Ce matin de mars, huit stagiaires sont au rendez-vous dans les locaux strasbourgeois de l’association SOS France Victimes 67, pour la quatrième et dernière journée de leur formation d’animateurs de rencontres condamnés-victimes. Cette mesure de justice restaurative, enclenchée sur la base du volontariat à l’occasion d’une procédure pénale classique, offre à des victimes et auteurs du même type d’infraction, mais jamais de la même affaire, un espace de dialogue sécurisé. Elle peut se tenir en détention ou en milieu ouvert, selon les auteurs concernés.
Autour de la table, des juristes de l’association Thémis, soutien juridique aux enfants et aux jeunes, ainsi qu’une conseillère du service de contrôle judiciaire et d’enquête, association d’accompagnement des personnes sous contrôle judiciaire, sont venus se former. Elles pourront donc ensuite renseigner leurs publics sur les mesures qu’elles pourraient leur proposer. Françoise Muller, Jean-Luc Gries et Nicole B., trois bénévoles récents de l’association hôte, SOS France Victimes 67, se sont invités aux côtés de ces professionnels, bien décidés à devenir les petites mains du déploiement de la justice restaurative dans leur région.
Au bon endroit, au bon moment
Après sa consécration dans la loi dite Taubira de 2014 sur l’individualisation des peines de justice, la lente mise en œuvre de la justice restaurative en France a été freinée par la crise sanitaire du covid. SOS France Victimes 67 a signé, en septembre 2023, une convention avec le tribunal de Saverne, aux côtés de sept autres partenaires du milieu judiciaire, pour mener des mesures dans sa juridiction.
En 2023, le film Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry, a révélé au grand public les aventures humaines de deux mesures de justice restaurative : individualisée et en groupe. Après ce succès, l’Institut français de justice restaurative (IFJR) compte aujourd’hui en France plus de 600 personnes inscrites dans l’attente d’être formées à des missions bénévoles. Jean-Luc Gries, Nicole B. et Françoise Muller se sont portés volontaires, au bon endroit et au bon moment. Avec une douzaine d’autres bénévoles, ils ont déjà pu se former il y a quelques semaines au rôle de « membre de la communauté », tiers neutre représentant la société civile lors des rencontres de groupe. Il s’agit de personnes qui pourront assister les animateurs de ces rencontres, en étant présents pour les participants. Tous les trois ont saisi l’opportunité de cette nouvelle formation pour se préparer à animer eux-mêmes des rencontres.
Le film, un électrochoc
Nicole B. s’engage dans cette première expérience de bénévolat avec confiance :
« Je suis hyper-motivée. Ce n’est pas pour m’impliquer quand j’ai le temps. Je suis prête à bosser. Au cours de ma carrière dans l’éducation nationale, j’ai accompagné des élèves puis des professeurs en difficulté. Après mon départ en retraite en 2015, j’avais le désir de faire de la médiation auprès d’un tribunal, mais je manquais de bagage juridique. Le film a été un électrochoc.
J’aime l’idée d’accompagner le cheminement des personnes plutôt que de rechercher des solutions. J’ai trouvé l’IFJR sur Internet et j’ai été rappelée quelques mois plus tard pour rejoindre SOS France Victimes 67. Je suis heureuse de participer au commencement du dispositif. Jusque-là, tout s’est mis en place rapidement et je sens une volonté commune que ça continue. »
« Non jugement », « écoute », « disponibilité« … Françoise Muller, chargée de communication de 53 ans, s’est reconnue dans les qualités requises pour faire vivre la justice restaurative :
« Je me sens en mesure de distinguer la personne de l’acte qu’elle a pu commettre. J’essaie toujours de comprendre plutôt que de juger. »
Informer les publics
Ce matin, le groupe de stagiaires balaie les procédures des étapes qui jalonnent la mise en œuvre d’une rencontre de groupe. L’association SOS France Victimes 67 accueille une formatrice de l’IFJR, Eulalie Spychiger. Cette dernière encourage ses stagiaires à prendre à cœur la première phase, celle de l’information des publics :
« Pour pouvoir réunir trois ou quatre victimes et trois ou quatre auteurs, il faut en avoir informé beaucoup plus, d’autant qu’on peut en perdre ensuite dans la phase de préparation. Partout, on sort les rames. L’idéal est de constituer des listes d’attente. »
Jean-Luc Gries, jeune retraité, a d’ailleurs prêté main forte à son association pour contacter des victimes et les informer par téléphone sur leur droit à solliciter une mesure de justice restaurative. SOS France Victimes 67 et ses partenaires recherchent actuellement des victimes et auteurs volontaires en vue d’une première rencontre détenus-victimes dans la juridiction du tribunal de Saverne, au centre de détention d’Oermingen, dans le courant de l’année 2024. Violences sexuelles, vols avec violence… Ils sélectionneront le type de délit en fonction des besoins exprimés. « Tant que le groupe n’est pas arrêté, on ne fait jamais de promesses », insiste Eulalie Spychiger.
