Est-ce qu’on va pouvoir sauver Internet avec la blockchain ? La question est d’importance car oui, l’Internet est en danger. De plus en plus contrôlé par des acteurs supra-nationaux qui imposent leurs écosystèmes (citons Google, Facebook, Apple…), l’Internet des origines, libre, partagé et ouvert, semble chaque jour céder du terrain. En cause : la sécurité des systèmes et des échanges. Et c’est justement la promesse de la blockchain : un moyen de sécuriser les données, les échanges, et attention : sans tiers de confiance. Grâce à un système de preuve, infalsifiable car vérifiée et stockée par des milliers d’utilisateurs.
De l’internet des objets à l’internet des humains
Pour Primavera de Filippi, chercheure au CNRS, le principal apport de la blockchain va permettre de passer de l’Internet des objets à l’Internet des humains :
« Il nous est encore très difficile de collaborer à grande échelle sans passer par un opérateur de confiance. C’est pour ça qu’on se retrouve avec de nouveaux intermédiaires, Facebook, Uber, AirBnb, qui s’approprient la valeur créée par la collaboration de millions de personnes. La blockchain permet à des personnes de collaborer sans intermédiaire de manière décentralisée et globale. Comme il n’y a plus d’intermédiaire, la valeur créée peut être distribuée de manière beaucoup plus équitable entre tous ceux qui ont participé à la création de cette valeur. On se dirige alors vers une société axée sur des valeurs de partage, de coopération et de désintermédiation. »
Rue89 Strasbourg : Timothée Brugière, vous êtes issu d’un laboratoire de physique du CNRS pour développer une solution sécurisant la chaîne logistique, grâce à la blockchain. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Timothée Brugière : Nous avons fondé la société Transchain, à Strasbourg, parce qu’il nous semblait que la technologie blockchain était particulièrement bien adaptée pour certifier toutes les informations attachées à une livraison. C’est pourquoi depuis un an, nous développons notre propre blockchain, qui sera partagée et publique. Ce qu’on vendra, ce sera des jetons d’accès à cette blockchain. Actuellement, assurer un suivi d’un colis de bout en bout coûte 6 à 8€. Avec la blockchain, nous prévoyons de faire tomber ce coût à moins d’un euro.
Mais comment ?
Je ne vais pas vous dévoiler tous nos secrets de fabrication. Mais disons que la blockchain est une technologie décentralisée, les calculs et le stockage sont répartis entre tous les utilisateurs. Autrement dit, nos clients seront aussi dépositaires de la blockchain qu’ils utiliseront. Autre avantage, la technologie permettra une traçabilité bien plus efficace des colis. Vous vous souvenez qu’il avait fallu 15 jours pour retracer les oeufs contaminés au fipronil ? Eh bien avec la blockchain, il sera très simple de retrouver par où est passé chaque oeuf, depuis la ferme jusqu’à l’usine ou l’épicerie, et immédiatement. En outre, il est tout à fait envisageable de penser des « clés » spéciales pour que les agences sanitaires aient accès aux informations rapidement…
« La blockchain réconcilie les échanges numériques avec la réalité »
Peut-on vraiment avoir confiance en une technologie où tout le monde a accès aux informations ?
Alors dans la blockchain, on ne parle pas de confiance mais de preuve. La blockchain certifie que des informations sont correctes, réelles, non altérées ni copiées. Et ce qui le certifie, c’est justement les « validateurs », qui stockent des copies de la blockchain un peu partout. Autrement dit, si vous l’altérez, elle n’est plus conforme et elle est rejetée. Il est extrêmement difficile, voire impossible, de modifier toutes les copies du registre qui existent en même temps. C’est ce qui sécurise les informations. Reste que ces informations, si elles circulent librement, sont cryptées. Pour y accéder, il faut fournir les bonnes clés de décryptage.
Que peut-on attendre de la blockchain comme avancées sociales ?
Par nature, la blockchain permet de créer des « sociétés autonomes. » C’est à dire qu’on peut coder des « lois » et instaurer un système d’échanges sécurisé, on peut l’utiliser pour quantifier des biens mais aussi des votes par exemple. Donc la blockchain réconcilie les échanges numériques, rapides et quasiment gratuits, avec la réalité, vérifiable et mesurable. C’est une surcouche d’Internet, la technologie qui va s’intercaler partout, avec l’Internet des objets et l’intelligence artificielle. Il est à espérer que la blockchain permette de résoudre les questions d’identité sur Internet par exemple. Elle pourra aussi permettre à l’Internet non marchand de créer un écosystème sécurisé et certifié.
Est-ce qu’on n’en fait pas un peu trop avec la blockchain ?
C’est sûr que c’est un peu le buzzword du moment… Pour l’instant, la blockchain a surtout été utilisée dans les marchés financiers et sa première application, la monnaie virtuelle Bitcoin, a déjà 10 ans. Mais elle montre ses limites : les volumes de calculs nécessaires pour sécuriser les échanges engloutissent l’énergie nécessaire pour éclairer le Portugal par exemple… Il est évident qu’on ne peut pas continuer comme ça. La blockchain doit encore évoluer pour consommer moins de ressources, d’énergie et de mégaoctets. Mais dans deux ans, je suis persuadé que tout le monde aura eu à interférer avec une blockchain dans sa vie de tous les jours, consciemment ou non.
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