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A Strasbourg, la photo argentique bouge encore

Les 36 poses sont utilisées, le film rembobiné, reste à le déposer pour développement… Mais où ? Depuis 10 ans, la plupart des boutiques de matériel photo et des laboratoires sont passés au tout numérique ou quasi. Moins de 5 enseignes résistent. Plongée dans un univers un peu has been de résistants pragmatiques et de passionnés d’image.

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Les boîtiers photo argentiques, vendus d’occasion ou récupérés dans un vieux sac photo, sont meilleurs marchés que les appareils numériques (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Pour Pascal Bastien, photographe professionnel, auteur du livre photo Comme neige au soleil et collaborateur occasionnel de Rue89 Strasbourg, outre la qualité de l’image, les deux avantages « grand public » de la photo argentique sont d’abord son faible coût, ensuite l’obligation de faire développer les photos pour les découvrir. Le coût d’abord. Un boîtier, « on en a souvent un à la maison, dans un vieux sac photo ou au grenier », note-t-il. On peut aussi en trouver un pour quelques euros, contre 700 à 1000€ pour un appareil photo réflexe numérique.

Le développement, ensuite. « Les photos, on les développe, on peut les voir, on les met sur un frigo, on en donne à la grand-mère… » Alors que les images numériques restent souvent dans le disque dur de l’ordinateur familial et s’accumulent. « Après Noël, c’est pâques, et puis, on ne s’arrête jamais… » Fin connaisseur du monde de la photo argentique, ou ce qu’il en reste, Pascal nous a guidé dans cet univers désormais parallèle.

Appareils photo argentiques considérés comme obsolètes par leurs propriétaires, à débusquer pour quelques euros chez Emmaüs par exemple (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Boîtiers à 1€ ? Chez Emmaüs ou à la bourse photo

Des caisses pleines chez Emmaüs de boîtiers Olympus, Nikon, etc., de 10 à 15 ans d’ancienneté. Le marché de l’occasion s’est déporté des magasins de photo aux dépôts vente, puis aux brocantes, à mesure que la valeur des appareils a chuté de façon vertigineuse, au cours des années 2000. Chez Emmaüs donc ou dans les vide-greniers, on peut trouver son bonheur pour le prix d’une baguette de pain, mais également sur internet (Ebay, Le Bon coin…) ou dans les bourses photo.

Outre celle de Soultz (68) en mai, organisée par La Focale, la plus importante de la région a lieu au centre culturel Marcel-Marceau de Neudorf à Strasbourg, tous les premiers dimanches de novembre depuis 27 ans – le 2 novembre cette année. Organisée par Frédéric Hoch depuis près de 30 ans donc, cette bourse photo réunit environ 70 exposants, collectionneurs, marchands français ou étrangers. Près de 2000 personnes se déplacent qui pour dénicher un filtre introuvable dans le commerce, qui un boîtier Canon argentique réflexe des années 1975-80 pour une trentaine d’euros, qui un objectif numérique âgé de quelques années. Une exposition est également proposée par le Photo ciné club d’Alsace (gratuite). Frédéric Hoch précise encore :

« Dans cette bourse, la part de l’argentique est encore très importante. Il y a 20 ans, on avait un public de sexagénaires qui cherchaient des appareils pas chers. Aujourd’hui, ces gens ont vieillis, mais des jeunes, amoureux d’appareils anciens, viennent à leur tour pour trouver de l’occasion. On a eu une baisse de fréquentation, mais on arrive à se maintenir. J’en suis surpris et heureux. »

Des boîtiers d’occasion, l’on en trouve aussi chez Spip (pour services et produits pour l’industrie photographique), à Phalsbourg. Pas la porte à côté, mais l’adresse nous est chaudement recommandée par de nombreux interlocuteurs. Et pour cause, Alain Pettmann, le patron, est le dernier dans le secteur à proposer de la réparation de boîtiers argentiques et numériques. Il en aurait des dizaine de milliers à son actif…

Bourse photo Strasbourg, Frédéric Hoch, BP2 67340 à Offwiller. Contact : 03 88 89 39 47 ou fhochcollec@wanadoo.fr / Page Facebook.
Emmaüs Montagne Verte, 5 chemin de la Holtzmatt à Strasbourg. Contact : 03 88 30 48 05.
Spip Photo, 25 route de Sarrebourg à Phalsbourg (Moselle). Contact : 03 87 24 36 63 ou alain@spipphoto.com.