Pour Jean-Luc Gries, ancien médecin, la proposition « répond à un réel besoin » :
« La justice restaurative rejoint mes valeurs. Je perçois une carence en communication dans notre société et j’ai le sentiment que le manichéisme ne répond pas à tout. Tout n’est pas fini après un procès, en particulier pour les victimes, d’où l’intérêt de cet espace de dialogue pour apaiser les gens. »
Sécuriser
Une fois les volontaires identifiés, les animateurs de justice restaurative vont suivre des phases de préparation : jusqu’à cinq rencontres des deux animateurs avec chacun des participants pour définir leurs attentes, désamorcer les projections, poser ses limites. Cette mobilisation des intervenants peut s’étaler sur une année entière.
Françoise Muller a posé des congés pour être présente ce matin et se tient prête à donner le temps qu’il faudra. Elle comprend à travers le détails de ces formations que la justice restaurative est une démarche entièrement sécurisée :
« La notion de sécurité est très importante. C’est ultra préparé. Rien n’est laissé au hasard. Tout est fait pour protéger tous les participants. Chacun peut se retirer quand il le veut. »
Après les entretiens de préparation, viennent enfin les rencontres des sous-groupes d’auteurs et de victimes, puis du groupe entier qui va se rassembler au cours de cinq rendez-vous hebdomadaires. Les deux animateurs ne seront plus dès lors que les gardiens du cadre.
Accueillir les émotions
« C’est à ce stade que les membres de la communauté entrent en jeu pour accueillir les émotions », retient Nicole B., après sa récente formation à cette mission prioritaire pour les bénévoles.
Les membres de la communauté interviennent par deux. Ils connaissent le type d’infraction qui réunit le groupe mais, contrairement aux deux animateurs qui ont préparé les rencontres, n’ont aucune information sur les parcours des participants. Leur mission est de maintenir un climat sécurisé et empathique avec les deux parties, dans une posture de « tampon ». Dans le cercle de parole, ils se placent ainsi de manière à ce que victimes et auteurs ne soient pas assis côte à côte. Au cours de la pause conviviale, ils s’insèrent dans les échanges et veillent à ce que des alliances de petits groupes ne se forment pas.
Nicole B. justifie :
« Cet accompagnement est limité dans le temps. C’est un espace pour cheminer ensemble mais contrairement à ce que l’on voit dans le film, il n’est pas souhaitable que les participants créent des liens et se revoient ensuite. »
Lors de leur récente formation de membres de la communauté, les mises en situation ont poussé les bénévoles dans leurs retranchements. Françoise Muller raconte :
« Le formateur nous a posé des questions très frontales. Or un membre de la communauté n’est pas là pour parler de lui. Il a joué quelqu’un qui n’arrêtait plus de pleurer. Est-ce qu’il y a des limites dans les gestes ? Peut-on, peut-être, mettre une main sur l’épaule ? Il suffit souvent de donner un mouchoir ou de proposer un verre d’eau, d’être présent plutôt que de chercher à consoler. »
Patience
Eulalie Spychiger assure que la justice restaurative est ouverte à tous les profils de bénévoles, à condition d’être dans une démarche la plus désintéressée possible et ne venir ni avec sa casquette de professionnel ni par curiosité.
« Je ne m’engage pas là-dedans pour m’occuper mais je me tiens prêt pour le moment où on me proposera quelque chose », consent Jean-Luc Gries.
La formation pratique certifiante à l’animation n’est pas programmée pour cette année. La rencontre en centre de détention projetée en 2024 doit être encadrée par des professionnels déjà formés. Seuls deux des quinze bénévoles préparés au rôle de membre de la communauté pourront y contribuer. Ils seront choisis en fonction de leurs possibilités de contrebalancer les profils et les personnalités des participants volontaires.
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