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Cinq choses que nous retenons de notre année « sans objet et sans déchet »

Notre famille s’était engagée à n’acheter aucun objet matériel et à ne produire aucun déchet non-recyclable pendant un an. Cette aventure s’est terminée le 31 août 2018. Quels enseignements en tirons-nous ? Quels écueils avons-nous franchis ou ont été pour nous insurmontables ? Comment nous projetons-nous dans les semaines, mois et années à venir sur ces questions de déchets et de consommation ? Bilan en cinq points des grandes lignes de nos réflexions familiales.

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Un an déjà ! En septembre 2017, notre famille de deux adultes et deux enfants, âgés aujourd’hui de 8 et 10 ans, se lançait dans une aventure pas banale : n’acheter aucun vêtement, livre ou matériel d’aucune sorte pendant une année et, dans le même temps, opter pour une alimentation et une hygiène 100% zéro déchet non-recyclable (ZD). C’est le défi « sans objet, sans déchet » (SOSD).

Chaque mois, nous avons publié sur notre blog un « poubellomètre », indiquant le poids de nos poubelles de déchets recyclables : compost, papier-carton-métal (poubelle jaune à Strasbourg) et verre. Aucune autre poubelle n’a été descendue de notre appartement, situé au 3ème étage d’un immeuble tout à fait classique de la Robertsau, à Strasbourg.

Question qui nous a été posée : « Ah bon ? Mais, où sont donc passées vos poubelles ? Vous les avez toutes gardées à la maison ? ». Éclat de rires et explications, que nous avons égrainées à l’occasion de nombreuses rencontres et conférences publiques, dans les médiathèques, au Marché de Noël Off, à l’invitation de partis politiques ou d’associations engagées sur ces questions de déchets et de modes de consommation.

Conférence à la médiathèque de Neudorf – Printemps 2018 (DR)

Non, aucun sac ne s’est entassé à la maison, nous n’avons tout simplement pas produit plus d’une dizaine de kilos de déchets non-recyclables en un an.

Les échanges lors de ces rencontres ont été très riches et la « médiatisation » de notre démarche a été un puissant moteur pour persévérer dans une voie à rebours de notre société de croissance, qui pousse tous et chacun à renouveler ses objets à un rythme effréné, à s’alimenter dans les supermarchés et à confondre plaisir et bonheur, achat et épanouissement social et personnel.

1 – Alimentation et hygiène zéro déchet : renoncements consentis, santé dans la sobriété et petits pêchés

Sur le chapitre des produits alimentaires et d’hygiène, qui nous étaient autorisés dans notre charte, l’affaire a nécessité un peu d’entrainement et de rodage dans les premiers temps, avant de rouler sans trop de difficultés par la suite. Nous avons renoncé à certains aliments, impossibles à trouver facilement en vrac et bio, comme le beurre et la crème, le tofu ou les biscuits. Par facilement, entendons dans des commerces à proximité de chez nous, à des prix accessibles ou sur des marchés tenus les jours où nous sommes disponibles pour cette activité (mardi et samedi).

Il a été possible de remplacer ponctuellement certains produits emballés dans du plastique par leurs équivalents en contenants recyclables ou en vrac, comme les algues, le poisson, la levure de bière, le savon et le shampoing solides, les légumes et les fruits, les céréales, etc.

D’autres ne nous ont pas satisfaits dans leur version recyclable, j’ai nommé par exemple : les brosses à dents et le dentifrice. Entre acheter de l’argile blanche emballée ou un tube tout prêt, une brosse à dents en bambou (avec poils en nylon) vite usée et une en plastique que je peux nettoyer au vinaigre et conserver beaucoup plus longtemps, nous avons fait notre choix. Sans compter les cris d’orfraie de Simon au contact du dentifrice fait-maison avec sa douce muqueuse buccale, elle qui n’aime que le dentifrice industriel au goût « fruité » (no comment).

On a testé les options ZD, avant de revenir au plastique (Photo SOSD)

Bien sûr, nos options alimentaires (brut, en vrac, local et bio) ne conviennent pas à tout le monde. Cuisiner nécessite un investissement en temps, faire ses courses en plusieurs endroits aussi. Des options écologiques, mais également des options « santé » (moins de sucre, moins d’additifs, de produits transformés, de graisses saturées, etc.) et des options sociétales, qui remettent l’alimentation au cœur du budget et du temps familial et font de l’approvisionnement auprès de producteurs locaux un acte politique et un engagement à portée collective.

