« Bouygues c’est un nom que l’on connait, qui nous rassure. On avait entièrement confiance quand on les a choisi ». Cette phrase, on peut l’entendre à la volée de la part de nouveaux propriétaires qui ont fait confiance au promoteur immobilier pour le programme Séréni’T, à Strasbourg Robertsau. Lors de sa commercialisation, Bouygues décrivait ainsi l’ensemble sur sa brochure : « Votre vie respire le bien-être », « C’est là que votre nouvelle vie vous attend », « L’expertise et la qualité de Bouygues Immobilier », « Réduisez votre consommation d’énergie », etc.
Mais depuis la livraison en juillet 2014, résidents de l’impasse du Hüttwörth n’ont pas l’air si sereins : portes qui ne se ferment pas, parquet mal installé, infiltrations d’eau, chauffage qui ne fonctionne pas, sols brûlants, problèmes d’électricité…
La première propriétaire à s’être installée (en juillet 2014) s’appelle Yvonne Von Zeidler. Après trois semaines dans son nouveau trois pièces de 60 m2, elle décide de quitter les lieux avec sa fille, constatant des défauts d’étanchéité, de l’humidité, des malfaçons, la pente de son terrain inversée, récupérant en cas d’averse, les eaux s’écoulant du toit et des terrasses supérieures et amenant toutes les eaux de pluie terreuse vers son jardin.
Elle se lance alors dans une procédure judiciaire, fait assigner Bouygues Immobilier devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, aux fins d’obtenir la résolution de la vente ainsi que la restitution du prix (224 000 euros).
En juillet 2014, le promoteur propose de reloger Yvonne Von Zeidler et sa fille dans un hôtel, le temps que les travaux s’achèvent afin de régler ce problème d’étanchéité. Elle refuse et remet ses clés à l’agence, estimant que le contrat n’a pas été respecté et qu’elle ne souhaite plus vivre dans l’appartement, qu’elle juge dangereux pour sa fille asthmatique.
Jean-Louis Archambault, directeur de l’agence Alsace de Bouygues Immobilier et son chargé de projet Lucas Obernesser, considèrent qu’à partir du moment où Yvonne Von Zeidler a refusé les travaux proposés par Bouygues, « il faut laisser faire la justice ». En l’attente des résultats des expertises demandées dans le cadre du procès, et de preuves de sa responsabilité, le promoteur refuse de rembourser la propriétaire.
Cela signifie concrètement que l’appartement vide continue de se détériorer avec l’humidité alors que Bouygues Immobilier somme sa propriétaire de prendre soin du lieu dans lequel elle ne vit plus.
« Conforme aux règles de l’art »
Pour les autres propriétaires qui ont fait le choix de rester sur place ou de louer leur appartement, le quotidien est fait d’attente et de réclamations régulières auprès de Bouygues Immobilier. Le promoteur enchaîne pourtant les travaux, mais au compte-gouttes et à un rythme incertain.
La loi veut que le promoteur respecte les garanties mises en place : parfait achèvement et garantie décennale. Dans le cadre de la procédure avec Yvonne Von Zeidler, Bouygues Immobilier réfute l’invocation de la garantie décennale au vu des désordres et souhaite engager la responsabilité des différentes entreprises intervenues sur le chantier ainsi que leurs assureurs.
À savoir, la société Soprema, titulaire du lot d’étanchéité, Beyer, titulaire du lot plomberie-sanitaires, les Établissements Falières, pour le chauffage et la ventilation, Pontiggia qui s’est chargé des espaces verts, le contrôleur technique Qualiconsult et même AEA Architectes, l’agence maître d’œuvre de la conception et de l’exécution ! Mais en attendant que tout ce petit monde ne se retrouve devant un juge, les conditions de vie des résidents de Séréni’T continuent de se dégrader.
Une défaillance imprévisible ?