Les films, à la Fnac, chez Photoboutik ou… chez DM

Les pellicules (films) sont de plus en plus rares – Ici, le « musée » à l’entrée de Labo 1000 (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Une fois que l’on possède un boîtier, il faut du… film. Cette pellicule sur laquelle va être capturée l’image, avant d’être développée. Comme pour les appareils photo jetables, pratiques pour les enfants qui partent en classe verte, ces films sont désormais difficiles à trouver à Strasbourg. Les boutiques ont fermé les unes après les autres et les points de vente de type bureaux de tabac ont arrêté de proposer ces produits.

Restent la Fnac avec quelques références seulement (Kodak, Fuji, Ilford, couleur ou noir et blanc, du 24×36, mais aussi du moyen format et de la diapo), mais le responsable du rayon est sympa et très bien renseigné. Selon lui, « la Fnac a basculé très vite dans le numérique ». Il est encore possible de faire développer ses photos via la Fnac, qui les envoie côté allemand, chez le géant CEWE Color.

Des pellicules sont disponibles également chez DM, à Kehl, sur un tout petit présentoir à l’entrée, ou chez Photoboutik avenue des Vosges. Dans cette dernière enseigne, qui propose également des développements argentiques (voir plus loin), l’accueil est néanmoins très désagréable.

• La Fnac (Maison rouge), 22 place Kléber, à Strasbourg. Ou sur www.fnac.com
Photoboutik, 55 avenue des Vosges à Strasbourg. Contact : 03 88 25 11 89 ou photoboutik.55@wanadoo.fr

Développement sur place, la denrée rare

Les négatifs peuvent être numérisés chez Photographys ou Labo 1000 (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Le développement argentique des négatifs se fait encore chez Photoboutik, au centre-ville, qui numérise ensuite avant tirage. Avant que sa collègue ne nous jette dehors, le responsable de ce magasin ouvert en 1997, Thierry D’Amico, explique :

« Avec la concurrence des labos et l’avènement du numérique, le volume en films a chuté en 2003-2004. On les traite encore avec des machines [ndlr, pas manuellement en chambre noire] pour 20 à 30% du volume. Il y a un retour de tendance ces 2 dernières années. Le noir et blanc redevient populaire, dans les écoles d’art par exemple. L’argentique revient plus cher, 5-6€ la pellicule plus 15-20€ le développement d’un 36 poses, mais ça a son charme. On redécouvre le plaisir d’attendre, l’effet de surprise, de s’appliquer pour prendre une photo, d’étudier son déclenchement, pour une fête de famille, un mariage… »

A Cronenbourg, Fabrice Boehmann ne vise pas le même public. Photographys est une petite entreprise nichée dans un immeuble du début de la route d’Oberhausbergen, à Cronenbourg (station Saint-Florent), sans pas-de-porte. Sa cible, les professionnels de l’image, qui exposent ou vendent leurs tirages d’art. Progressivement, les amateurs avertis, les institutions (ENA, Opéra…) et photo clubs se sont tournés vers lui, puis quelques particuliers, passionnés de photo. Aujourd’hui, l’argentique ne représente plus que 5% de l’activité de Fabrice. « Une micro-niche », confie-t-il. Pour lui, l’argentique « n’a plus qu’un intérêt philosophique ». Il développe :

« Le numérique est de plus en plus performant, on peut retoucher, envoyer les images très rapidement. Un autre point déterminant, c’est l’aspect polluant du développement. Avec le numérique, on n’a plus à gérer les eaux de lavage et les produits chimiques et les images peuvent être dupliquer à l’infini. Pour les professionnels, le virage, c’est 1995… »

Photographys propose néanmoins toujours du développement de négatifs couleur ou de noir et blanc, leur agrandissement ou leur numérisation (si besoin, après retouche). Tout est sur devis, les prix varient en fonction de la définition, des retouches et du format. A noter qu’à Kœnigshoffen, une jeune photographe, Camille Bonnefoi, propose la location de chambres noires pour développer ses photos manuellement, dans un cadre associatif (Simago), ainsi que des cours de photo et des stages (les prix).

