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« Bataille du siège » du Parlement européen : Strasbourg perd un point

Nouvel épisode dans la « bataille du siège » du Parlement européen, qui oppose les défenseurs de l’institution à Strasbourg à ceux qui se satisferaient tout à fait d’un siège unique, non pas en Alsace mais à Bruxelles. La Cour de justice de l’Union européenne a rendu mardi un arrêt donnant tort à la France, qui maintenait que le budget européen devait intégralement être voté à Strasbourg. Il n’en fallait pas plus pour relancer un débat déjà houleux.

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Mardi 2 octobre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a infligé un sérieux revers à Strasbourg et à tous ceux qui soutiennent le siège alsacien du Parlement européen. Les juges de Luxembourg ont en effet décrété que le Parlement européen pouvait exercer une partie de ses pouvoirs budgétaires à Bruxelles, au lieu de Strasbourg, si des impératifs liés au bon fonctionnement de la procédure budgétaire l’exigent.

La France demandait à la CJUE d’annuler plusieurs actes du Parlement européen relatifs à l’adoption du budget général de l’Union pour l’exercice 2017, car elle maintenait que les débats en deuxième lecture sur le projet commun de budget annuel, le vote du Parlement sur ce projet et l’acte du président du Parlement constatant l’adoption du budget annuel pour 2017, auraient dû intervenir lors d’une session plénière ordinaire du Parlement à Strasbourg, et non lors de la période de session plénière additionnelle qui s’est tenue à Bruxelles les 30 novembre et 1er décembre 2016.

Priorité au budget sur… le reste

Son argumentaire : il faut respecter à la lettre le « protocole sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne » selon lequel « le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » Pour la France, ce texte aurait dû conduire le président du Parlement à attendre la période de session ordinaire suivante, à Strasbourg, pour constater l’adoption définitive du budget annuel pour 2017.

La Cour de justice de l’UE a infligé un sérieux revers au siège du Parlement européen à Strasbourg (Photo G. Fessy / CJUE / cc)

Mais la Cour ne l’entend pas de cette oreille : si elle rappelle bien l’importance dudit protocole sur le siège des institutions, insistant sur le fait qu’il fait partie intégrante des traités, elle ne voit pas d’objection à ce que, « si des impératifs liés au bon déroulement de la procédure budgétaire l’exigent », le budget annuel soit « débattu et voté lors d’une période de session plénière additionnelle à Bruxelles. » Et c’est ce qui s’est passé avec le budget 2017. Dès lors, pour la CJUE, le Parlement européen était en droit de l’adopter à Bruxelles, en deuxième lecture. Et Antoine Briand, attaché de presse à la Cour, de revenir sur la position prise par les juges de Luxembourg :

« Ils ont avant tout pris en considération la procédure budgétaire, afin qu’elle soit menée à bien. D’autant que la France ne demandait pas que le budget soit annulé. Donc ils ont donné priorité au budget, sur tout le reste. »

Coup dur pour Strasbourg

Sans surprise, l’eurodéputée alsacienne Anne Sander, membre du Parti populaire européen (le PPE, à droite dans l’hémicycle), a très mal accueilli ce jugement :

« C’est un coup dur porté à Strasbourg, cœur de l’Europe démocratique et citoyenne. Je regrette cette interprétation réductrice des traités. Néanmoins, le combat continue. Je reste mobilisée contre toutes les formes d’attaques à l’encontre de Strasbourg. »

Celles-ci, évidemment, ne se sont pas faites attendre. A la tête d’une campagne pour un siège unique, sa collègue Anna Maria Corazza Bildt, pourtant issue du même groupe politique, n’a pas tardé à monter au créneau :

« Cet arrêt montre clairement que le pouvoir législatif du Parlement européen – y compris le pouvoir budgétaire – ne peut pas être réduit à un vote en plénière. Les aller-retours entre Bruxelles et Strasbourg rendent notre travail de co-législateur plus difficile et surtout, ce n’est pas viable d’un point de vue environnemental et pas respectueux de l’argent des contribuables… »

La « bataille du siège » est relancée

Un diplomate français oeuvrant à l’échelle européenne réagit à son tour :

« L’arrêt dit que le Parlement européen pourra jouir d’une certaine marge de manoeuvre, qu’il pourra apprécier la situation et faire voter le budget à Bruxelles, si nécessaire. Nous, il faudra qu’on soit toujours vigilant à ce que cette marge de manoeuvre ne dépasse pas les limites, que le Parlement européen n’en abuse pas. Pour ma part, je n’ai aucun doute sur le fait que cet arrêt va relancer ladite “bataille du siège” : certains le lisent comme une victoire, et vont essayer de s’en servir contre Strasbourg. Mais ce jugement de la CJUE ne leur donne aucun argument supplémentaire ! »

En règle général, l’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg est occupé quatre jours par mois. (Photo Parlement européen / cc)

Les arguments pour et contre Strasbourg sont déjà bien connus : études à l’appui, les « pro » et les « anti-Strasbourg » (membres de l’institution ou pas) avancent pêle-mêle des arguments budgétaires, pratiques, géographiques, historiques ou juridiques.

Pas de place pour l’interprétation et pourtant…

N’en reste pas moins que, pour l’heure, une fois par mois (voire deux fois, comme pendant ce mois d’octobre), c’est le branle-bas de combat et tout le Parlement européen – 751 eurodéputés, leurs assistants (deux ou trois par élus) et autres fonctionnaires – quittent Bruxelles pour rejoindre l’hémicycle strasbourgeois, pour quatre jours de séance plénière. Depuis Luxembourg, à la Cour, Antoine Briand explique :

« Je comprends que la France puisse exprimer des inquiétudes, mais il n’y a pas de raison que des abus soient à déplorer de la part du Parlement européen. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Je comprends aussi sa déception car quand on fait un recours et qu’il est rejeté, ce n’est jamais agréable. D’autant que quand on lisait les conclusions de l’avocat général, l’on pouvait se dire que la règle, c’était : “Strasbourg, point.” Il n’y avait a priori pas une grande place pour l’interprétation, et pourtant… »

Et pourtant, en juin, les soutiens de Strasbourg avait bel et bien cru être en passe de gagner une manche : l’avocat général de la CJUE, Melchior Wathelet, avait livré des conclusions donnant raison à la France. La plupart du temps, les conclusions sont suivies par la Cour quand elle rend son arrêt, mais pas cette fois.

 


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