Nous sommes néanmoins restés gourmands et compulsifs, les jours de fatigue, de tentations, de vacances. Ce qui veut dire parfois écarts, voire grands écarts. Très sérieux pendant plusieurs mois, ne consommant plus ni viande rouge, ni sucreries, ni alcool, ni tabac (gros pourvoyeur de déchets !), nous avons un peu ripé chez les amis ou pendant les vacances : andouille, palets bretons et (quelques) cigarettes sont venus entacher nos belles résolutions. Lâcher prise qui n’a en rien entamé notre détermination à « surveiller » ces tendances à la facilité qui ne nous apportent qu’un plaisir éphémère (mais quel plaisir !) et, en plus de remplir nos poubelles, entament notre capital santé.

2 – Les déchets : ce qui peut être évité doit continuer à l’être

Certes, au démarrage de notre expérience, nous « pratiquions » le zéro déchet depuis plusieurs années. Aucun produit à usage unique, par exemple, ne passait plus la porte de notre appartement depuis longtemps… Mouchoirs en tissu, lingettes lavables pour les WC, torchons et lavettes microfibres en cuisine, serviettes hygiéniques lavables ou vaisselle de camping en inox avaient déjà remplacé leurs équivalents jetables, mouchoirs en papier, papier toilettes ou absorbant, lingettes jetables, tampons et serviettes hygiéniques jetables ou vaisselle en plastique.

Matériel ZD au quotidien, en week-end, au travail… (Photo SOSD)

Restaient néanmoins un certain nombre d’emballages alimentaires, films plastiques autour de certains fromages, pots de crème ou de fromage blanc, barquette de ravioles, emballage de pâtes, riz ou quinoa, etc. Après un an sans, force est de constater qu’à Strasbourg, les alternatives se multiplient dans les magasins bio sous forme de petites ou moyennes surfaces (Biocoop aux Halles et à l’Hôpital civil, Naturalia au centre-ville et au Conseil des Quinze, BioClaire à la Robertsau, Maison Vitale à la Petite France…) ou dans les magasins de vrac (BeeVrac à Cronenbourg, Day by day à Neudorf ou Le Bocal à la Krutenau).

Sur le front des recyclables, il y a matière à raconter, mais nous nous en tiendrons à l’adage suivant : moins, c’est mieux. Après une visite à l’usine de tri des déchets au Rohrschollen, nous reconnaissons la nécessité de développer cette filière – seuls 50% des Eurométropolitains trient leurs déchets, avec environ 20% d’erreurs de tri. Néanmoins, le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas, tant les ressources en matières premières ou en énergie sont rares et chères.

A l’usine de traitement des déchets recyclables de l’EMS, au Rohrschollen (Photo SOSD)

Conclusion : plus question pour nous de remplir une (certes petite) poubelle par semaine d’emballages inutiles. À la demande d’Alice et de mon mari Marc, qui craignent que nous ne retombions dans nos habitudes anciennes, nous conserverons nos bacs individuels au moins un an encore. « C’est motivant », disent-ils. Ensuite, nous adopterons peut-être le grand bocal en verre, façon « Famille presque zéro déchet ». À voir.

3 – Pas d’achat matériel : toucher du doigt nos « vrais » besoins

Il y a un an, il était question pour nous de limiter drastiquement nos dépenses après un achat immobilier, tout en nous mettant plus complètement en cohérence avec nos idées et nos valeurs dans nos comportements d’achats au quotidien. Tout au long de l’année, nous avons fait avec ce que nous avions, quitte à porter toujours les mêmes vêtements ou à profiter des dons amicaux en textiles pour enfants, par exemple.

Sur le plan du « matériel », vaisselle, ustensiles en tous genres, mobilier ou bibelots, nous avons bricolé avec ce que nous avions en magasin, quitte à parfois transiger pour réaliser un nécessaire bricolage. Là où les choses se sont corsées, c’est en matière de livres. Nous avons certes fréquenté au maximum les médiathèques, essentiellement pour les enfants, et emprunté des livres aux amis, mais j’ai pour ma part bien trop abusé de mon « exception de formation ». J’ai acheté des livres tout au long de l’année et plus encore au mois d’août, pour nous quatre, alors que nous n’avions pas suffisamment anticipé en bibliothèque avant de partir en vacances.