• Photographys, 3D route d’Oberhausbergen (Cronenbourg, à côté du cimetière juif), à Strasbourg. Contact : 03 88 27 06 00.
• Association Simago, 32 route des Romains à Strasbourg (Koenigshoffen, arrêt Saint-Gall). Contact : 03 88 16 05 16 ou asso.simago@gmail.com

Pour les diapos, Labo 1000 est le dernier

Jean-Jacques Strauss de Labo 1000 à Schiltigheim est le dernier à développer les diapositives (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Dernier labo à Strasbourg qui pratique le développement de négatifs couleur en plongée (sans rouleau mécanique qui touche le film), Jean-Jacques Strauss est également le seul désormais « sur tout le grand Est » à proposer le développement sur place des diapositives, « un produit en désuétude, qui reste pourtant extrêmement beau ». Son atelier, Labo1000, installé dans une courette dans le vieux Schiltigheim depuis 1985, s’adressait d’abord aux professionnels et aux artistes.

Puis, dans les années 1990, Labo1000 s’est ouvert à une clientèle de passionnés de diapositives, avant de s’adresser à un public plus large d’amateurs au tournant des années 2000, quand les professionnels ont basculé dans le numérique. Comme ses collègues, Jean-Jacques Strauss fait les deux, numérique et argentique, mais ne sous-traite rien à l’extérieur. Chez lui, l’argentique représente toujours 50% de l’activité. Il affirme :

« Après une phase de destruction amenée par le numérique, la photo argentique entre dans une phase de reconstruction. Les gens qui la pratique le font de manière épicurienne, plus pensée, avec du moyen format (6×6, 6×7, 6×9…) par exemple. Comme ils investissent du temps dans cette photo, il leur faut un interlocuteur qui prolonge cette réflexion en terme de qualité de développement, un artisan qui comprenne la notion d’écriture que le photographe met dans sa photo. »

Jean-Jacques Strauss ne se fait pas d’illusion. « L’argentique ne reprendra jamais. » Néanmoins, « on est arrivé à un palier. Si l’industrie [ndlr, les producteurs de pellicules et de boîtiers] trouve un modèle économique pour s’adapter aux nouveaux volumes et à une demande de niche, au même titre que les couverts en argent sur les listes de mariage, on peut encore gagner de l’argent avec l’argentique. »

Labo1000, 4 rue de la Bonde à Schiltigheim. Contact : 03 88 81 10 24 ou labo.1000@wanadoo.fr

Ailleurs, l’argentique en bas à droite du rayon

Papier photo argentique Ilford, en vente chez Objectif Austerlitz à la Krutenau (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Chez Objectif Austerlitz, à la Krutenau, spécialisé dans le numérique haut de gamme et professionnel, un tout petit rayon est encore dédié au matériel de développement (chimie, papier, cuvettes, pinces, révélateur, fixateur…). Mais pour les films et les boîtiers, on repassera. Tout est sur commande. Jean-Paul Truttmann, qui a créé le magasin en 1992, a décidé de passer au tout-numérique ou presque au début des années 2000. Revendeur et non développeur photo, le commerçant propose à ses rares clients toujours à l’argentique (moins de 1% de son chiffre d’affaires, « insignifiant, complètement marginal ») de faire développer leurs photos noir et blanc « dans l’ouest de la France », la couleur en Allemagne. Le patron d’Objectif Austerlitz note encore :

« Les clients intéressés par ces produits sont des passionnés, des clubs photo, des écoles qui proposent du développement en travaux manuels ou des mairies. Aujourd’hui, on fait un peu d’argentique pour découvrir la photo, mais il y a bien plus de possibilités avec le numérique, qui permet de voir les photos tout de suite, de les améliorer avec des tas de logiciels… »

Une à deux fois par an, Objectif Austerlitz vend un boîtier argentique neuf, Nikon ou Leica, disponibles uniquement sur commande.

Objectif Austerlitz, 22 rue d’Austerlitz (Krutenau) à Strasbourg. Contact : 03 88 35 56 56.

La percée fashion, les « Lomo »

Lomography, l’appareil argentique tout-plastique qui fait des photos fun (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Le renouveau de l’argentique viendra peut-être de là. Aux antipodes d’un magasin de photo, Good Vibes, boutique de fringues à la mode, installée Grand-rue à Strasbourg, propose depuis quelques temps des appareils photo argentiques tout-plastique, au design rétro et aux couleurs flashy. Ces appareils sont neufs, fabriqués par la société Lomography, et conquièrent un public jeune qui n’a pourtant connu que la photo numérique. Le positionnement marketing de la marque promeut la spontanéité, l’expérimentation visuelle (fisheye, quadri format…) et les filtres couleur. Une photo décomplexée que résume la devise de Lomo : « Ne réfléchis pas, shoote » (tire*). Prix de l’appareil en fonction du modèle, entre 60 et 150€ environ.

Good Vibes, 66 Grand-rue, à Strasbourg. Contact : 03 88 23 28 56.


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