en mai 2010. »

R89S : quels sont vos avantages à être auto-entrepreneur ? Votre activité serait-elle viable sous un autre statut, tel qu’une SARL ?

BT : « Avant tout, j’aimerais clarifier quelques idées reçues sur le statut d’auto-entrepreneur. On dit souvent que l’auto-entrepreneur ne paie pas de charges. C’est faux. Un auto-entrepreneur est soumis aux mêmes charges qu’une micro-entreprise. On est exonérés de TVA sur nos factures, mais nous payons une TVA sur la matière première que nous achetons. On dit aussi qu’aucune qualification n’est requise. Ce n’est pas tout à fait vrai : l’auto-entrepreneur doit pouvoir certifier d’une connaissance dans sa matière. Dans le secteur immobilier, les contrats me liant à des clients engagent ma responsabilité civile professionnelle.

Aujourd’hui mon chiffre d’affaires est quasiment nul, moins de 10 000€ sur l’année, donc oui, je ne paie pas de charges. Cette logique est l’essence même du statut : un auto-entrepreneur qui ne parvient pas à dégager un revenu de son activité ne doit pas être soumis à des charges qu’il ne peut payer. Mon activité ne serait bien sûr pas viable sous un autre statut. Mais attention, il faut aussi penser que tous les auto-entrepreneurs ne peuvent pas ou ne veulent pas vivre de leur affaire. Certains utilisent ce statut pour exercer une passion ou simplement un complément d’activité à côté de leur emploi pour augmenter leurs revenus. Le statut d’auto-entrepreneur est un statut « tremplin » qui permet d’expérimenter un métier et c’est pourquoi je le défends contre toute réforme. »

R89S : que répondez-vous aux accusations de « concurrence déloyale » évoquées par des syndicats d’artisans, notamment dans le bâtiment ?

BT : « Cette idée de concurrence déloyale est ridicule ! Si vous prenez 0,7% du chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises artisanales du bâtiment de moins de 20 salariés, voilà ce que représente l’activité des auto-entrepreneurs. Le rapport de l’IGF (Inspection Générale des Finances) et de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), demandé par la ministre Sylvia Pinel et publié en avril 2013, note bien que le « relèvement des taux applicables aux auto-entrepreneurs limite la portée des critiques en matière de distorsion de concurrence ». Les chiffres d’affaire des auto-entrepreneurs sont limités depuis 2012 à 81 500€ pour la vente de marchandises et à 32 600€ pour les professions libérales et les prestations de service, en quoi ces chiffres représentent-ils une concurrence pour les entreprises ?

Dans ce rapport, le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables se dit favorable à un régime qui répond à un besoin et qui n’est pas forcément plus avantageux en termes de pression fiscale et sociale. L’Association pour le Droit à l’Initiative Economique soutient aussi le maintien de ce statut pour lutter contre l’exclusion du marché du travail et du système bancaire. 53% de ses membres étaient auto-entrepreneurs en 2012, dont 40% étaient au chômage, 20% sont sans diplômes et 7% illettrés. La ministre parle de lutter contre la précarité : le statut d’auto-entrepreneur est une bonne solution ! La ministre se trompe de débat en voulant le modifier. »

R89S : baisser les seuils de chiffre d’affaires au-delà desquels les auto-entrepreneurs basculeraient dans le régime ordinaire est évoqué dans le projet de réforme. Quelles seraient, pour vous, les conséquences de ces mesures ?

BT : « Cette réforme est une absurdité. Construire une activité et en dégager un revenu prend du temps ! Plus de 40% des entreprises mettent la clé sous la porte dans l’année de leur création et on ne considère une entreprise comme « pérenne » qu’après six ans d’activité. Le projet prévoit de limiter la validité du statut à deux dépassements des seuils, ce serait aller contre l’essence même du statut et empêcher des personnes motivées d’expérimenter un métier. Surtout si les seuils sont diminués ! Le gouvernement parle de ramener les seuils de chiffre d’affaire à 47 500€ pour la vente de marchandises et à 19 000€ pour les professions libérales et les prestations de service. Un montant de 19 000€ peut être atteint en une seule vente dans le domaine immobilier. Alors après je fais quoi, je cesse de travailler ? C’est un non sens !

Il faut aussi aborder l’enjeu de la cotisation aux retraites. La ministre dit vouloir lutter contre la précarité, mais s’il n’est plus possible de dépasser les seuils de chiffre d’affaire, il ne sera plus possible de payer assez de cotisations. En effet, un gain d’au moins 1 886€ par mois, soit 22 632€ sur un an, est nécessaire pour valider les trimestres de retraite. Si cette réforme est adoptée en l’état, cela conduira à une hausse du travail non déclaré, dans lequel réside la vraie concurrence à l’artisanat et à l’économie en général ! »

R89S : faites-vous partie du mouvement des « Poussins » qui milite contre une réforme du statut d’auto-entrepreneur depuis avril 2013 ? Ses membres crient à la « mort de l’économie et de la croissance » en France, validez-vous ces propos ou les trouvez-vous exagérés ?

BT : « Oui, je suis un « Poussin » très actif ! Ces propos sont « carrément vrai » pour reprendre l’expression d’Adrien Sergent, initiateur du mouvement. Les auto-entrepreneurs représentent une force vive de l’économie française. Depuis sa création, l’auto-entrepreneuriat représente 56% des créations d’entreprises en France avec 1,1 million d’inscrits. Le statut a généré plus de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaire depuis sa naissance et rapporté plus d’un milliard d’euros de cotisations dans les caisses de l’État en 2012. Aux États-Unis, 75% des nouvelles entreprises créées n’ont qu’un seul employé et certaines existent depuis déjà dix ans.

Je milite pour défendre ce statut sur les réseaux sociaux et au sein d’associations à Strasbourg, notamment Réseau Simplement Solidaire et Acte 67 pour la transition économique et sociale. Je suis aussi encarté au Parti socialiste et j’ai pris rendez-vous avec des élus du Bas-Rhin, notamment les députés Armand Jung (PS) et Philippe Bies (PS). Mon but est d’encourager les citoyens à rejoindre la contestation autour de cette réforme. Avec les Poussins, nous travaillons actuellement sur la création de comités locaux dans les départements. »


#Brahim Taibi

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