Nos « vrais besoins », ce sont aussi les enfants qui grandissent, qui doivent s’habiller, se cultiver, qui vivent dans une société de consommation difficile à complètement court-circuiter. Simon a plus souffert d’éventuelles restrictions que sa sœur, plus fasciné qu’il est par la nouveauté en matière de jouets (les « saisons » Lego…), de modes à l’école (toupies, cartes Pokemon…), mais tous deux ont pu profiter des cadeaux de leur papa, mamies, amis, sans que nous n’intervenions au-delà des déchets produits, qui se sont retrouvés de temps en temps dans leur petite poubelle à la maison.

4 – Hors de chez soi : petits arrangements en famille et entre amis

Hors de chez soi, comme ces mois d’été, l’exercice SOSD a été moins évident. Loin de nos bases, loin de nos commerçants, de nos médiathèques, de nos habitudes, nous avons recommencé, pour ainsi dire, à vivre « normalement », achetant quelques t-shirts et bouquins. Comme nous nous le sommes permis ces six derniers mois environ, nous également avons acheté de temps à autre, à l’extérieur de chez nous, des aliments emballés, pour nous faire plaisir ou faire plaisir à nos amis : une belle motte de beurre aux algues (miam), une charcuterie paysanne sous vide, une boîte de chocolats.

Dans un autre registre, alors que nous refusions les serviettes en papier, les pailles ou tout autre produits jetables au restaurant, au café, en terrasse, etc., durant les premiers mois du défi, nous avons finalement lâché la rampe en cours de route, fatigués de devoir en permanence expliquer le pourquoi du comment à des serveurs peu amènes, ou maintenir une attention constante, dans des contextes de déjeuners et autres occasions de sociabilité professionnelle.

Buffet pro pour Marc : manger ZD, c’est manger du pain (Photo SOSD)

Nos amis ont plutôt bien joué le jeu, emportant leurs poubelles après un séjour chez nous, ne nous offrant (presque) aucun cadeau neuf, apportant des victuailles zéro déchet aux apéros, le cas échéant. La famille a plus souvent questionné l’intérêt de notre démarche, la considérant au mieux amusante, au pire inutile et frustrante. Le sentiment d’avoir transmis des idées positives, d’avoir insufflé une envie de changement, à de rares exceptions qui se reconnaîtront, s’est bien plus manifesté lors des rencontres publiques que dans nos cercles proches. Sans regret, notre petite musique portera peut-être ses fruits plus tard…

5 – Et maintenant ? Le « sans achat » appliqué à nos vies futures

Il va sans dire que nous ne courrons pas dans les boutiques de fringues made in China le 1er septembre. Nous avons néanmoins quelques achats à faire, déjà commencé avec les soldes fin juillet : vêtements pour enfants, quelques sous-vêtements et vêtements à renouveler pour nous, de quoi bricoler un peu dans le camping-car et l’appartement.

Ces achats à venir se feront à coup sûr après mûre réflexion. Pas question de foncer à la librairie s’acheter des romans qui prendront ensuite la poussière, à part peut-être quelques polars dans la nouvelle librairie qui ouvre ses portes à la Krutenau début septembre. Pas question non plus de stopper cette nouvelle tradition familiale des « cadeaux expériences » qui nous a tant plu cette année. Dernière en date : Alice a fêté ses 10 ans cet été et s’est fait percer les oreilles pour tout cadeau (de notre part). Elle en a été plus que ravie, elle qui réclamait à grands cris des boucles d’oreilles depuis plusieurs années !

Poubelles de Marc et Marie après 11 mois « sans déchet » (Photo SOSD)

Les enfants sont partants pour mixer ces moments passés ensemble avec des objets utiles ou de déco pour leur chambre, lampe de bureau, réveil-matin, moustiquaire façon baldaquin, abandonnant progressivement les envies de nouveaux jouets à tout prix. Plus question pour nous, adultes, en revanche, de revenir à des cadeaux matériels inutiles. Restaurants, week-ends en amoureux ou en famille, activités originales, nous ont largement ravis.

Plus question non plus d’aller se « balader en ville » ou de « faire du shopping ». Les achats, quand il y en aura, seront ciblés et réfléchis, les dépenses impulsives remisées pour longtemps. Je sais que les habitudes, surtout les mauvaises, reviennent généralement au galop. Mais nous serons ensemble pour nous serrer les coudes et nous « surveiller ».

Et, idée soumise par Alice, pourquoi pas une année sans achat tous les deux ans ? C’est son frère qui va être content ! D’ici là, nous vous proposons de vous raconter notre expérience autour d’un apéritif au jardin d’Apollonia, vendredi 7 septembre.


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