Jean-Louis Archambault tient à rappeler que les différents problèmes découverts dans le programme Séréni’T sont rares et que Bouygues Immobilier met tout en œuvre pour les régler :
« Nous tenons à notre réputation et à la qualité de nos constructions pour nos clients. On l’a reconnu, il y a eu une défaillance d’une des entreprises avec laquelle nous avons travaillé sur ce chantier. Ils n’ont pas respecté les délais ce qui a perturbé l’enchaînement des tâches. Disons que le contrôle du chantier a été plus mobilisé sur le planning que sur un réel contrôle de la construction. Nous avons arrêté de travailler avec eux. »
Bouygues mis en cause ailleurs aussi
Séréni’T, un cas isolé ? Pas si sûr. À Bordeaux, un éco-quartier construit en 2012 par Bouygues Immobilier a vu un de ses balcons s’effondrer en août 2015. On retrouve alors le même scénario qu’à la Robertsau avec des conséquences plus graves : réclamations à répétition contre les malfaçons et des réparations qui traînent. La qualité de la construction est alors remise en question et toujours dans la même logique, le promoteur rappelle qu’il s’agit d’un cas isolé mais prend les mesures nécessaires pour reloger les familles.
Une basse consommation d’énergie qui multiplie les frais
Les propriétaires de la résidence Séréni’T à la Robertsau sont également confrontés à des charges plus élevées que celles qui étaient présentées sur la brochure de Bouygues Immobilier (électricité, chauffage collectif au bois à granulés, entretien…). Le promoteur y mettait en avant le concept de logements à basse consommation grâce au label BBC-Effinergie. Selon le représentant du syndic de copropriété, Gest’Home, en charge à la Robertsau, cette estimation peut poser problème :
« Bouygues a vendu un BBC qui ne doit pas consommer beaucoup. Mais lorsqu’on a dû effectuer le budget des charges pour les résidents, on s’est rendu compte qu’il était presque trois fois plus lourd que prévu. La conséquence, c’est que les travaux qui doivent être effectués tardent puisqu’il n’y a pas le budget : l’entretien, le problème de pompe, d’électricité ou de chauffage. Les charges devraient être régulées autrement et le budget rehaussé à la prochaine assemblée générale, ce qui veut dire plus de charges à payer malheureusement ».
M. Archambault explique l’écart du montant des charges collectives :
« Le problème, c’est qu’on s’engage dans le cadre des conditions du label. Ce qu’il faut savoir, c’est que les données sont calculées sur une base de 19 degrés dans un appartement. Bien sûr que personne ne se chauffe à cette température. C’est pour cela qu’il y a un écart dans le montant des charges la première année car nous avons fait une simple estimation. Après, nous n’avons pas communiqué sur des montants de charges, nous sommes très transparents là-dessus, nous respectons seulement les conditions du label ».
En 2012, dans un autre éco-quartier du Havre, des habitants se retrouvent confrontés à des problèmes similaires : Bouygues construit des logements neufs, sur la vague écologique, avec un label de performance énergétique semblable à celui de la Robertsau et pour les résidents, les malfaçons s’enchaînent.
À Metz, une propriétaire créé même un blog répertoriant les problèmes encourus avec Bouygues immobilier dans son appartement acheté sur plans et le suivi de ses requêtes.
Aujourd’hui, Bouygues immobilier a assuré aux résidents de l’impasse du Hüttwörth à la Robertsau que les travaux nécessaires sur les balcons allaient être effectués et que Jean-Louis Archambault allait se rendre sur place en réunissant tous les propriétaires pour faire le point sur les réclamations.
Quant à Yvonne Von Zeidler, elle devra encore attendre les résultats de la dernière expertise du 8 octobre pour savoir si Bouygues Immobilier ou les entreprises en charge du chantier feront appel à leurs garanties pour le remboursement de son appartement.
Aller plus loin
Sur Rue89 Bordeaux : Gincko, l’éco-quartier qui essuie les plâtres
Le site de l’ADIL Bas-Rhin
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